Le taux de chômage suisse repasse sous la barre des 3% : mais comment font-ils ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Un photographie d'un drapeau suisse. Le taux de chômage en Suisse est passé sous la barre des 3%.
Un photographie d'un drapeau suisse. Le taux de chômage en Suisse est passé sous la barre des 3%.
©Fabrice COFFRINI / AFP

Modèle suisse

Le taux de chômage en Suisse est passé sous la barre des 3%. Comment expliquer cette nouvelle diminution malgré la crise sanitaire ? Quelles sont les solutions suisses au chômage que la France pourrait importer ?

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

Voir la bio »

Atlantico : Le taux de chômage en Suisse est passé sous la barre des 3%. Qu’est-ce qui explique cette nouvelle diminution d’un taux déjà très bas ?

Michel Ruimy : Avant tout, il faut bien saisir que la réussite suisse en matière d’emploi tient à une main d’œuvre qualifiée mais surtout à un dialogue social, permanent et décentralisé. La législation du travail est réduite : il n’y pas de code du Travail suisse au nom de la « liberté économique » et les règles relatives aux relations du travail sont éclatées dans différents supports comme, par exemple, le code des obligations, équivalent à notre Code civil, où se trouvent tous les éléments relatifs au contrat de travail. Cette culture du consensus est une donnée fondamentale. La dernière grève générale nationale remonte à... 1918. Certes, il existe des divergences mais les principes fondateurs de l’économie suisse sont défendus par tous : une économie ouverte et libérale, un souci de maintenir la prospérité du pays quitte à accepter des sacrifices, etc.

En outre, afin de mieux saisir la réalité, il convient de considérer le taux de chômage au sens de l’Organisation international du travail. Celui se situe à environ 4,5%, niveau relativement faible comparé à d’autres pays, notamment la France.

Plusieurs raisons peuvent expliquer la situation actuelle. Tout d’abord, un système de formation adapté aux besoins des entreprises, avec un apprentissage qui permet la bonne intégration de personnes qui ont des qualifications moyennes ou basses. La formation professionnelle initiale occupe un rôle prépondérant, permettant au pays de conserver un bas taux de chômage des jeunes alors qu’il est d’environ 15% dans l’Union européenne (UE) et de plus de 20% en France.

À Lire Aussi

Quand le chômage de longue durée modifie jusqu’à la personnalité des demandeurs d’emploi

Ensuite, la flexibilité du marché du travail. Les salaires sont peu réglementés et les conditions de licenciement souples, ce qui facilite les embauches dans les entreprises. L’employeur est, en outre, libre du choix du contrat de travail (CDI, CDD, intérim) ainsi que de l’origine de son collaborateur (Suisse ou UE).

Enfin, si le système d’assurance chômage est assez protecteur, il exige également un effort permanent des demandeurs d’emploi pour retrouver rapidement du travail. Dès lors, les périodes de chômage restent relativement courtes pour la plupart des demandeurs d’emploi, avec une durée moyenne d’environ 7 mois pour les personnes inscrites auprès d’un Office régional de placement de l’assurance chômage.

Ces caractéristiques associées à une économie solide et à une industrie d’excellence permettent à la Suisse d’afficher un niveau de chômage maîtrisé, même si celui-ci n’est pas uniforme dans le pays : les régions italophone et francophone, à l’opposé de celles de la partie alémanique, sont généralement celles qui sont les plus exposées au risque de chômage.

Néanmoins, tout n’est pas aussi idyllique. Le marché du travail est dépendant des fluctuations du cours du franc suisse qui s’est souvent apprécié au plus fort des tempêtes économiques mondiales. Ainsi, le tourisme souffre de cette situation monétaire, avec à la clé moins d’emplois dans ce secteur, l’industrie, notamment la pharmacie, la mécanique de précision…, fortement exportatrice, est également exposée à cette situation.

