Les eurodéputés s'opposent aux services d'une des meilleures économistes du monde sous prétexte qu'elle est américaine...<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Les députés européens participent à un vote au Parlement de l'Union européenne à Bruxelles le 22 juin 2022.
Les députés européens participent à un vote au Parlement de l'Union européenne à Bruxelles le 22 juin 2022.
©JOHN THYS / AFP

Atlantico Business

L'Américaine Fiona Scott Morton, pressentie pour prendre la direction de la concurrence de l'Union européenne, a finalement renoncé face à l'opposition des eurodéputés et du peu d'encouragement des États, dont la France.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Il est aussi l'auteur du blog http://www.jeanmarc-sylvestre.com/.

Voir la bio »

La polémique est terminée, mais elle laissera des traces, car elle marque la façon dont la Commission de Bruxelles fonctionne en préférant céder à la bronca des eurodéputés et de certains gouvernements plutôt que de défendre en profondeur ce que cette Américaine aurait pu apporter à l'Union européenne pour mettre en place sa propre stratégie de concurrence industrielle. Elle s'appelle Fiona Scott Morton, elle a 50 ans. Cette Américaine désignée pour devenir économiste en chef de la direction générale de la concurrence de l'UE avait l'un des CV les plus prometteurs sur le marché mondial des économistes. Elle avait été professeur à Yale et au MIT, avait occupé des postes de responsabilité dans l'administration américaine, dans des cabinets de conseil et à la Maison Blanche. 

Son expertise portait sur les structures concurrentielles, leur évolution et leurs modalités de changement. Elle avait été recrutée par la Commission européenne pour entrer à la direction de la concurrence suite à une recherche en bon et due forme par les meilleurs cabinets de chasseurs de têtes, puis parrainée par le gotha des économistes internationaux, dont ceux de l'université économique de Toulouse, notamment Jean Tirole, le prix Nobel. 

Mais faut-il y revenir, ce projet de nomination ne passait pas, puisqu'il a provoqué une levée de boucliers chez les eurodéputés et des propos à peine aimables de la part de quelques gouvernements, dont celui de la France, puisque Emmanuel Macron lui-même s'est déclaré dubitatif. Autant dire opposé.

Le vrai problème, c'est que le procès instruit contre cette chercheuse hors-pair est assez peu glorieux. Si on reprend les détails de cette polémique contre sa personne, on s'aperçoit qu'on lui reproche principalement trois choses. 

- et confier à une Américaine une responsabilité aussi importante est inconvenant. Il faut croire que les Européens ont tellement de mal à prouver leur origine européenne et leur attachement au vieux continent, qu'il n'est pas question pour eux de laisser une parcelle de pouvoir à une Américaine. Des armes pour l'Ukraine, oui, bien sûr, mais des experts que nous n'avons pas, pas question de les importer. On s'en passera.

-La deuxième chose est plus grave, cette chère Fiona Scott Morton a au cours de sa carrière conseillé les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). Or, le job qu'on lui proposait à Bruxelles était de définir une politique de régulation des géants du numérique. Par- conséquent, pour tous ceux qui au parlement font commerce d'antiaméricanisme, c'était impardonnable. On accueillait le loup dans la bergerie, comme si le loup avait attendu cette opportunité. Au contraire, pour certains, c'était la bonne personne pour connaître les GAFAM et proposer un compromis.

-La troisième chose est que les patrons européens et ceux du Medef en particulier ne l'aimaient pas. Pourquoi ? Parce qu'ils connaissaient son intelligence quand elle était au service des Américains et notamment de Barack Obama. C'est aujourd'hui l'économiste la plus titrée au monde, notamment dans tous les domaines concernant la mondialisation. Et au moment où l'Amérique développe un grand plan de protection de son industrie, il aurait pu être utile que l'Union européenne dispose de plans originaux pour faire face aux ambitions américaines... mais les eurodéputés ne voulaient pas de ce risque d'ingérence.

Derrière tous ces arguments, dont certains sont assez vulgaires, se cache un débat très sérieux sur la façon dont on devrait gérer la concurrence dans l'espace européen. 

Jusqu'alors, l'Europe a toujours régulé la concurrence dans l'intérêt immédiat et strict du consommateur. L'obsession européenne a été d'éviter les positions dominantes de marché. Pas question de s'autoriser une position oligopolistique sur un marché. Les exemples de fusions ratées, ou handicapées par le respect de cette clause-là, sont nombreux et expliquent que les pays européens ont été incapables de créer de grandes entreprises mondiales et notamment des équivalents des GAFAM. Il y en a en Amérique, il y en a en Chine, mais pas en Europe. 

La conception de la concurrence américaine est très différente. La régulation américaine vise à protéger la capacité de développement d'une entreprise ou d'un groupe d'entreprises, au risque de mécontenter sur le moment le consommateur, sachant que le jeu concurrentiel est mondial et que pour être fort au niveau mondial, il faut être super fort sur son marché domestique. C'est cette approche-là sur laquelle Fiona a travaillé et fait sa renommée. C'est sans doute cette approche qui intéressait les Européens convaincus et désolés de ne pas avoir de pôle très puissant à l'échelle du monde, parce que leur droit de la concurrence, leurs contraintes et les montagnes de normes protectrices les incitent a se protéger sans le dire leur positions sur leur marché d’origine. 

Les arguments avancés par les eurodéputés sont évidemment recevables, puisque ce sont eux qui ont des comptes à rendre à leurs électeurs. Le problème, c'est qu'en parallèle, ils n'ont pas de solutions alternatives pour sortir de ce modèle de développement industriel capable d'assumer la concurrence mondiale. On y parvient dans la construction aéronautique avec le pôle Airbus, dont la création est très ancienne, on y parvient dans l'automobile parce que les marques allemandes et françaises se sont imposées, mais dans le reste de l'industrie, on reste très accroché au territoire.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !