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Les trois chantiers zappés par Emmanuel Macron et qui pourraient faire dérailler le train des réformes
©ETIENNE LAURENT / POOL / AFP

Au révélateur

Modes de financement des syndicats, re-légitimation du libéralisme, inégalités... Dans la vague de réformisme qu'Emmanuel Macron veut appliquer à la France, le Président n'a-t-il pas trop ignoré​ les trois points suivants, et en quoi ceux-ci pourraient gripper son ambition ?

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Atlantico : La refondation de la démocratie sociale française issue de 1945. Emmanuel Macron n'a-t-il pas sous-estimé la nécessité de réformer les modes de financement des syndicats, notamment au travers de la formation professionnelle ?

Philippe Crevel : La démocratie sociale avait été réformée sous Nicolas Sarkozy, en particulier en ce qui concerne la représentativité. Après, il est vrai que sur les règles de financement, on est resté un peu au niveau du quai, en particulier en ce qui concerne la formation professionnelle et également, le conseil économique et social. Mais je dirais que ce n'est pas forcément là où le bât blesse dans le sens où les syndicats sont très présents au sein du secteur public, au sein des entreprises publiques, et que même s'il avait changé les règles de financement, je ne suis pas sûr que cela aurait eu une réelle incidence sur les mouvements sociaux que l'on connaît actuellement. Je dirai qu'on est là au cœur d'une lutte de pouvoir entre le pouvoir politique - représenté par Emmanuel Macron et le Parlement - et ceux qui se revendiquent du pouvoir social, avec leur bastion, que représentent justement la SNCF et quelques entreprises publiques. Donc on est dans un vrai combat de pouvoir et souvent, les syndicats disent que la démocratie sociale, ou le pouvoir social, peut ou doit l'emporter sur la démocratie politique.

Erwan Le Noan : Le sujet du financement de la vie sociale française est un sujet laissé de côté depuis des années : on sait que les syndicats sont d’une représentativité très imparfaite (pour les salariés comme pour les patrons) et que leur financement est à revoir. Un député (Nicolas Perruchot) avait tenté de s’y attaquer il y a des années ; en vain. Si Emmanuel Macron a omis ce sujet, c’est probablement en pleine conscience et avec l’idée que s’attaquer à ce roc n’était pas nécessaire.

Il me semble que le diagnostic du Président est que les syndicats ne sont pas représentatifs, que les Français le savent et que dès lors, il a intérêt à faire avancer ses réformes sans eux (ou en associant un peu les réformistes et en prenant de front les plus conservateurs), plutôt que de se heurter à une forteresse vaillamment défendue par une poignée d’irréductible. La tactique du gouvernement, qui consiste en enchaîner les réformes (ou effets d’annonces) sans laisser de répit aux syndicats en est assez illustrative.

Le capitalisme financier. Alors que les Français vivent le "libéralisme" comme étant aujourd’hui synonyme de "néolibéralisme" ou de "capitalisme financier", Emmanuel Macron pêche-t-il en évitant un discours de re-légitimation du libéralisme qui se détacherait de cette perception des Français ?  Comment expliquer une telle faille dans le dispositif "macronien" ?

Erwan Le Noan : La fragilité du discours du gouvernement est que son projet, sa vision transformatrice pour la France est implicite dans tous ses discours : jamais il ne décrit concrètement comment il voit la France dans 5 à 10 ans. Il évite d’être explicite et, quand il se projette, c’est en utilisant des concepts complexes, désincarnés, très intellectualisés.

Son discours sur le libéralisme entre parfaitement dans cette analyse : le gouvernement défend une vision souvent qualifiée de libérale (ce qui se débat) parce qu’il promeut des réformes qui favorisent le marché ; mais on ne voit pas bien comment ce libéralisme irrigue l’ensemble de sa politique ou de sa pensée. Cette fragilité est probablement liée au fait que le gouvernement n’est pas idéologue (au sens de mû par une idéologie) : c’est un groupe réformateur et pragmatique, à la façon de toutes les élites technocratiques qui gouvernent le pays depuis des années. Elles ne sont pas libérales par conviction, mais parce qu’elles se sont persuadées qu’il était rationnel d’avoir recours au marché pour les questions économiques ; mais ce marché reste encadré : ce n’est pas le marché libre ! Cela conduit à des contradictions profondes, où le libéralisme est promu en apparence, mais en pratique il est administré par l’Etat, de façon autoritaire et centralisée : tout ce qu’il faut pour avoir un effet repoussoir.