Par ailleurs, afin de mieux employer le potentiel de travail disponible, il est essentiel de mieux préparer les salariés de toutes les générations aux transformations technologiques. Ceci nécessite, d’une part, des mesures ciblées pour améliorer les qualifications car ce sont souvent des postes à profil d’exigences plus élevées (Mathématiques, Informatique, Biologie, Technique) qui restent vacants et d’autre part, un moyen de maintenir les « seniors » en activité.

À Lire Aussi

Le pays qui a le plus faible taux de chômage de la zone euro est… La République tchèque. Et voilà pourquoi

Enfin, le maintien du chômage au niveau actuel pourrait renchérir les coûts de production du fait d’une éventuelle hausse des salaires. Si l’inflation venait à augmenter rapidement, la banque centrale serait alors contrainte de relever son taux d’intérêt directeur, scénario probable parmi d’autres mais que, selon toute vraisemblance, elle commencera à mettre en œuvre après la Banque centrale européenne.

Comment le marché de l’emploi suisse a-t-il affronté et survécu à la crise sanitaire qui a pourtant durement frappé le pays ?

Bien que nettement plus faible que chez ses voisins en Europe, le taux de chômage en Suisse a progressé pour s’établir à 3,1% en moyenne sur l’ensemble de l’année 2020, le recours au chômage partiel ayant freiné le choc sur l’emploi. Le pic a été atteint en janvier 2021 (3,7%).

Le pays est traditionnellement caractérisé par une pénurie de main-d’œuvre. Mais, la crise sanitaire et la récession qu’elle a entraînée ont eu un impact considérable sur le marché de l’emploi : le nombre de postes à pourvoir a diminué dans la plupart des professions tandis que le nombre de demandeurs d’emploi s’est élevé. Certains secteurs et régions ont été toutefois inégalement touchés.

La pandémie a creusé une forte pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs-clé : pharmacie, médecine, notamment en gériatrie, en psychogériatrie et en médecine d’urgence, ingénierie informatique où la numérisation accélérée et le télétravail ont fait progresser la demande de personnel, etc. D’autres centrés sur le service à la clientèle : hôtellerie, restauration, commerce de détail ont enregistré une forte hausse du chômage du fait des mesures de confinement. Par ailleurs, elle a touché les régions de manière différente. La Suisse alémanique a été plus fortement touchée que les autres avec un fort recul des offres d’emploi dans les professions commerciales et administratives. En Suisse romande, la demande non satisfaite en techniciens ou en comptables a été plus faible.

À Lire Aussi

2,4% de chômage en Suisse, 9,3% en France : mais pourquoi la recette helvétique est-elle donc si difficile à importer ?

Si, la première vague du Covid-19 a créé un sentiment d’incertitude au sein des dirigeants d’entreprise, ceux-ci ont pu s’appuyer sur leur expérience de la première vague et, malgré les mesures restrictives, les entreprises ont recruté à nouveau de plus en plus de personnel.

La Suisse est historiquement un pays où le chômage a rarement été une préoccupation majeure. Y-a-t-il des solutions suisses au chômage que la France pourrait importer ?

Cette question est difficile, tant le fonctionnement du marché du travail suisse est éloigné de celui de la France : absence de salaire minimum, pas de durée légale du travail, ni indemnités de licenciement, ni heures de délégation...

Même si les « ordonnances Macron » vont dans le sens d’une décentralisation de la négociation, les Français ne me semblent pas assez prêts pour adopter un esprit aussi libéral. En cette période pré-électorale, imaginez-vous un candidat à l’élection présidentielle, proposer dans son programme une réforme du marché du travail dont la teneur serait notamment « pas de salaire minimal, pas de durée légale de travail » au nom de l’intérêt suprême de la Nation ?

En fait, la modification fondamentale des règles du marché du travail français nécessite un choc / événement fondateur qui bouleverserait le monde du travail (crise sanitaire ?) en unissant l’ensemble des Français autour d’une nouvelle organisation du travail. En attendant, il faut se contenter de petits changements en souhaitant de ne pas devoir attendre trop longtemps pour observer une baisse très sensible du taux de chômage.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !