Les chiffres clés d'un budget 2024 écartelé entre la fin du mois et la fin du monde<!-- --> | Atlantico.fr
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Cette loi de finances, plus que tout autre, est censée fixer le cap de l'action politique française, elle a été préparée et sera présentée sous la surveillance étroite du président de la République, ce qui ne facilite pas le travail.
Cette loi de finances, plus que tout autre, est censée fixer le cap de l'action politique française, elle a été préparée et sera présentée sous la surveillance étroite du président de la République, ce qui ne facilite pas le travail.
©Yoan VALAT / POOL / AFP

Atlantico Business

Le budget 2024 essaie de se ménager des marges de manœuvre pour amortir le choc du pouvoir d'achat et sauver sa priorité de lutter contre le réchauffement climatique. Les experts sont sceptiques, et l'opinion publique ne va rien comprendre.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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La présentation du projet de loi de finances pour l'année prochaine est toujours l'exercice clé du gouvernement parce que normalement c'est lui qui trace la stratégie chiffrée qui permet de caractériser la politique économique. C'est pour l'État l'équivalent d'un business plan pour l'entreprise. Au moins en théorie.

Il aligne d'un côté les dépenses publiques (dépenses de fonctionnement, rémunérations et frais généraux), les dépenses d'investissement (grands projets amortissables). De l'autre, les recettes, et notamment les impôts, les taxes et les dividendes versés par les entreprises publiques.

Apparemment, c'est très simple, sauf que le budget doit prévoir l'année en cours sans insulter l'avenir, et que contrairement à un business plan, la structure d'une loi de finances à une influence directe sur l'activité économique.

Ce n'est pas seulement un exercice de comptabilité qui enregistrerait des comptes, c'est un outil de gestion dont la réalisation pèse sur les résultats. Le montant des dépenses publiques peut avoir un impact sur la consommation. Le montant prévu des prélèvements fiscaux a un effet direct sur le comportement des contribuables et surtout des entreprises. Au total, la construction de la loi de finances est un exercice horriblement compliqué et politique, puisqu'il est soumis à l'approbation d'une majorité politique. Comme la gouvernance actuelle n'a pas de majorité claire, il lui va falloir négocier des compromis, et le gouvernement a jusqu'au 31 décembre minuit pour y parvenir.

Le gros du travail revient au ministre de l'économie et des finances, Bruno Le Maire. Mais comme cette loi de finances, plus que tout autre, est censée fixer le cap de l'action politique française, elle a été préparée et sera présentée sous la surveillance étroite du président de la République, ce qui ne facilite pas le travail.

Emmanuel Macron a dimanche soir dernier renouvelé le faisceau de contraintes dans lesquelles il veut achever son quinquennat.

Son propos un peu fouillis, un peu haché, n'a pas été reçu très clairement, mais il a néanmoins donné ses deux objectifs : D'un côté, il veut calmer la grogne sociale qui gronde aux pompes à essence, et de l'autre donner des gages à une grande partie de l'opinion préoccupée par le réchauffement climatique. D'un côté, préserver la fin du mois pour éviter une explosion du type "gilets jaunes". De l'autre, tout faire pour éviter la fin du monde et désamorcer les revendications d'une partie de la population sensible à l'écologie.

À partir de là, c'est au gouvernement de se débrouiller, et ça ne va pas être facile. Pas facile, parce que ce double objectif est évidemment pavé de contradictions. La Première ministre qui s'est précipitée pour annoncer une obligation de vendre de l'essence à perte a dû rapidement ravaler son projet, car il faudrait une loi pour lever cet interdit, mais surtout parce que les chefs d'entreprise, toutes catégories confondues, se sont dressés vent debout contre une telle idée. La vente à perte, c'est la mise à mort du système de l'économie de marché et l'asphyxie de la concurrence, qui reste quand même un bon outil de progrès.

Pas facile, parce que baisser artificiellement le prix de l'essence (soit par la vente à perte, soit par la subvention, soit par une baisse de la TVA) revient à soutenir la consommation d'énergie que par ailleurs on voudrait à terme supprimer et remplacer par de l'électricité.

Pas facile, parce que juridiquement, financièrement, et politiquement on ne peut pas poursuivre les deux objectifs en même temps. Il va falloir adoucir les angles, revoir les calendriers, modifier les priorités ou affronter des oppositions politiques.