Philippe Crevel : Aujourd'hui, le risque, c'est qu'on ne sait plus pourquoi Emmanuel Macron fait cette réforme de la SNCF. On ne sait plus à quoi elle se rattache dans le programme d'Emmanuel Macron. Est-ce de mettre un terme au statut des cheminots ? Est-ce d'assurer l'équilibre réel financier, hors subventions, de la SNCF ? Est-ce de préparer l'entreprise nationale à la libéralisation du secteur ? De ce fait, aujourd'hui, ce manque de pédagogie et de discours cohérent peut donner l'impression qu'Emmanuel Macron veut s'en prendre aux cheminots ou, deuxièmement, qu'il veut imposer un libéralisme forcené au secteur public français. Et le risque, c'est que l'opinion publique, à un moment donné, se retourne, car en France, c'est vrai que l'on n'a pas de culture libérale en tant que tel, on a plutôt une culture étatique largement partagée au sein de l'opinion publique. Donc il est vrai qu'Emmanuel Macron prend un véritable risque de ne plus être suivi par l'opinion. La victoire par rapport aux syndicats, c'est que l'opinion reste derrière le gouvernement et la majorité. Les syndicats ont été, dans un premier temps, surpris par la victoire d'Emmanuel Macron à la présidentielle et par son offensive contre une certaine cathédrale syndicale. Là, les syndicats ont l'impression que s'ils lâchent sur la SNCF, ils n'auront plus de remparts et que la cathédrale sera ouverte. Donc ils mettent un point d'honneur à défendre le statut des cheminots. Emmanuel Macron, de son côté, a peut-être été pris par le vertige de l'élection présidentielle : il est jeune, il a une majorité jeune, avec peu d'expérience. Il a eu, peut-être, un enivrement des premiers mois, avec l'absence de réseaux, l'absence de possibilité de jouer sur plusieurs tableaux au niveau des négociations. Et donc c'est vrai qu'il peut prendre le risque de s'enfermer dans une voie sans issue si, à un moment donné, il ne peut pas bénéficier de l'appui de l'opinion publique. Donc, là il y a certainement chez Emmanuel Macron un moment, un cap clé à surmonter, à dépasser. Sinon, le reste du quinquennat pourrait prendre une autre tournure.

Le quinquennat des riches. En semblant délaisser la question des inégalités, Emmanuel Macron ne s'expose-t-il pas démesurément à l'image d'un président des riches qui commence à s'installer dans l'opinion ? Au contraire d'un Jacques Chirac en 1995 qui avait fait campagne sur la fracture sociale, quel est le risque pris politiquement par le président dans le contexte actuel ?

Philippe Crevel  : Le risque est réel et avéré. Une enquête du cercle de l'épargne avec l'Ifop indique que 74% des Français ont peur pour leurs retraites, pour leur future pension ; que les retraités considèrent que leur niveau de vie est en forte baisse. D'autre part, il y a une hostilité également marquée par rapport aux réformes fiscales (prélèvement forfaitaire unique et suppression de l'ISF). Donc on voit bien qu'il y a aujourd'hui l'idée que les mesures ne seraient prises qu'en faveur d'une partie de l'opinion. Ça commence à se diffuser dans l'opinion publique. Et on a un peu perdu le fil conducteur de ces réformes. Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il fait ces réformes ? Quels sont leurs objectifs ? Là-dessus, il y a un manque de pédagogie, un manque de relais. J'y vois un problème clé aujourd'hui pour le président de la République : l'absence de réseaux locaux, un mauvais maillage territorial et au sein du gouvernement, un nombre insuffisant de voix qui pourraient porter la bonne parole. Le pouvoir est trop concentré sur le président de la République, le Premier ministre ou un ou deux ministres. On voit bien qu'Emmanuel Macron manque de relais politiques et de pouvoir faire sentir au pouvoir ce qu'il se passe sur le terrain. Et là, c'est une faiblesse dès le départ. Je ne dirais pas qu'on a un gouvernement de riches. On a surtout un gouvernement et un président représentatifs de la haute fonction publique. Donc ce sont peut-être des organisateurs de l'État, mais ils ne sont pas forcément de bons capteurs de l'opinion publique.

Erwan Le Noan : L’accusation de « quinquennat des riches » est un peu facile et à mon sens malvenue : qu’on partage ou non la vision du Président, son discours n’est pas celui-là. Ce qu’il promet, c’est de redonner du mouvement à l’ensemble de la société française – y compris les plus riches  - pour bénéficier aux plus défavorisés. La critique qui porte peut-être plus, c’est celle d’un président « des élites » et « pour » les élites.

Les failles du discours du gouvernement ne sont pas que sur les « inégalités ». Elles portent sur tous les sujets qui font la « cohésion » nationale, sans laquelle la démocratie s’exerce mal : les inégalités, l’identité, le service public, etc. Le Gouvernement ne dit rien, sur aucun de ces sujets – ou quand il les aborde, c’est de façon épouvantablement technocratique alors qu’on en attend un élan politique.

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