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Les perspectives du cardinal Robert Sarah sur les crises de l'Eglise catholique
©ALBERTO PIZZOLI / AFP

Bonnes feuilles

Nicolas Diat et le cardinal Robert Sarah publient "Le Soir approche et déjà le jour baisse" chez Fayard. Notre monde est au bord du gouffre. Crise de la foi et de l’Église, déclin de l’Occident, trahison de ses élites, relativisme moral, mondialisme sans limite, capitalisme débridé, nouvelles idéologies, épuisement politique, dérives d’un totalitarisme islamiste... Le temps est venu d’un diagnostic sans concession. Extrait 1/2.

Cardinal Robert Sarah

Cardinal Robert Sarah

Robert Sarah est un cardinal catholique guinéen, préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements depuis 2014. Il était auparavant Président du Conseil pontifical Cor unum.

Le 25 février 2015, il a publié chez Fayard Dieu ou rien, entretien sur la foi, un livre d'entretien réalisé avec l'écrivain Nicolas Diat.

Le cardinal Sarah est présent sur Twitter : @Card_R_Sarah

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Nicolas Diat

Nicolas Diat

Nicolas Diat est considéré comme un des meilleurs spécialistes du Vatican. 
 
"Un temps pour mourir" de Nicolas Diat
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Nicolas Diat : Pouvons-nous parler d’une crise de l’Église ? 

Cardinal Robert Sarah : Un regard extérieur et superficiel pourrait être surpris que l’on parle de crise de l’Église. À vues humaines, le christianisme est en pleine expansion dans certaines parties du monde. Mais je ne veux pas parler de l’Église comme d’une entreprise dont on commenterait les résultats chiffrés. La crise que vit l’Église est beaucoup plus profonde, elle est comme un cancer qui ronge le corps à l’intérieur. De nombreux théologiens comme Henri de Lubac, Louis Boyer, Hans Urs von Balthasar et Joseph Ratzinger ont largement analysé cette crise. Je ne serai que l’humble écho et le prolongement de leur analyse. 

Le symptôme le plus alarmant est certainement la manière dont les hommes et les femmes qui se disent catholiques font leur choix dans les vérités du Credo. Joseph Ratzinger l’a évoqué en ces termes lors d’une conférence donnée à Munich en 1970 : « Ce qui était jusqu’à maintenant impensable est devenu normal : les hommes qui ont depuis longtemps abandonné le Credo de l’Église se considèrent en toute bonne conscience comme des chrétiens véritablement progressistes.

Il n’y a pour eux qu’un seul critère qui compte et qui leur permet de juger l’Église : le critère de fonctionnalité qui guide son action. » Dans de larges pans de l’Église, nous avons perdu le sens de l’objectivité de Dieu. Chacun part de son expérience subjective et se crée une religion à sa taille. Quel malheur ! Chacun veut construire son Église à sa mesure et selon son idée. Mais ce genre d’entreprise n’intéresse personne. Les hommes n’ont que faire d’une Église qui serait un parti, un club ou une société de pensée. Nous avons déjà pléthore de ce type d’institutions humaines. L’Église n’a d’intérêt que parce qu’elle est l’Église de Jésus‑Christ. En elle, il se donne, il me surprend. 

Le cardinal Ratzinger écrivait dans son Entretien sur la foi : « Il faut recréer un climat authentiquement catholique, retrouver le sens de l ’Église en tant qu’Église du Seigneur, en tant que lieu de la présence réelle de Dieu dans le monde. C’est le mystère dont parle Vatican II quand il reproduit ces mots terriblement exigeants et qui, pourtant, correspondent à toute la tradition catholique : “L’Église qui est le règne de Dieu déjà mystérieusement présent” (Lumen gentium, 3). » 

La perte de ce regard de foi sur l’Église engendre tous les symptômes de la sécularisation. La prière est rongée par l’activisme, la charité véritable se mue en solidarité humaniste, la liturgie est livrée à la désacralisation, la théologie se transforme en politique, l’idée même du sacerdoce entre en crise. La sécularisation est un phénomène terrible. Comment le définir ? On pourrait dire qu’il consiste en un aveuglement volontaire. Des chrétiens décident de ne plus s’éclairer à la lumière de la foi. Ils décident de soustraire à cette lumière une partie de la  réalité, puis une autre. Ils décident de vivre dans les ténèbres. Voilà le mal qui ronge l’Église. Nous décidons de nous passer de la lumière de la foi en pratique et même en théorie. Nous étudions la théologie en faisant de Dieu une simple hypothèse rationnelle. Nous lisons l’Écriture comme un livre profane et non comme la parole inspirée par Dieu. Nous organisons la liturgie comme un spectacle et non comme le renouvelle‑ ment mystique du sacrifice de la Croix. Nous en venons à ce que les prêtres et les consacrés vivent de manière purement profane. Bientôt les chrétiens eux‑mêmes vivront « comme si Dieu n’existait pas ». 

« Le visage de Dieu disparaît progressivement. La mort de Dieu est un processus tout à fait réel qui touche aujourd’hui le cœur même de l’Église. On a l’impression que Dieu meurt dans la chrétienté », écrivait douloureusement Joseph Ratzinger dans son discours du 4 juin 1970 à l’académie catholique de Bavière. Au cœur de la crise de l ’Église, la foi devient comme une réalité encombrante aux yeux même des chrétiens. « Dans ce processus, dit le pape François, la foi a fini par être associée à l’obscurité. On a pensé pouvoir la conserver, trouver pour elle un espace pour la faire cohabiter avec la lumière de la raison. L’espace pour la foi s’ouvrait là où la raison ne pouvait pas éclairer, là où l’homme ne pouvait plus avoir de certitudes. Alors la foi a été comprise comme un saut dans le vide que nous accomplissons par manque de lumière, poussés par un sentiment aveugle ; ou comme une lumière subjective, capable peut‑être de réchauffer le cœur, d’apporter une consolation privée, mais qui ne peut se proposer aux autres comme lumière objective et commune pour éclairer le chemin. Peu à peu, cependant, on a vu que la lumière de la raison autonome ne réussissait pas à éclairer assez l’avenir ; elle reste en fin de compte dans son obscurité et laisse l’homme dans la peur de l’inconnu. Ainsi l’homme a‑t‑il renoncé à la recherche d’une grande lumière, d’une grande vérité, pour se contenter des petites lumières qui éclairent l’immédiat, mais qui sont incapables de montrer la route. Quand manque la lumière, tout devient confus, il est impossible de distinguer le bien du mal, la route qui conduit à destination de celle qui nous fait tourner en rond, sans direction. Aussi il est urgent de récupérer le caractère particulier de lumière de la foi parce que, lorsque sa flamme s’éteint, toutes les autres lumières finissent par perdre leur vigueur. La lumière de la foi possède, en effet, un caractère singulier, étant capable d’éclairer toute l’existence de l’homme. Pour qu’une lumière soit aussi puissante, elle ne peut provenir de nous‑mêmes, elle doit venir d’une source plus originaire, elle doit venir, en définitive, de Dieu » (Lumen fidei, 3‑4). 

Lorsque nous parlons d’une crise de l''Église, il est important de préciser que l’Église, en tant que Corps mystique du Christ, continue d’être « une, sainte, catholique et apostolique ». La théologie, l’enseignement doctrinal et moral restent inchangés, immuables et intangibles. L’Église, comme continuation et prolongement du Christ dans le monde, n’est pas en crise. Elle a les promesses de la vie éternelle. Les portes de l’enfer ne prévaudront jamais contre elle. Nous savons, nous croyons fermement que, en son sein, il y aura toujours assez de lumière pour celui qui veut sincèrement chercher Dieu. 

L’appel de saint Paul à Timothée, son fils dans la foi, nous concerne tous : « Je t’ordonne en présence de Dieu qui donne la vie à toutes choses, et en présence du Christ Jésus qui a rendu un beau témoignage devant Ponce Pilate dans une belle profession, […] garde le dépôt de la foi, évite les bavardages impies et les objections d’une pseudo‑science. Pour l’avoir professée, certains se sont écartés de la foi » (1Tm 6, 13.20‑21). 

La foi continue d’être un don divin surnaturel. Mais c’est nous, les baptisés dans la mort du Christ, qui résistons à ce que nos pensées, nos actions, notre liberté et notre existence entière soient éclairées et guidées en tout moment par la lumière de la foi que nous professons. Il y a une dichotomie tragique et une incohérence dramatique entre la foi que nous professons et notre vie concrète. Dans son magnifique Journal d’un curé de campagne, Georges Bernanos écrivait : « Vous revendiquez d’être les pierres du Temple appelé Dieu, les concitoyens des Saints, les enfants du Père Céleste. Avouez que cela ne se voit pas toujours du premier coup ! » 

Aujourd’hui, la crise de l’Église est entrée dans une nouvelle phase : la crise du magistère. Certes, le vrai magistère, en tant que fonction surnaturelle du Corps mystique du Christ, assurée et conduite de manière invisible par l’Esprit‑Saint, ne peut pas être en crise : la voix et l’agir de l ’Esprit‑Saint sont constants, et la vérité vers laquelle il nous guide est ferme et immuable. L ’évangéliste Jean nous dit : « Quand il viendra, lui, l’esprit de vérité, il vous guidera dans la vérité tout entière ; car il ne parlera pas de lui‑même, mais ce qu’il entendra, il le dira et il vous expliquera les choses à venir. Lui me glorifiera, car c’est de mon bien qu’il recevra et il vous l’expliquera. Tout ce qu’a le Père est à moi. Voilà pourquoi j’ai dit que c’est de mon bien qu’il reçoit et qu’il vous expliquera » (Jn16, 13‑15). 

Mais il règne aujourd’hui une vraie cacophonie dans les enseignements des pasteurs, évêques et prêtres. Ils semblent se contredire. Chacun impose son opinion personnelle comme une certitude. Il en résulte une situation de confusion, d’ambiguïté et d’apostasie. Une grande désorientation, un profond désarroi et des incertitudes destructrices ont été inoculés dans l’esprit de beaucoup de fidèles chrétiens. Le philosophe Robert Spaemann exprimait clairement ce désarroi par une citation extraite de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens : « Et si la trompette produit des sons confus, qui va se préparer au combat ? » (1Co 14, 8). 

Pourtant, nous le savons, le magistère demeure le gage de l’unité de la foi. Notre capacité à recevoir l’enseignement de l’Église dans un esprit de disciple, avec docilité et humilité, est la vraie marque de notre esprit de fils de l’Église. Malheureusement, certains, qui devraient transmettre la vérité divine avec une infinie précaution, n’hésitent pas à la mêler aux opinions à la mode, voire aux idéologies du moment. Comment discerner ? Comment trouver un chemin sûr dans cette confusion ? 

Saint Vincent de Lérins apporte dans son Commonitorium une lumière précieuse à propos du progrès ou du changement dans la foi : « Ne peut‑il y avoir, dans l’Église du Christ, aucun progrès de la religion ? Si, assurément, et un très grand progrès. Car qui serait assez jaloux des hommes et ennemi de Dieu pour essayer d’empêcher ce progrès ? À condition du moins qu’il s’agisse d’un véritable progrès dans la foi, et non d’un changement. Car il y a progrès si une réalité s’amplifie en demeurant elle‑même ; mais il y a changement si elle se transforme en une autre réalité. Il faut donc qu’en chacun et en tous, en chaque homme aussi bien qu’en l’Église entière au cours des âges et des générations, l’intelligence, la science et la sagesse croissent et progressent fortement, mais selon leur genre propre, c’est‑à‑dire dans le même sens, selon les mêmes dogmes et la même pensée […]. Nos ancêtres ont jadis ensemencé le champ de l’Église avec le blé de la foi. Il serait injuste et inconvenant pour nous leurs descendants de récolter l’ivraie de l’erreur au lieu du froment de la vérité. Au contraire, il est normal et il convient que la foi ne renie pas l’origine, et qu’au moment où le blé de la doctrine a levé nous moissonnions l’épi du dogme. Ainsi, lorsque le grain des semailles a évolué avec le temps et se réjouit maintenant de mûrir, rien cependant ne change des caractères propres du germe. » 

Je voudrais supplier les évêques et les prêtres de prendre garde à la foi des fidèles ! Ne nous fions pas à quelques commentaires postés à la va‑vite sur Internet par de soi‑disant experts. Recevoir le magistère, l’interpréter selon une herméneutique de continuité prend du temps. Ne nous laissons pas imposer le rythme des médias si prompts à parler de changements, de retournements ou de révolutions. Le temps de l’Église est un temps long. C’est le temps de la vérité contemplée qui donne tout son fruit si on la laisse germer paisiblement dans la terre de la foi. « En vertu même de la nature de l’espèce humaine, le temps est nécessaire pour atteindre l’intelligence pleine et parfaite des grandes idées, écrivait en 1864 le cardinal John Henry Newman dans Apologia pro vita sua. Les vérités les plus hautes et les plus merveilleuses, même communiquées aux hommes une fois pour toutes par des maîtres inspirés, ne peuvent être comprises d’un coup par ceux qui les reçoivent, car reçues et transmises par des esprits non inspirés et par des moyens humains, elles requièrent un temps prolongé, une réflexion plus profonde, pour être pleinement élucidées. » 

Quand la tempête fait rage sur un navire, il est important de s’arrimer à ce qui est stable et solide. Il n’est pas temps de courir après les nouveautés à la mode qui risquent fort de s’évanouir avant même qu’on ait pu s’en saisir. Il est nécessaire de garder le cap, sans dévier, en attendant que l’horizon se dévoile. Je voudrais dire aux chrétiens : ne vous laissez pas troubler ! Vous avez entre les mains le trésor de la foi de l’Église. Il vous est légué par des siècles de contemplation, par l’enseignement constant des papes. Vous pouvez y nourrir votre vie de foi sans crainte.

Extrait du livre du cardinal Robert Sarah et de Nicolas Diat, "Le Soir approche et déjà le jour baisse", publié chez Fayard. 

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