Liban : aussi une urgence énergétique géopolitique<!-- --> | Atlantico.fr
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Liban port de Beyrouth explosion énergie
Liban port de Beyrouth explosion énergie
©PATRICK BAZ / AFP

Urgence énergétique

La catastrophe de l'explosion au port de Beyrouth a profondément marqué les Libanais. Samuel Furfari évoque la crise énergétique au Liban, mise en lumière par cette tragédie survenue au coeur de la capitale libanaise.

Samuel Furfari

Samuel Furfari

Samuel Furfari est professeur en géopolitique de l’énergie depuis 20 ans, docteur en Sciences appliquées (ULB), ingénieur polytechnicien (ULB). Il a été durant trente-six ans haut fonctionnaire à la Direction générale de l'énergie de la Commission européenne. Auteur de 18 livres.

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Les mots sont trop faibles pour qualifier l’horreur occasionnée par la très puissante déflagration dans le port de Beyrouth. Les morts, les blessés, la population sans abris, les dégâts, tout est effroyable. Ce n’est pas une balafre dans la capitale du Liban, c’est une catastrophe, et qui va requérir des moyens exceptionnels, continus et transparents.

Le pays était déjà au bord du précipice : rien n’allait plus dans ce pays qui fut pourtant un temps la Suisse du Moyen-Orient. Pour l’avoir visité grâce à mon ami libanais depuis 45 ans, j’en garde le souvenir d’une nature enchanteresse, d’une culture historique biblique et romaine, et de gens chaleureux. Pourtant rien n’allait plus dans ce beau pays. La structure politique qui date de 1943 complique la gestion d’un pays morcelé entre ethnies, religions et visions politiques bien trop nombreuses pour un pays de 250 km de longueur et seulement 45 km de largeur. Sans compter la puissance de nuisance de l’Iran qui contrôle le Hezbollah et qui entend maintenir sa position afin de pouvoir détruire Israël.

La livre libanaise, malgré les guerres et crises de ces 50 dernières années, avait toujours maintenu sa parité avec le dollar américain tellement la banque libanaise était solide. Des transferts massifs de dollars américains, épuisant les devises étrangères de la banque libanaise, transferts organisés par le Hezbollah vers l’Iran pour l’aider tant bien que mal de pallier l’embargo pétrolier des États-Unis, ont conduit à une dévaluation de 80 %. Les Libanais qui croyaient encore à leur pays se retrouvent ruinés. On se souviendra aussi des manifestations de l’an dernier lorsque les déchets urbains n’étaient plus récoltés faute d’une gestion transparente. Trop souvent — comme à Naples —, la corruption est présente lorsqu’il s’agit de gestions des déchets.

Corruption ! Nous venons d’employer un mot qui est une des plaies du pays. Lorsqu’il n’y a pas de démocratie, elle se généralise, empêchant l’efficacité et le développement économique. C’est ce qui se passe hélas aussi dans le domaine de l’énergie.

Il y a quelques années, de retour du Liban dans le cadre d’un projet européen, un collègue du ministère de l’énergie italien me dit avec dépit « nous allons là leur parler d’énergies renouvelables alors qu’ils ont besoin d’infrastructures de bases et non pas de luxe énergétique ». Que voulait-il dire ? Que le Liban a besoin d’être électrifié avec de l’énergie abondante et bon marché et certainement pas avec des d’énergies renouvelables.

Au lieu de cela, l’électricité au Liban est peu abondante et chère à cause de la corruption. Elle est contrôlée par l’entreprise nationale Électricité du Liban (EDL) dont sa capacité de génération est à 90 % thermique (2 764 MW) et 10 % hydraulique (252,6 MW). La centrale électrique de Jounieh, située à huit kilomètres à l’est de Beyrouth, d’une puissance de 1 200 MW fonctionne… au fuel. Dans les pays développés plus personne ne produit de l’électricité à parti de fuel, car d’une part c’est trop cher par rapport à toutes les autres solutions, mais en plus cela pollue l’atmosphère car des émissions d’oxydes de soufre et des métaux lourds. Cette solution est à proscrire, mais est encore en vigueur au Liban.

En réalité, une bonne partie de ces installations sont dépassées ou hors service, faute de moyens. Leur disponibilité est chroniquement aléatoire étant donné leur vétusté. Elles produisent trop peu pour les besoins du pays ce qui occasionne des coupures intempestives ; il y a en moyenne dix heures de coupure par jour.

Pour pallier cette situation, le gouvernement a fait appel à des bateaux centrales électriques appartenant à la compagnie turque Karadeniz. Elle fonctionne au fuel lourd fourni par le gouvernement libanais et l’entreprise turque est rémunérée en fonction de l’électricité mise en réseau. Quand on pense que même l’Organisation maritime internationale commence à admettre qu’il faut remplacer le fuel lourd dans la navigation maritime internationale tellement il pollue, on est surpris que cette solution extrêmement polluante ait été adoptée par le Liban.

Puisque l’électricité est un besoin indispensable pour tant de services, les Libanais utilisent abondamment des groupes électrogènes au diesel. Il y en a au moins un dans chacune des 980 communes qui constituent le pays. Il semblerait qu’il y en ait de l’ordre de 5 000 en service, chacune fournissant quelques 400 habitations. Les ménages n’hésitent pas à se raccorder à ces minigénérateurs en choisissant la puissance fournie, la facture étant rédigée en ampères. Lorsque tous ces groupes électrogènes fonctionnent, on arrive à une puissance installée de 8 800 MW soit bien plus que la puissance installée de EDL. Bien que ce calcul soit approximatif, il donne l’ampleur du problème de l’électricité au Liban. On imagine à la fois la pollution et l’inefficacité énergétique ― et donc économique ― pour, somme toute, un service médiocre.

Que faire ? Il est urgent d’électrifier sérieusement le Liban. J’ai écrit l’an dernier un livre intitulé « l'urgence d’électrifier l’Afrique », mais il est tout aussi urgent de le faire au Liban. Le gouvernement en est conscient et en mai 2020 un appel d’offres était en préparation. Selon le ministre de l’Énergie, Raymond Ghajar, « la Chine avait dernièrement exprimé son intérêt », mais quatre grands du monde de l’énergie sont en piste également (les entreprises allemande Siemens, américaine General Electric, japonaise Mitsubishi et italienne Ansaldo).

Mais comment faire pour éviter la corruption qui risque d’être amplifiée par l’explosion de Beyrouth ? Par la méthode BOOT [Build Operate Own Transfer]. Souvent les pays invitent par appel d’offres des entreprises à construire des centrales électriques et ensuite les gèrent eux-mêmes (BOT). Étant donné la corruption latente et l’instabilité politique dans nombre de pays, l’investissement des entreprises privées est à risque, raison pour laquelle des compagnies, comme Coface, spécialisées dans les analyses de risque des pays conseillent les investisseurs. Mais ici le risque, mesuré à l’aulne de l’histoire récente et actuelle, est trop grand. Il faudrait avoir recours au BOOT où le mot clé est « own », c'est-à-dire posséder. La centrale électrique reste propriété de l’investisseur et celui-ci se fait rémunérer par l’électricité fournie. Au terme du remboursement de l’investissement, la centrale peut ― si on le désire ― être reprise et gérée par l’état. Certains diront que c’est une mise sous tutelle. Peut-être. Mais que vaut-il mieux ? Continuer avec une situation inefficace et inappropriée à notre époque, ou bien apporter une solution immédiate qui offrirait enfin de l’électricité à une population qui souffrait et qui souffrira encore plus ?

Une deuxième suggestion pour renouveler enfin la situation énergétique du Liban est d’utiliser, comme le fait la Jordanie, du gaz naturel israélien. Israël possède 463 milliards de m³ de méthane en Méditerranée orientale. Cette abondance intéresse l’UE, qui malgré son Pacte vert lorgne ce gaz, car personne n’est dupe : ce n’est pas demain que l’on pourra se passer des énergies fossiles. Le Liban améliorerait grandement son environnement en abandonnant ses centrales électriques désuètes, ses groupes électrogènes décentralisés, toutes ses non-solutions qui sont polluantes et inefficaces, et en utilisant à la place des centrales modernes au gaz et en particulier avec du gaz israélien. Cela résoudrait en partie les risques de corruption, étape indispensable pour le renouveau du pays.

Bien entendu pour qu’une nouvelle politique énergétique soit mise en œuvre, le Liban, encore officiellement en guerre avec Israël, devrait passer outre des « iraniens » du Liban. Le président Macron veut une remise à zéro de l’institutionnel au Liban, mais en intégrant le Hezbollah, parti proche de l’Iran qui estime qu’il faut éliminer Israël de la carte du Moyen-Orient. Georges Malbrunot, grand reporter au Figaro qui a été pris en otage pendant plusieurs mois, déplore les rencontres du président de la République française à Beyrouth et à Juan-les-Pins avec des représentants du Hezbollah, le parti pro-iranien. Elles ne sont certainement pas de nature à pouvoir envisager cette option. Pourtant, l’accord de paix Israël - EAU du 13 aout devrait encourager le Liban à faire de même. Paradoxalement, sans la stratégie du président Macron, il y aurait de l’espoir pour un changement radical au Liban.

Que veulent les Libanais ? Perpétuer le chaos, l’instabilité et la corruption qui conduit à l’exode des personnes qualifiées en faisant plaisir à l’Iran ? Ou bien commencer à reconstruire leur pays par le fondement indispensable de toute société moderne : l’énergie ?

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