"Le Rire ou la vie. Anthologie de l’humour résistant 1940 -1945" de Alya Aglan : Rire du pire : quand la résistance fait feu de tout bois. Un précieux recueil, composé de documents rares<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Culture
"Le Rire ou la vie. Anthologie de l’humour résistant 1940 -1945" de Alya Aglan.
"Le Rire ou la vie. Anthologie de l’humour résistant 1940 -1945" de Alya Aglan.
©Culture Tops

Atlanti-culture

Le livre "Le Rire ou la vie. Anthologie de l’humour résistant 1940 -1945" de Alya Aglan est paru aux éditions Gallimard.

Jean Ruhlmann

Jean Ruhlmann

Jean Ruhlmann d’abord professeur d’histoire en collège, est actuellement enseignant-chercheur en histoire contemporaine à l’université de Lille – Charles de Gaulle. Le théâtre est une passion qui remonte à sa découverte du Festival d’Avignon ; il s’intéresse également aux séries télévisées. Il est, avec Charles Edouard Aubry, co-animateur de la rubrique théâtre et membre du Comité Editorial de Culture-Tops.

Voir la bio »

LE RIRE OU LA VIE. ANTHOLOGIE DE L’HUMOUR RÉSISTANT 1940 -1945

Gallimard (coll. “Folio - inédits histoire“, n°332)
Parution le 10 avril 2023
304 pages
9,20 €

Notre recommandation : EXCELLENT

THÈME

Cet ouvrage utilise la formule de l’anthologie pour nous présenter un large (82 documents) échantillon de l’humour résistant, sous tous ses aspects (thématiques, formes, provenances).

Après une robuste introduction de l'auteure, qui rappelle la place et les fonctions du rire dans cette « littérature de survie », cette anthologie présente la variété des attaques comiques lancées par les résistances depuis l’hexagone, Londres ou l’Empire.

Ces attaques ciblent aussi bien le régime de Vichy, sa politique (la Révolution nationale, la collaboration) que ses dirigeants - le « maréchal Ducono » et Pierre Laval-le « Bougnaparte » en tête (voir Un extrait) – mais aussi les puissants du IIIe Reich – avec une prédilection pour le Führer et ses complices (de « type aryen : blond comme Hitler, mince comme Goering et grand comme Goebbels »…), et une place de choix pour les collaborationnistes français les plus notoires (« Nos têtes de traîtres » exécutées par Christian Pineau dans Libération, organe clandestin de Libération-Nord).

Chaque document reproduit dans l’ouvrage fait l’objet d’un travail conséquent d’analyse “interne“ et “externe“ (pour reprendre le jargon des historiens) ; il est précédé d’une présentation à la fois concise et précise sur l’auteur, le contexte et les caractéristiques propres à en éclairer la signification. Ainsi informé, le lecteur peut pleinement savourer la puissance comique du trait.

À Lire Aussi

"Le cavalier de Saumur" de Florian Préclaire : Un héritage historique qui se veut un hommage littéraire. Un récit parfois confus

POINTS FORTS

 Le rire ou la vie recèle d’innombrables pépites, que Alya Aglan, forte de sa compétence sur sa période de prédilection, a dénichées pour nous et notre plus grande joie. Comment ne pas être impressionné en effet par cette variété de formes (dessins, textes publiés en tracts, articles) et de provenances (d’un extrait de La Revue des Bretons des Forces Françaises Libres à cet autocollant caricaturant Hitler et parachuté dans le Lot !) mises en avant tout au long de l’ouvrage ? Il en va de même s’agissant des provenances : depuis la métropole, d’Outre-Manche, du bout du monde et jusqu’à Ravensbrück, la Résistance française fit précocement et intensément feu de tout bois !

De plus, l'auteure a délibérément choisi de ne pas suivre dans l’organisation de son propos la pente - à vrai dire parfois un peu facile - du déroulé chronologique, qui sert de viatique à de nombreux historiens. Certes, les aficionados retrouveront des chapitres consacrés à des moments-charnières de l’Occupation ; de plus, étant donné les cibles de ce “comique résistant“ (exposées plus haut), on discerne parfaitement en creux une histoire de la Révolution nationale, de l’Occupation et de la collaboration dans leur essor, leur apogée et leur chute.

