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André Bercoff : "Les Gilets jaunes ont inventé une nouvelle version de la lutte des classes"
©NICOLAS TUCAT / AFP

"Le retour des peuples"

En exclusivité pour Atlantico, André Bercoff nous livre son analyse sur la crise des Gilets jaunes, sur les syndicats et sur la fin du Grand débat. André Bercoff vient de publier "Le retour des peuples" chez Hugo Document.

André Bercoff

André Bercoff est journaliste et écrivain. Il est notamment connu pour ses ouvrages publiés sous les pseudonymes Philippe de Commines et Caton.

Il est l'auteur de La chasse au Sarko (Rocher, 2011), Qui choisir (First editions, 2012), de Moi, Président (First editions, 2013) et dernièrement Bernard Tapie, Marine Le Pen, la France et moi : Chronique d'une implosion (First editions, 2014).

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Atlantico : Ce mercredi 1er mai, les Gilets jaunes vont défiler avec les syndicalistes dans les rues de Paris, accompagnés une nouvelle fois de Black Blocs. Nombreux sont ceux qui parlent de convergences des populismes. Vous avez déclaré récemment que les Black Blocs sont aujourd'hui les pires ennemis des Gilets jaunes. La colère prendrait aujourd’hui différentes formes ? Faut-il y voir le “Retour des peuples” et non pas du Peuple dont vous faites le titre de votre ouvrage ?

André Bercoff : Il n'y a pas un peuple mais il y a des peuples. Les manifestations de colère sont diverses. Aujourd’hui, on prend les Gilets jaunes en bloc, alors qu'au départ il n'y avait pas des petits saints d'un côté et les malfaisants de l'autre. On ne peut pas confondre la peur des Gilets Jaunes avec la haine des Black Bloc, lesquels existaient bien avant les Gilets Jaunes et qui ont un calendrier à eux. Il faut revenir à ça, parce qu'on dit souvent Black Blocs et Gilets Jaunes. Evidemment la tactique a été toujours de dire : "Ah regardez les casseurs, d'extrême-droite, les fascistes, les homophobes, les antisémites etc.." en parlant du mouvement dans son ensemble. La pratique de l'amalgame est la pierre angulaire d'une certaine communication des adversaires des Gilets jaunes ; il ne faut pas tomber là-dedans. Si je dis "le retour des peuples", c'est parce que justement mon livre n'est pas seulement sur les Gilets Jaunes, mais sur ce qui se passe depuis quelques années sur une certaine révolte qu'on ne voulait pas voir ni entendre. On la retrouve partout dans le monde : c’est la France périphérique mais aussi l’Amérique périphérique, tout comme l’Europe de l'Est et aussi l’Italie, ces endroits dans le monde qu’on a vu évoluer pour des raisons diverses. Ce mouvement se manifeste par le fait qu’une certaine partie de la population qui était censée être muette et accepter tout ce qui se passait en a eu à un moment donné ras le bol et a décidé de s'exprimer. 

C'est ça en fait le retour des peuples, ça signifie simplement : des gouvernants, des classes, des élites, qu’elles soient intellectuelles, médiatiques ou politiques ont déclarés à ceux qui étaient muets qu’ils savaient mieux qu’eux ce qui était bon pour eux - ce qu'on appelle “le camp du Bien”. Eh bien les peuples, c’est-à-dire les gens dans leur diversité et avec leurs revendications propres ont exprimé l’idée que cela ne pouvait plus se passer comme cela. Et ils l’ont exprimé avec plus ou moins de force. Donc attention aux confusions, il ne s'agit pas de tout mélanger et de tout amalgamer : qui aurait parlé des Gilets Jaunes il y a six mois ? Ca aurait fait rire tout le monde. Mais dans bien des pays, alors que personne ne le voyait venir, on a soudain entendu, “on ne va plus fonctionner comme ça, et on va le dire." 

Vous revenez longuement sur le mouvement des Gilets jaunes dans votre livre, que vous rattachez à un mal-être plus général des peuples en Occident. Vous montrez dans votre livre que la crise va plus loin qu'une simple crise circonstancielle et qu'il y a dans le fond une vraie crise de civilisation, crise du capitalisme, que vous désignez comme un capitalisme de connivence, et de la mondialisation qui a eu des effets pervers selon vous. Quand on regarde les réponses apportées par l’exécutif, la restitution du Grand débat, sont-elles à la hauteur d'un tel constat ? N'est-on pas encore dans la micro-gestion d’une crise qui est structurelle ?

Ces dernières années, il y a eu une tenaille dans laquelle toute une partie de la classe moyenne occidentale en tout cas a été squeezée. Je ne suis pas contre la mondialisation : elle existe et il ne s'agit pas de dire si on la trouve désirable ou non. Simplement, elle existe d’une certaine façon pour un certain nombre de gens qui se sentent aussi bien à Yokohama qu'à Tokyo, qu'à Paris et qu'à Londres. Et puis il y a eu ce qu'on a appelé le problème de l'immigration de masse. Les princes qui nous gouvernent ont considéré qu’ainsi, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes etc. Sauf que les gens qui se sont trouvés à la fois économiquement acculés, avec des fins de mois compliquées, ont vu que l’ascenseur social était en panne et que personne ne souhaitait le réparer. Et ne parlons pas des retraites etc. D’un autre côté, ils se sont dits qu’ils avaient le droit d'être Américains, Français etc, alors que dès que quelqu'un disaient qu'ils revendiquaient d’être Français, cela signifiait pour beaucoup de nos élites qu’il était un beauf, un plouc, un pauvre type, et qu’il ne savait nécessairement pas de quoi il parlait. Il y a eu une déconstruction d'une certaine identité nationale ou locale, et tout cela a été systématiquement remplacé par un marketing des minorités. Evidemment, ce n'est pas comme ça qu'on refait un pays et une vision. Et en ne tenant pas compte du malaise à la fois économique et identitaire, le gouvernement s‘est condamné à faire des mesures absconses, sans que rien ne puisse être résolu des fractures sociales, économiques et existentielles, celles qui existent, qui sont là, mais qui se heurtent au déni du camp du Bien. 

Les syndicats ne monopoliseront pas l'attention et ne sont plus perçus comme représentant le peuple. Ne sont-ils pas les symbole de la déréliction des corps intermédiaires ?

Depuis quarante ans pratiquement, gauche et droite ont embrassé exactement les même intérêts, les mêmes démarches. On parle encore de gauche et de droite, ce clivage existe peut-être au niveau de la philosophie, des attitudes. Mais ce que j'appelle la gauche et la droite de gouvernement, ont embrassé les mêmes valeurs, en disant que ce qui compte, c’est l'adhésion totale au marché et quand on voit le Venezuela ou le Cambodge, on se dit qu'il n’y a pas d’alternative. Une élite mondiale a fait sécession et s'est dit : nous, on voit ce qu'il faut faire, les autres n'ont qu'à courir derrière. Les corps intermédiaires ne fonctionnent plus depuis longtemps, et ils n'ont pas attendu les Gilets Jaunes pour ce faire, parce qu'ils avaient tous massivement adhéré à la même vision de la société que celle des élites. Il ne faut pas oublier, qu’en 2011, le rapport du think thank Terra Nova disait que la classe ouvrière et les communistes n’étaient plus l’électorat qu’il fallait chercher, car elle votait Front National, mais qu’il fallait se concentrer sur les minorités sexuelles et ethniques, ainsi que sur les immigrés. 

Ce qui est extraordinaire, c’est que personne ne s'est alors posé la question de fond, personne n'a travaillé. Ni les intellectuels ni les médias, personne ne s’est demandé comment expliquer qu'en quelques décennies ça ait basculé comme ça. Au lieu de cela on a eu des chiens de Pavlov, des moutons de Panurge qui hurlaient à la mort “facho, homophobes etc.”. Si on regarde sérieusement la chose, on voit qu’il n'y a pas onze millions de fascistes en France qui votent Marine Le Pen. C’est de ce déni qu’ont jailli les Gilets Jaunes, je parle de ceux qui ont des revendications à faire valoir. Posez-vous la question : pourquoi aujourd'hui, au bout de cinq mois, il y a encore grosso modo 50% des Français qui approuvent le mouvement ?

Mais le danger actuel n'est-il pas de voir opposer un discours qui considérerait que les peuples pourraient se passer d'élites ?

De fait, les extrêmes se touchent et une radicalisation en entraîne une autre. Évidemment, ce n'est pas souhaitable et il ne s'agit pas de l’encourager. Il s'agit seulement d'inciter aujourd’hui à un retour de balancier et espérer que l'on retrouvera bientôt un équilibre. Certes, personne ne désire la violence que l’on observe ces derniers temps mais je tiens à rappeler que la Bastille n'a pas été prise par des gens qui allaient manger du saucisson ou boire du vin.

Mais effectivement, il ne faut pas qu'à un radicalisme méprisant des élites soit opposé un radicalisme démagogique de l'anti-élite. Le problème n'est pas dans l'existence des élites mais dans leur fonctionnement. Ces élites ne peuvent pas résister si elles ne tendent pas la main aux déshérités de l'autre côté.

Vous rappelez dans votre livre le fameux pamphlet de l'abbé Sieyès, "Qu'est-ce que le Tiers Etat ?", que vous commentez. Sur ce point, le grand débat s'est voulu une espèce de refonte des Etats Généraux. A ce niveau, comment jugez-vous, non pas les conclusions que le gouvernement en a tiré, mais les restitutions que l'on a pu avoir des demandes de la population ?

Cela reflète une certaine confusion. Louis XVI avait accepté et même encouragé les Etats-Généraux, cela ne lui a pas vraiment réussi. Sans comparer Emmanuel Macron et Louis XVI, on peut décemment affirmer que ce n'est pas comme ça que l'on résout les problèmes.

Je me suis toujours demandé pourquoi dès novembre, au début du mouvement, Emmanuel Macron n'a pas rencontré directement les Gilets jaunes plutôt que d'enchaîner les débats. Certes, les Gilets jaunes ne représentent pas tout le peuple, certes il n'est pas question qu'ils prennent le pouvoir. Cependant il fallait discuter avec eux, discuter avec les gens qui sont à l'origine du mouvement. C'était la chose à faire, et non de commenter l'actualité pendant six mois.

Avec la conclusion du Grand débat, les annonces d'Emmanuel Macron et les premières mesures qui sont en train d'être organisées par le gouvernement, et de l'autre un mouvement qui semble perdre du terrain et moins rassembler, on pourrait avoir l'impression que la crise est passée. Est-ce à dire que le climat insurrectionnel qu'on a pu percevoir cet hiver a évolué ?

Je doute que cela soit terminé. Sans aller jusqu'à la révolution et l'insurrection, les causes profondes qui ont fait éclore le mouvement n’ont pas encore trouvé leur solution, loin de là. On remarque une profonde insatisfaction qui peut faire penser à une nouvelle lutte des classes.

On pensait que la celle-ci était remisée au magasin des accessoires depuis 50 ans : elle a simplement changé, et est plus complexe. Elle oppose la France d'en haut à celle d'en bas, non plus la gauche et à la droite. Evidemment, il ne s’agit schéma qu'on a connu depuis deux siècles mais d’une volonté des peuples de reprendre la main sur leur destin.

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