Bruno Le Maire va donc se retrouver en première ligne sur le front des finances, un peu comme son collègue Gérald Darmanin qui fait face aux obligations de sécurité ou Gabriel Attal qui a pris à bras le corps la gestion du "mammouth" de l'Education nationale.

Les chiffres du budget qui seront au centre des débats sont très simples, et le ministre de l'économie sait parfaitement bien qu'il va devoir se battre et défendre principalement quatre points très sensibles.

Premier chiffre clé : celui de la croissance attendue en 2024. Le gouvernement a abaissé sa prévision de croissance pour l'an prochain à 1,4 %, contre 1,6 % prévu auparavant, mais il a dans l'ensemble maintenu inchangées ses prévisions à l'horizon 2027. Bercy est revenu un peu en arrière compte tenu des prévisions des instituts français et européens, compte tenu de la décision des banquiers centraux de maintenir les taux d'intérêt élevés. Cette croissance faible va peser sur les recettes fiscales et rend le rééquilibrage général plus difficile.

Deuxième chiffre clé : celui des dépenses de fonctionnement. Le projet prévoit que le total des crédits budgétaires affectés aux missions du budget général s'élèvera à 356 Md, soit une baisse de 4,8 milliards d'euros par rapport à 2023. C'est très peu. Les dépenses de l'État baisseront afin d'engager une trajectoire de diminution de la dépense globale, de désendettement (actuellement plus de 3000 milliards) et de réduction du déficit.

Troisième chiffre clé : celui du déficit public prévu en réduction de 4,9 % à 4,4 % du PIB, avec un objectif de 2,7 % en 2027. Ces trois premiers chiffres du budget vont donner lieu à des débats assez violents au Parlement. Pierre Moscovici, président de la Cour des comptes, a déjà hier tancé le gouvernement pour son laxisme dans la gestion des dépenses publiques. Pour Bruno Le Maire, le gouvernement a pris l'engagement de ne pas augmenter la pression fiscale pour ne pas handicaper l'activité et la croissance, ni le pouvoir d'achat, qui est déjà mis à mal par l'inflation des prix des carburants.

Mais d'autre part, Bruno Le Maire expliquera aussi que ce budget 2024 va respecter les engagements de sortir progressivement des boucliers énergie, la fin des aides exceptionnelles aux entreprises et la sortie du plan de relance. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le président de la République a été aussi réservé et disons plutôt flou dans les aides que le gouvernement pourrait apporter aux automobilistes en réponse aux nouvelles hausses de prix des carburants. Ce dossier-là a été transféré aux pétroliers, aux distributeurs. Le gouvernement ne peut pas tout gérer, tout réglementer : les prix, les salaires et les marges. En revanche, le gouvernement a la responsabilité de préparer la transition énergétique. D'où une quatrième série de chiffres qui vont soulever beaucoup de débats eux aussi.

Quatrième chiffre clé : celui consacré au financement de la planification écologique. Selon le projet de loi de finances, les moyens dédiés à la planification écologique progressent de 7 milliards d'euros par rapport à 2023, des crédits qui sont destinés à la rénovation de l'habitat et de l'immobilier de l'État. Une augmentation qui s'ajoute aux crédits annuels qui dépassent les 50 milliards, déjà budgétés. Sans compter ce que demande EDF pour la rénovation de ses centrales nucléaires et le lancement de ses EPR. Étant donné que le gouvernement a pris des engagements de renforcer les budgets de l'éducation nationale, de la recherche et de la défense nationale, on comprend que le débat sur le montant et l'affectation des dépenses d'investissement va être violent. Et le point de violence maximum sera centré sur les dépenses concernant la transition écologique, c'est-à-dire tout ce qui touche à la lutte contre le réchauffement climatique.

Bruno Le Maire va donc se retrouver avec l'obligation de faire cette pédagogie pour sortir d'une contradiction qui touche d'ailleurs toutes les grandes démocraties occidentales : Comment financer la transition sans faire appel à l'impôt et répondre aux revendications immédiates d'une partie de l'opinion publique ? On va retomber dans ce jeu qui oppose en permanence la fin du mois et la fin du monde. C'est évidemment un problème politique, et comme la politique française n'a pas de majorité claire, la question risque d'être difficile à résoudre.

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