Les prix du pétrole risquent de continuer à augmenter pour une raison qui n’a rien à voir avec l’Ukraine ni la rébellion anti-occidentale dans le monde <!-- --> | Atlantico.fr
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Un puits de pétrole aux Etats-Unis.
Un puits de pétrole aux Etats-Unis.
©SPENCER PLATT / GETTY IMAGES AMÉRIQUE DU NORD / GETTY IMAGES VIA AFP

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Même si de nombreuses raisons conjoncturelles expliquent la réalité des prix du pétrole, certaines décisions qui vont à l’encontre de la production de pétrole et de l'industrie pétrolière ont une véritable influence sur les tarifs

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec est un spécialiste de l’énergie et en particulier du pétrole et professeur à l’Ecole du Pétrole et des Moteurs, où il a dirigé le Centre Economie et Gestion. 

Il a publié plusieurs ouvrages et de nombreux articles sur des sujets touchant à l’économie et à la géopolitique de l’énergie et en particulier Exploitation et Gestion du Raffinage (français et anglais), Recherche et Production du Pétrole et du Gaz (français et anglais en 2011), l’Energie à Quel Prix ? (2006) et Géopolitique de l’Energie (français 2009, anglais 2011).

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Atlantico : On parle énormément des raisons conjoncturelles des prix du pétrole qui restent élevés (géopolitiques notamment), oublie-t-on trop souvent la responsabilités de décisions  structurelles et notamment les décisions qui vont à l’encontre de la production de pétrole et de l'industrie pétrolière au sens large ?

Jean-Pierre Favennec : Le prix du pétrole s’est envolé au début de notre siècle, passant de 10 dollars par baril en 2000 à 100 dollars en 2010. La crise du COVID a provoqué un effondrement du prix en réaction à la chute de la demande. La reprise économique en 2021 puis la guerre en Ukraine ont entrainé une forte augmentation du prix qui a dépassé 130 dollars par baril en mars 2022

Depuis cette date le prix du pétrole a diminué. Malgré deux décisions de réductions importantes des plafonds de production des pays producteurs de pétrole, en octobre 2022 puis en mars 2023, le prix du pétrole est retombé à moins de 80 dollars par baril. Les marchés pétroliers craignent un ralentissement économique dans le monde et en particulier en Chine du fait de l’augmentation des taux d’intérêt.

Le marché du pétrole est actuellement soumis à plusieurs contraintes :

-La demande pétrolière mondiale reste orientée à la hausse. Si dans les pays occidentaux (Europe surtout) on observe une légère diminution de la demande, dans le reste du monde et en particulier dans les pays émergents (Asie, Amérique Latine, certains pays Africains), la consommation augmente et devrait encore augmenter pendant plusieurs années

-Le pétrole reste de fait potentiellement abondant. Les réserves correspondent à plus de 50 ans de consommation et les craintes de pénurie, fortes au début du siècle, se sont totalement évanouies.

-La contrainte climatique qui doit nous conduire à limiter les émissions de gaz à effet de serre et à réduire en particulier la consommation de charbon, encore très utilisé pour la production d’électricité, et de pétrole, qui alimente le secteur des transports. 

Quelles sont les décisions et réglementations les plus marquantes et décisives qui ont pu nous conduire à la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement ?

Le marché pétrolier s’est développé rapidement à partir de 1945. Source d’énergie pratique et bon marché sa consommation est passée de 7 millions de barils par jour en 1945 à 100 millions actuellement. Le prix, relativement modéré jusqu’en 2000 à fortement augmenté de 2000 à 2010. Un événement important va cependant transformer au moins provisoirement le marché pétrolier : la production du pétrole de schistes qui va créer une abondance de pétrole et par conséquent une chute des prix. La crise du COVID va accentuer cette situation et le prix du pétrole sera même négatif pendant quelques heures sur la bourse de New York car certains détenteurs de barils cherchent désespérément des capacités de stockage pour leurs produits et paient pour se débarrasser de leur pétrole, trop abondant. Cette situation ne durera pas et la reprise économique de 2021 puis la guerre en Ukraine vont provoquer une remontée des cours. Mais le marché va rééquilibrer, comme il sait très bien le faire, la situation et stabiliser les prix et comme nous l’avons vu le prix du pétrole est retombé de 130 (prix en mars 2022)à 80 dollars par baril actuellement.

Face à la montée des mouvements écologiques contre le pétrole et face aux décisions prises dans cette direction, doit-on se préparer à ce que le problème perdure et avoir un problème structurellement plus élevé (par manque d'investissement, de R&D, etc.) ?

Si pour l’instant le prix du pétrole est plutôt à la baisse et si les disponibilités d’or noir sont largement suffisantes pour faire face aux besoins, cette situation pourrait changer à court terme.

Le faible prix du pétrole entre 2015 et 2020 a entrainé un effondrement des investissements dans l’exploration et la production pétrolière. Ces investissements ont légèrement repris récemment mais restent très loin des niveaux observés il y a 10 ans. Il faut cependant tenir compte, face à ce manque d’investissements, de la réduction des couts opérée sous la contrainte d’un prix du baril plus faible. En outre la solution est sans doute dans les mains des grands producteurs du Golfe (Arabie Saoudite, Iran, Irak, Koweït, Emirats Arabes Unis)qui disposent de près de 50 ?% des réserves de pétrole de la planète et qui peuvent produire à des coûts très bas (parfois inférieurs à 10 dollars par baril à comparer à un prix actuel de 80).

Le principal facteur qui affectera la consommation donc les cours du pétrole est sans aucun doute celui du changement climatique. Pour réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre, responsables de l’augmentation de la température et donc des désordres du climat, beaucoup préconisent une forte réduction de la consommation de charbon et de pétrole, voire de gaz, énergies fossiles responsables de la majorité des émissions de gaz à effet de serre. Les mouvement écologistes s’attaquent violemment aux sociétés pétrolières.Une organisation comme l’Agence Internationale de l’Energie préconisait récemment un arrêt rapide de la recherche pétrolière et de la mise en production de nouveaux champs.

Comment pourrions-nous sortir de cette situation et revenir à des prix plus abordables ?

Compte tenu de l’urgence climatique de nombreux scénarios de consommation d’énergie en 2050 (délai raisonnable pour mettre pleinement en place de nouvelles stratégies) sont élaborés. Certains tablent sur une diminution très modérée de la consommation de pétrole en 2050, ce qui pourrait conduire à des prix élevés du pétrole dans les prochaines années. D’autres scénarios prévoient une réduction de 80 % de la demande de pétrole qui tomberait à 20 millions de barils par jour en 2050 contre 100 millions actuellement. De tels scénarios pourraient conduire à terme à un effondrement du prix du pétrole.

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