Le XXIe siècle est religieux mais est-il encore chrétien ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Chantal Delsol publie « La fin de la chrétienté » aux Editions Débats Lexio.
Chantal Delsol publie « La fin de la chrétienté » aux Editions Débats Lexio.
©Alberto PIZZOLI / AFP

Bonnes feuilles

Chantal Delsol publie « La fin de la chrétienté » aux Editions Débats Lexio. Après seize siècles de chrétienté, notre société connaît une véritable inversion normative et philosophique. Ce changement brutal est, pour certains, difficile à accepter. Le christianisme d'aujourd'hui doit bâtir un nouveau mode d'existence. Extrait 2/2.

Chantal Delsol

Chantal Delsol

Chantal Delsol est journaliste, philosophe,  écrivain, et historienne des idées politiques.

 

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Il est très certain que les expériences corporatistes et fascistes ont jeté un discrédit durable sur le catholicisme. Elles ont laissé croire que cette religion n’avait pas vraiment abandonné ses velléités inquisitoriales, puisqu’elle était encore capable de vouloir imposer ses principes par la force.

Pendant ce temps, les courants de la démocratie chrétienne inspiraient des gouvernements modérés. Probablement ont‑ils contribué à main‑ tenir en vigueur les principes chrétiens. Plutôt faudrait‑il dire, leur procurer un sursis, comme le montre, par exemple, l’histoire des lois sur le divorce en Italie. Il faut le dire : aucune société chrétienne ne repousse la vague moderne, même si, comme la Pologne d’aujourd’hui, elle offre une résistance remarquable. Comme si un destin contraire gouvernait les coulisses de l’histoire, toutes les réactions de défense, tous les gestes accomplis pour durer encore dans le temps, modérés ou violents, n’ont abouti à rien –  la Chrétienté a poursuivi inexorablement sa marche à l’abîme.

L’après Seconde‑Guerre a marqué le début d’une longue descente, et jusqu’aux années soixante, pendant lesquelles tout allait se défaire. La seconde moitié du XXe siècle voit, dans les pays occidentaux développés, le christianisme perdre son ampleur et sa notoriété. Et, en même temps, les principes cruciaux de la civilisation chrétienne s’effondrent définitivement, comme on le verra. Autrement dit, la chrétienté s’effondre en même temps que le christianisme s’amoindrit excessivement.

André Malraux, on s’en souvient, avait dit prophétiquement que le XXIe siècle serait religieux. Chez les chrétiens, on aime cette phrase qui conforte la volonté de résister au temps : parlant de « religion » on ne peut que sous‑entendre « christianisme ». Mais la situation spirituelle n’a pas évolué comme prévu. Certes, le XXIe siècle est religieux –  mais il n’est plus chrétien. D’autres religions ont envahi la scène.

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Il n’y a pas grande prophétie à prédire qu’un siècle sera religieux –  car tous les siècles le sont. Tant que l’humanité sera imparfaite et mor‑ telle (jusqu’à la fin des temps sans aucun doute, en  dépit des affabulations du post‑humanisme), elle se donnera des religions, des sagesses, des morales. Seule la rationalisation extrême et fugace des Lumières, détachée des réalités, a pu croire à l’avenir de l’athéisme. Comme le souligne Dominique Folscheid, l’athéisme n’existe pas, sinon pour quelques Occidentaux qui, nantis d’un seul Dieu, en viennent à le perdre et s’imaginent finalement que l’on peut vivre sans aucun dieu. On peut ajouter, à la lumière des circonstances récentes, que l’athéisme représente bel et bien une illusion, une vanité de l’esprit fort, enfin une impossibilité, puisqu’aussitôt déchu le christianisme, toutes sortes d’autres dieux viennent prendre sa place. Non, la fin de la Chrétienté ne laissera pas émerger des sociétés athées, parce que cela simplement n’existe pas. Les sociétés ne sont pas composées de quelques intellectuels, mais de peuples, auxquels le bon sens souffle qu’il existe des mystères derrière la porte, et qui sont au moins agnostiques s’ils ne sont pas croyants.

Après avoir longtemps cru (lisez Renan !) que l’esprit religieux allait s’éteindre tout naturelle‑ ment avec le progrès des sciences, nous sommes en train de rétracter cette vaniteuse erreur. Il est difficile aujourd’hui de dire quelque chose de l’homme, créature si mouvante : pourtant, il semble bien que le besoin religieux ne soit pas destiné à mourir avec le progrès. Les humains, parce que leur monde est imparfait et parce qu’ils vont mourir, ont besoin d’idéaux, de morale et aussi de mythes, et ce ne sont pas les spéculations des Lumières qui vont les en débarrasser – il s’agit là des forces chtoniennes de la condition humaine, qui nous échappent de partout. Un élève de Habermas, Hans Joas, écrit ironique‑ ment que « l’on peut imaginer un futur sans religion, et aussi sans musique, sans danse et sans théâtre… » Les idéaux se réinventent autrement, mais le désenchantement ne signifie pas le règne de l’athéisme et du rationalisme tout‑puissant. L’expérience de chaque jour nous confirme que la morale n’a pas disparu avec la chute de la Chrétienté, et même que la morale envahit tout – cela est une autre histoire.

Le célèbre désenchantement du monde lui‑ même est désenchanté. La fin de la Chrétienté est suivie non par l’athéisme et le nihilisme, mais par de nouveaux mythes et idéaux. Ni la civilisation ni la morale ne s’arrêtent avec la Chrétienté. Elles s’orientent autrement et suivent d’autres voies. Nous ne sommes pas en train de vivre une descente aux enfers ni une perte totale de ce qui fait l’humanité. Mais un changement de paradigmes qu’on peut juger radical et discutable, mais qui n’en défend pas moins d’autres principes honorables. Mon maître, Julien Freund, pourtant hanté par les cauchemars de la décadence, parlait d’un Nouvel Âge. Je reprends cette expression. Le nouvel âge sera l’âge des sagesses et du paganisme, nécessairement redécouverts après la récusation de la transcendance.

Il faut, je crois, comprendre le moment que nous vivons comme une révolution, au sens strict de retour de cycle, dans les deux domaines fondateurs de l’existence humaine : la morale et l’ontologie. Nous sommes à la fois les sujets et les acteurs d’une inversion normative et d’une inversion ontologique. C’est dire que nos préceptes moraux aussi bien que nos visions du monde – avec notre place au sein de ce monde  – sont en train de se renverser. Non pas que l’ancien fasse place à des nouveautés inédites – il n’y a pas beaucoup de nouveau sous le soleil. Mais on assiste plutôt à une sorte de retour aux sources – à quelles sources ?, mais à celles qui précédaient la Chrétienté, et même la judéo‑chrétienté.

Extrait du livre de Chantal Delsol, « La fin de la chrétienté », publié aux Editions Débats Lexio

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