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Les propositions des candidats en matière de défense commentées
par un militaire
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"C'est pas ma guerre"

Les candidats reconnaissent l'importance de la défense au sein de la politique française. Faute de pouvoir remettre en question le quinquennat de Nicolas Sarkozy dans ce domaine, ils cherchent des moyens de se différencier. Regard sur les propositions des différents programmes.

Jean Dufourcq

Jean Dufourcq

Contre-amiral retiré du service actif, Jean Dufourcq est rédacteur en chef de la Revue de la Défense Nationale.

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Alors que la campagne électorale du premier tour touche à son terme, constatons que le débat sur les questions de défense est resté discret mais qu’il n’a pas été éclipsé. C’est ce que révèle la livraison d’avril de la Revue Défense Nationale . A la lecture des propositions des cinq candidats consultés qui recueillent le plus d’intentions de vote, on voit bien que tous considèrent que les questions militaires sont au cœur de la sécurité des Français et de l’autorité internationale de la France et qu’elles sont aussi le principal poste d’investissements en équipements du pays. Mais que le calendrier leur impose une élection au beau milieu d’une crise financière loin d’être surmontée, de fortes tensions de Tombouctou à Peshawar et de craquements d’une gouvernance mondiale en pleine évolution. On note aussi qu’aucun n’ignore les arbitrages cruciaux que devra rendre le futur chef de l’Etat peu après le 6 mai, lors du G8 puis du sommet de l’Otan qui suivra.

On comprend donc la difficulté de l’exercice de campagne et on s’explique le modeste contraste de leurs propositions, exceptions faites des charges rituelles des challengers contre un président sortant qui défend son bilan et des affirmations idéologiques fortes qui donnent leur tonalité à chacune d’entre elles.

C’est qu’un certain consensus de défense a régné pendant ce quinquennat engagé et réformateur qui a été marqué à la fois par l’emploi assidu des forces militaires, la modernisation continue des parcs d’équipements et des changements structurels d’envergure. L’activité militaire a, en effet, été soutenue depuis cinq ans ; elle a fortement aguerri l’outil de défense ; elle l’a éprouvé aussi avec près d’une centaine de morts et beaucoup plus de blessés au combat. La France a conduit jusqu’à six opérations aéroterrestres et aéronavales parfois simultanées (Afghanistan, Côte d’Ivoire, Libye, Liban, luttes contre la piraterie, contre le narcotrafic). Mais la voie parlementaire a été aménagée constitutionnellement pour permettre à la représentation nationale de valider ces engagements.

Le cadre d’analyse élaboré conjointement et adopté mi-2008 sous la forme d’un Livre blanc sur la défense et la sécurité de la France a conduit à trois fortes évolutions: les domaines de la défense et de la sécurité ont été réarticulés dans une stratégie nationale de sécurité ; la fonction stratégique connaissance-anticipation a été mise en évidence ; et enfin la pleine participation de la France à l’Otan a été décidée et mise en œuvre.

A ces étapes clés, s’ajoutent les réformes structurelles engagées dans le cadre global de la RGPP (Réforme générale des politiques publiques) : une nouvelle étape d’intégration interarmées qui place le chef d’état-major des armées au sommet d’une pyramide unifiée ; la création d’un réseau de bases de défense interarmées et une réduction d’effectifs de 54 000 hommes. Enfin, de nombreux équipements militaires conçus il y a 15 ans sont arrivés en parc opérationnel pour donner aux forces des moyens modernes dans leurs engagements divers. Ces matériels produits par une industrie de défense performante ont permis à la France de disposer d’une solide réputation technique que la qualité des forces engagées a transformée en autorité militaire reconnue. Quant à la loi de programmation militaire, elle a été suivie tant bien que mal ; il est vrai qu’elle prévoyait prudemment une montée en puissance budgétaire à partir de 2012 dont les prémisses ont dû être différées du fait de la crise.

Tout ceci s’est exécuté dans un certain consensus même si plusieurs points ont été l’objet de vives discussions. Il s’agit principalement du retour de la France dans l’Otan, du sens de l’activité expéditionnaire des armées et de la nouvelle carte militaire de la France. Mais le bilan défense du quinquennat n’est au fond guère contesté par les candidats et les réformes en cours ont de bonnes chances d’être poursuivies avec les inflexions que la situation budgétaire imposera au pays tout entier, quelle que soit la politique générale suivie. Ceci explique l’atonie du débat présidentiel.

Demain pourtant des orientations seront nécessaires sur des points essentiels du socle de défense de la Vè République: la place du nucléaire dans notre posture de défense, celle de la défense dans la construction européenne et le lien entre le pays et ses forces armées. Faudra-t-il changer de système de défense ? D’autant plus que le quinquennat démarre dans un contexte de crise financière et européenne aigüe qui impose d’articuler soigneusement relance économique et rigueur budgétaire. Et que l’effort de défense de la France se trouvera de facto sur la sellette, avec deux graves enjeux, celui de notre capacité à nous défendre par nous-mêmes, et celui -directement lié- du maintien de notre souveraineté de défense en matière industrielle, et deux projets coûteux à considérer, la défense antimissile et la cyberdéfense, des perspectives complexes que nos candidats n’abordent guère.

Alors, même s’il y a un point d’accord général pour que « la défense ne constitue pas la variable d’ajustement », la réalité budgétaire s’imposera au président élu et les arbitrages qu’il devra rendre entre les différentes politiques publiques seront nécessairement pragmatiques. Il y a bien d’autres points d’accord en filigrane entre candidats : la dissuasion nucléaire, le retrait des forces françaises d’Afghanistan, rapide et en bon ordre, et le Livre blanc, sur lequel tous les candidats consultés préconisent de revenir d’une manière ou d’une autre. Il y a aussi bien entendu tous ces points de désaccord disputés qui contestent le bilan dont le président sortant se prévaut et expriment des priorités politiques ou des orientations idéologiques. Mais les engagements des candidats donnés présents au deuxième tour convergent en fait dans des approches réalistes, alors que ceux de leurs challengers, plus critiques, se démarquent avec une vigueur d’expression et une cohérence de réflexion qu’il convient de saluer.

Concluons-en que le consensus français sur la défense, malgré ses fluctuations actuelles, se nourrit aujourd’hui comme hier d’une vision assez gaullienne et donc nationale de la défense. Il exige une capacité nucléaire indépendante, une base industrielle solide, de solides alliances de bon voisinage européen et une relation intime entre le pays et son armée. Il ne semble pas avoir été affecté par la crise économique ainsi chaque candidat exprime d’abord le souci patriotique de ne pas baisser la garde de la sécurité.

Si le débat stratégique a été conduit mezzo voce lors de cette campagne présidentielle, il n’est donc pas mort comme on a pu trop vite l’affirmer.

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