Le secret des gens qui se disent les plus heureux ne va pas plaire aux progressistes…<!-- --> | Atlantico.fr
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En France, si le couple reste une valeur forte, le mariage n’y est plus plébiscité dans les nouvelles générations (les deux tiers des enfants naissent hors mariage).
En France, si le couple reste une valeur forte, le mariage n’y est plus plébiscité dans les nouvelles générations (les deux tiers des enfants naissent hors mariage).
©Martin BUREAU / AFP

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Les adultes américains qui se disent les plus heureux cumulent les éléments d’une situation sociale élevée.

Gérard Neyrand

Gérard Neyrand

Gérard Neyrand, professeur émérite de sociologie, Université de Toulouse, auteur notamment de L’amour individualiste. Comment le couple peut-il survivre ?, Érès, 2018 ;  Soutenir et contrôler les parents. Le dispositif de parentalité, Érès, 2019 (2011) ; Le dialogue familial. Un idéal précaire, Érès, 2009.

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Atlantico : Quelles sont les principales leçons sur le bonheur en fonction du statut marital et de l’orientation politique au regard des travaux menés par Sam Peltzman de l’Université de Chicago dans son étude ?

Gérard Neyrand : Le document de Sam Peltzam, intitulé « La démographie socio-politique du bonheur », s’inscrit dans une tradition déjà ancienne des travaux des psychologues anglo-saxons sur le bonheur, qui s’est structurée à la création par Martin Seligman du mouvement de la Psychologie positive en 1998. Il s’agissait de prendre le contrepied de l’approche psychopathologique des phénomènes psychiques, jusqu’alors dominante, en étudiant plutôt les conditions du bien-être, si ce n’est du bonheur lui-même. Cette approche, typiquement nord-américaine, a fait l’objet de nombreuses critiques, dont la plus fameuse est celle de Cabanas et Illouz (qui seraient sans doute à classer dans les « progressistes » que vous évoquez dans votre titre), dans leur livre Happycratie. On reproche notamment à ce courant de ne pas tenir compte des conditions sociales de vie comme influant sur un possible ressenti de bien-être ou de bonheur chez les personnes interrogées, et de ne proposer comme solution au manque de bien-être chez certains qu’un travail d’auto-persuasion visant à mieux s’accepter dans son cadre de vie pour accéder au bonheur. Il s’agit d’une approche profondément a-sociologique puisque est évacuée la détermination de la situation des individus par les structures sociales, renvoyant ceux-ci à leur seule responsabilité de cette situation. Dès lors, peut être énoncée que les adultes américains qui se disent les plus heureux cumulent les éléments d’une situation sociale élevée : le mariage, le niveau d’instruction, les opinions politiques conservatrices, la pratique religieuse, le niveau de revenus, la race blanche, - le genre et l’âge étant beaucoup moins différenciateurs, même si émerge l’existence d’un moindre bonheur chez les très âgés. Des résultats qui n’ont en soi rien d’étonnant, comme le dit l’adage populaire : il vaut mieux être riche et bien portant que pauvre et malade… La société américaine produit ainsi son idéologie auto-justificatrice, tant de l’American way of life, que du Self-made-man, en d’autres termes celle du néolibéralisme.

Ces conclusions et ces résultats sur le bonheur et sur les personnes les plus heureuses (les personnes mariées, conservatrices, diplômées…) ne sont-ils pas un pied-de-nez à l’idéologie wokiste ? Qu’est-ce que cela nous dit sur la société ?

Difficile de répondre à cette question car je ne sais pas a priori ce qu’est « l’idéologie wokiste ». Pour Pierre Valentin, auteur de L’idéologie woke, « être woke » est le contraire d’« être endormi » ; c’est être conscient des injustices sociales, politiques, et lutter contre le racisme et l’oppression vécue par certaines minorités, la formule prenant de l’ampleur une fois que le mouvement contre les inégalités raciales Black Lives Matter l’emploie à partir de 2013. Le constat de Sam Peltzam n’apparaît pas alors contraire à cette façon de voir les choses, puisqu’il indique qu’effectivement les personnes dans des situations dominées seraient moins heureuses que les autres.

Cela nous dit que la société est un lieu d’affrontements, au niveau économique, politique, et aussi idéologique, et que chaque société a tendance à produire une idéologie dominante qui la justifie. Dans les sociétés occidentales, et en premier lieu aux Etats-Unis, il s’agit d’une idéologie que l’on peut qualilfier de néolibérale prônant l’individualisme et les réponses individuelles aux problèmes sociaux, et présentant une certaine conception du bonheur comme l’objectif à atteindre pour tous par un travail sur soi.

Ces critères s’appliquent-ils aussi à la France ?

Ces critères s’appliquent plus difficilement à la France, car celle-ci possède une tradition républicaine et démocratique fortement ancrée depuis la Révolution, et s’avère beaucoup moins traditionnaliste que les USA, même si l’idéologie néolibérale est très active, portée par la publicité et le marketing, et a un fort impact aussi bien au niveau politique qu’au niveau des comportements individuels.

En effet, d’une part la conception du bonheur n’est pas la même, aux Etats-Unis elle est centrée sur l’accès à la consommation, en France elle est plus relationnelle, et se distingue nettement du bien-être. De plus, contrairement à l’Amérique du nord, l’importance de la religion est bien moindre, et, en parallèle, si le couple reste une valeur forte, le mariage n’y est plus plébiscité dans les nouvelles générations (les deux tiers des enfants naissent hors mariage). De même, le clivage entre les origines est bien moins important, la France étant traditionnellement un pays de métissages (28 % des mariages concernant un Français ou une Française sont mixtes).

Bien sûr, le niveau d’éducation et le niveau de revenus (qui sont en partie liés) ont, sans aucun doute, un impact important sur le sentiment de bien-être, voire de bonheur. Quant aux opinions politiques, on peut penser qu’une sensibilité « progressiste », donc consciente des inégalités sociales et souhaitant les changer, n’est pas encline à se déclarer « heureuse » dans une société telle que la nôtre.

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