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Les dangers un peu vite oubliés à vouloir faire de l'IVG un acte médical comme un autre
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Doucement, doucement

Le Haut Conseil à l'Egalité entre les femmes et les hommes a remis jeudi au gouvernement ses propositions pour un meilleur accès à l'interruption volontaire de grossesse et pour faire de l'avortement "un acte médical comme un autre".

Jean-Sébastien Philippart

Jean-Sébastien Philippart

Jean-Sébastien Philippart est philosophe. Il est Conférencier à l'Ecole Supérieure des Arts de Bruxelles. Il est également auteur pour la revue MondesFrancophones.com.

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Atlantico : Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes vient de remettre jeudi 7 novembre un rapport au gouvernement. L'auteur du document, Françoise Laurant, souhaite ainsi faire de l'IVG "un acte médical comme un autre dans le système de soin", notamment en fluidifiant les procédures. Peut-on dire que l'avortement est à considérer comme un acte finalement assez banal sur le plan éthique ?

Jean-Sébastien Philippart : Ce qui est l’objet d’une réflexion éthique n’est pas, par définition, « banal ». Le problème essentiel tient au fait que le « débat » oscille généralement entre deux extrémités incapables par nature de parler autrement que dans leur propre langue. D’un côté, le camp vitaliste, de l’autre, le camp fonctionnaliste. Pour les vitalistes, il est absurde de penser que de la matière non-humaine puisse soudainement, à douze semaines, se transformer en un corps humain : il faut postuler une vie humaine dès la conception. Pour les fonctionnalistes, un ensemble de cellules qui ne dispose pas des fonctions nécessaires à sa vie n’est pas un être vivant et partant, une personne. Mais les uns comme les autres sont incapables de penser l’humanité en tant qu’événement, c’est-à-dire comme une potentialité dont on ne peut pas déduire a priori les effets. Les deux camps, chacun à leur manière, considèrent en définitive l’humanité comme quelque chose de programmé. Mais il n’y a pas d’un côté un embryon qui renfermerait d’ores et déjà toutes les possibilités humaines ou de l’autre, quelque chose dont la détermination lui serait extérieure. Entre les deux, il y a de l’humain (je ne dis pas un être humain) qui mérite réflexion.  

Derrière la logique portée par le HCEhf, on trouve l'idée que les procédures actuelles seraient "culpabilisantes" pour les femmes puisque des justifications leurs sont demandées et qu'un délai de réflexion de huit jours est imposé. L'IVG peut-il et doit-il devenir un service comme un autre, libéré de toutes précautions ? 

Non. Tout médecin et tout patient le pressentent, on ne pratique pas et on ne subit pas un avortement comme on enlève et se fait enlever un kyste. Par ailleurs, l’éthique qui est ici de rigueur est le fait même de la « mauvaise » conscience. L’erreur est de confondre cette mauvaise conscience avec une névrose, c’est-à-dire avec l’enfermement dans un ordre moral. La mauvaise conscience dont je parle est celle d’une conscience stoppée dans son fonctionnement (habituel), mise en question, ébranlée par ce qui provoque une authentique réflexion. Les scrupules constituent d’abord le recul qui conditionne, ouvre toute réflexion éthique.

D'aucuns dénoncent, toujours dans la même veine, une victimisation des mères à travers l'usage d'expressions comme "IVG de confort". Produire une réflexion morale sur les modalités d'application de l'avortement est-il encore acceptable aujourd'hui ?

L’ennui serait que les progressistes, les tenants de ce que Pierre-André Taguieff appelle « le nouvel ordre moral », en arrivent par la terreur intellectuelle habituelle (ne pas être d’accord avec eux vous condamne à n’être qu’un « réac ») à censurer par culpabilisation ceux qu’ils accusent de culpabiliser les femmes. En empoisonnant le débat, la mise en question de soi (source de l’éthique) se mue en sa caricature : la haine de soi.

Après l'objectivation du corps, faut-il craindre une objectivation du fœtus ?

Même aux yeux du scientifique qui objective le réel, les choses s’avèrent complexes. La vie prénatale est partagée entre l’embryon et le fœtus, lequel est partagé entre un avant et un après x semaines. On sent que les frontières sont instables et que donc un pas pourrait être franchi en direction de cette objectivation. Mais cela n’irait pas justement sans une nouvelle distribution de limites.

De manière plus générale, cet événement ne démontre-t-il pas une certaine désacralisation de la vie prénatale dont on pourrait disposer sans entraves ?

D’une manière générale, la modernité est étroitement associée à une désacralisation du monde ; mais, à nouveau, en faisant reculer les frontières de l’impuissance, on continue à pressentir que quelque chose nous échappe. Et c’est précisément cette part énigmatique qui relance sans cesse le débat et provoque la réflexion. Le problème n’est pas tant la volonté de maîtrise que la passion de la maîtrise. L’être passionné est celui qui s’emporte, manque de recul et devient insensible ou aveugle à cette part énigmatique et sauvage qui désormais le possède au lieu d’être mise en parole dans le dialogue avec les autres.   

Quelle image cela renvoie-t-il à nos sociétés modernes ?

Le paradoxe est le suivant. Ceux qui se veulent progressistes (les passionnés du progrès) sur le plan économique se montrent ultralibéraux sur le plan moral. Les mêmes qui défendent une solidarité des corps souffrants par le travail, fantasment un être disposant totalement de son corps, un être pour lequel le corps ne serait qu’une étendue que la conscience dominerait du regard et prendrait en main de part en part. Dans cette optique, le corps du progressiste n’est que le corps sans consistance d’un être inhabité par l’autre et partant, incapable d’être touché par les autres. Vouloir maîtriser passionnément notre corps nous le rend étranger, nous rend étrangers à nous-mêmes et aux autres.    

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