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Les Etats-Unis, ce grand pays paradoxe
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Grande Amérique

Les Etats-Unis, que l'on présente souvent comme étant de plus en plus conservateurs voire "réacs", pourraient bien au contraire être prêts pour une nouvelle ère de politiques progressistes, pour un "nouveau New Deal". Après la réélection d'Obama, le "nouveau" frappe déjà à la porte, comme l'explique Christophe Deroubaix. Extrait de "Dictionnaire presque optimiste des Etats-Unis" (1/2).

Christophe Deroubaix

Christophe Deroubaix

Christophe Deroubaix est journaliste à L'Humanité depuis 1993. Il a été lauréat d'une bourse de la Fondation Franco-Américaine et de l'Agence France-Presse en 1996 qui lui a permis de travailler pendant deux mois au Saint-Louis Post-Dispatch. Depuis, il suit l'actualité américaine et a séjourné aux Etats-Unis à de nombreuses reprises.

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L’Amérique est prête pour une politique nouvelle, progressiste – un « nouveau New Deal. » C’est une loi occasionnelle avec les intellectuels : ils formulent souvent mieux que le commun des mortels une intuition, une thèse. Celle-ci est signée Paul Krugman, prix Nobel d’économie en 2008. Elle hante l’Amérique sans que cette dernière en ait encore pleinement conscience. Pourtant, ce nouveau New Deal vit déjà : dans les esprits, beaucoup, et dans la réalité, un peu. Sur tous les grands sujets politiques, l’opinion publique formule des attentes de protection collective, de résorption des inégalités, de fiscalité plus juste, d’intervention de la puissance publique. Sur tous les grands sujets de société (avortement, mariage gay), elle évolue vers plus d’ouverture tandis que de nombreux Etats renoncent à la peine de mort et que le nombre de mariages mixtes n’a jamais été aussi élevé. Quant au peule de ce nouveau New Deal, composé de minorités (Noirs, Latinos, Asiatiques), de femmes et de jeunes, et enfanté par les bouleversements démographiques et sociaux qui travaillent le pays, il existe déjà.

Evidemment, une telle affirmation peut intriguer, peut-être surprendre, sans doute choquer même, tant elle heurte la représentation inconsciente que nous nous faisons de l’Amérique. Cette image qui nous apparaît si nette car il nous semble connaître l’âme de ce peuple plus que tout autre. Dans la foulée de ce « siècle américain » que fut le XXe, les forces conjuguées du marketing de l’hyperpuissance victorieuse de la guerre froide, de l’industrie cinématographique, de sa déclinaison télévisuelle (de Dallas aux Experts) et, désormais, du flot – au sens propre – ininterrompu des informations nous ont donné le sentiment de pouvoir comprendre, comme à livre ouvert, les Etats-Unis. « Ah, ces Américains… » Ces trois mots résument notre certitude. Qui n’a jamais entendu, voire prononcé, cette apostrophe aussitôt suivie de propos généralement définitifs qu’ils soient peu amènes ou fascinés, peu souvent balancés ou tièdes.

Bref, la fusion de l’omnipotence présumée et de l’omniprésence assurée nous a rendus omniscients. Nous savons tout de la « Nouvelle Rome » : le paysage élancé de ses métropoles, son mode de vie, et même le bruit des sirènes de sa police, c’est dire… Mais aussi : leur culte de l’argent et de la réussite individuelle, la violence de leur système, économique, leur méfiance à l’égard de toute forme de protection collective, leur attachement quasi-primitif à la religion, leur méconnaissance du reste du monde et leur mauvais goût en maints domaines (pensez simplement à ce qu’ils ont fait d’un hamburger), leur rapport aussi malsain qu’incompréhensible aux armes et à la peine de mort, leur capacité à polluer plus que tout autre nation du premier monde, leur propension à infliger une guerre (Corée, Vietnam, Irak, Afghanistan) à chaque génération, bref leur acharnement à valoriser et promouvoir ce qui nous apparaît injuste et inégalitaire.

C’est un Nouveau Monde, certes mais un Autre Monde.

Chaque jour qui passe apporte son information renforçant cette image projetée d’une Amérique caricature. Ici, une attaque en règle des candidats républicains contre l’avortement. Là, une fusillade dans un lycée.

Pourtant, c’est une image déformée qui nous parvient. Dans tous les sens. Verticalement, elle n’est le reflet que d’une partie de la complexe réalité. Horizontalement, elle n’exprime qu’un moment de la vie américaine qu’il ne faut pas confondre avec le temps long.

Pour le dire de façon certainement plus simple : les Etats-Unis arrivent en bout de cycles. Au pluriel, oui. Le moment est justement singulier pour cette raison.

Le premier cycle qui prend fin est celui d’une hégémonie de la puissance américaine dans un monde dominé par les pays dits occidentaux. Le plus probable est que l’Amérique de demain sera l’une des puissances d’un monde multipolaire.

Le second est celui d’une nation « européenne », blanche, protestante et anglo-saxonne. Le certain est que l’Amérique de demain sera démographiquement sans majorité. Le potentiel est qu’elle ne soit pas « multiculturelle » mais culturellement « créolisée ».

Le troisième concerne le moment conservateur et néo-libéral que le pays traverse depuis les années 70. Le possible étant qu’un autre moment, plus ouvert, plus progressiste, moins injuste, moins inégalitaire s’ouvre, bref, qu’un nouveau New Deal surgisse.

Mais le vieux monde veut maintenir le nouveau dans son liquide amniotique. L’ultra-droite, les Tea Parties, quelques milliardaires, Fox News, un parti républicain en pleine errance extrémiste : au nom d’une Amérique éternelle, une minorité agissante couvre la voix d’une majorité silencieuse. Ce à quoi nous assistons de plus caricatural n’est pas la préfiguration d’un monde à venir : il n’est que le dernier cri d’un continent menacé d’engloutissement.

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Extrait de Dictionnaire presque optimiste des Etats-Unis, Editions Michel de Maule, octobre 2012

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