Ces aspects se combinent ici avec une approche qui met parfaitement en valeur l’efflorescence du discours comique résistant, en consacrant la plupart des chapitres à ses types de supports. C’est là que l’on mesure toute la richesse du matériau que Alya Aglan nous propose : caricatures et chansons satiriques bien sûr, mais aussi graffitis, poèmes à double sens, faux documents administratifs, faire-part souvent désopilants, papillons et tracts clandestins… L’inventivité des résistants est, à l’inverse de leurs moyens matériels, sans limite !

QUELQUES RÉSERVES

La seule est d’ordre éditorial, car si la plupart des documents sont parfaitement visibles, d’autres en revanche souffrent d’une reproduction à un format trop réduit.

ENCORE UN MOT...

Avec Le rire ou la vie, l’on tient un ouvrage qui remet au goût du jour l’anthologie, et l’applique remarquablement à une période, un genre de discours et d’engagement plutôt inattendus.

Le contenu de l’ouvrage soulève une bonne humeur un peu paradoxale, quand on sait les risques encourus par les auteurs de ces flèches comiques, et le sort réservé à quelques-uns d’entre eux, Germaine Tillion (déportée, elle eut le cran de composer un opéra-revue, Le Verfügbar aux enfers, à Ravensbrück en octobre 1944)  ou Robert Desnos (mort en déportation), pour ne citer que les plus célèbres “archers du trait comique“…

Ce précieux recueil, composé de documents rares, administre la preuve, certes que l’on peut rire de tout, mais surtout qu’on peut le faire à n’importe quel moment, y compris dans ceux parmi les plus sombres pour le pays et le genre humain…

UNE PHRASE

Sur l’air de Tout va très bien, madame la Marquise de Ray Ventura (et ses Collégiens) : 
[Adolf à Benito] : « Allo ! Musso, quelles nouvelles ?
On m’annonce depuis quelques jours
Que l’Italie branle et chancelle,
Faut-il aller à son secours ?...
[Benito à Adolf] : « Cela n’est rien, ce n’sont que des bêtises,
Tout va très bien, tout va très bien…
Pourtant il faut, il faut que je te dise,
Je déplore un tout petit rien,
Des petites villes ont été prises
Sur le front grec et en Libye,
Mais pour cela ne te fais pas d’chagrin,
Tout va très bien, tout va très bien ! »
(anonyme, publié en Zone sud, non daté)

Première strophe du Maréchal Ducono : 
« Maréchal Ducono se page avec méfiance,
Il rêve à la rebiffe et il crie au charron
Car il se sent déjà loquedu et marron
Pour avoir arnaqué le populo de France. »
(sonnet en argot composé par Robert Desnos pour L’honneur des poètes)

Charade :
« Mon premier est un menteur,
Mon deuxième est un menteur,
Mon troisième est un menteur,
Mon quatrième est un menteur,
Mon tout est un menteur.
Ce n’est pas Hitler, qui est-ce ?
Mais PIERRE LAVAL, bien sûr ! En effet :
PI – parce que piment,
ERRE : parce que errement,
LAV – parce que lavement, 
AL – parce que Allemand. »
(supplément lyonnais du journal Combat, décembre 1942]

L'AUTEUR

Alya Aglan, née en 1963, est professeur d’histoire contemporaine à l’université de La Sorbonne-Paris I. Elle a consacré ses recherches à la période de l’Occupation en général, aux mouvements de résistance en particulier (le réseau Jade-Fitzroy, puis le mouvement Libération-Nord entre autres), mais aussi aux relations internationales et aux conflits contemporains.

Elle est l'auteure en 2020 de La France à l’envers (éd. Gallimard, coll. “Folio-histoire“), une remarquable synthèse nourrie des apports de la recherche historique consacrée au régime de Vichy, après avoir dirigé avec Robert Frank les deux volumes de La Guerre-monde (1937-1947), somme publiée en 2015 (éd. Gallimard, coll. “Folio-histoire“).

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !