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Le prix de l'essence augmente parce que le prix du brut augmente, et que les taxes suivent le mouvement de loin. Mais il existe aussi des raisons "cachées"
Le prix de l'essence augmente parce que le prix du brut augmente, et que les taxes suivent le mouvement de loin. Mais il existe aussi des raisons "cachées"
©ADRIEN NOWAK / HANS LUCAS / AFP

Atlantico Business

Il y a des raisons cachées. Le prix de l'essence augmente parce que le prix du brut augmente, et que les taxes suivent le mouvement de loin. Mais en réalité, ce qui explose ce sont les marges réalisées sur le raffinage, et là, c'est beaucoup moins visible

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Il est aussi l'auteur du blog http://www.jeanmarc-sylvestre.com/.

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Quand le prix de l'essence atteint les 2 euros le litre, tout gouvernement sait très bien que la province où la voiture automobile est quotidiennement indispensable ravale sa colère difficilement. Les responsables politiques expliquent que la hausse est directement liée à l'augmentation des prix du brut sur le marché international, et qu'on ne peut guère agir sur les humeurs des dirigeants de l'Arabie Saoudite. On ne peut guère dégainer une fois de plus une politique de subvention ou de chèque carburant, car cela finit par coûter très cher au budget. 

L'opposition, elle, en profite pour suggérer une diminution des taxes sur le pétrole ou même abaisser le taux de TVA, mais personne ne viendra nous expliquer quelle recette alternative il faudra mettre en place pour compenser le manque à gagner fiscal.

Quand l'État paie, tout le monde a fini par comprendre qu'indirectement l'État refacture aux contribuables, dont les consommateurs d'essence font partie.

Reste au gouvernement à se tourner vers les compagnies pétrolières françaises et les distributeurs pour qu'ils fassent un petit effort de modération, alors qu'ils sont déjà à l'os, selon leur expression. Dans l'épisode que l’on vit  actuellement , Bercy a convaincu les compagnies pétrolières de vendre à perte, ce qui revient à plafonner le prix au détail en dessous des 2 euros le litre, ce qui va les obliger à vendre à perte. Elles s'y engagent pour six mois en échange d'une vague promesse de Bercy de ne pas augmenter l'impôt sur les bénéfices ou sur les super bénéfices si on arrivait à prouver qu'ils existent.

Les voitures vont donc pouvoir continuer à circuler, mais la grogne va s'installer forcément pour deux raisons assez contradictoires.

D'un côté, les prix à la pompe restent très élevés mais plafonnés. Mais en même temps, le gouvernement explique que d'agir sur le prix de l'essence à la baisse reviendrait à encourager la consommation d'énergie fossile, alors que le bon sens climatique voudrait qu'on remplace toute cette essence et ce diesel par de l'électricité. Ce "en même temps très macronien" répond à la contrainte politique mais ne résout aucun problème au niveau de la décarbonation.  L'automobiliste n'est pas convaincu, et l'écologiste militant de la lutte pour le climat est une fois de plus frustré.

La seule solution serait d'expliquer clairement et simplement la vérité. Et cette vérité tient en 3 points :

1er point : 80 % des Français roulent à l'essence ou au diesel. La voiture est leur instrument de travail. Ils seraient prêts à rouler à l'électricité si l'électricité était moins chère, ce qui n'est pas le cas, et si techniquement la voiture électrique était capable des mêmes performances (autonomie notamment), ce qui sera presque le cas.

2e point : l'équilibre des prix entre l'électrique et le thermique n'est pas assuré. Que le gouvernement explique qu'il serait sans doute plus avantageux de subventionner la voiture électrique que l'essence qu'on met dans la thermique. À vouloir faire les deux à la fois, il ne convainc personne.

3e point : l'explication d'un prix de l'essence boursoufflé par les cours du pétrole ne tient pas la route très longtemps. Actuellement, c'est vrai que le baril de Brent (mer du Nord) s'échange à 83 dollars contre 73 dollars il y a un mois. Le prix des carburants prend cette hausse de plein fouet, mais aussi l'impact des vacances d'été qui ont été très bonnes et très gourmandes, donc qui ont appuyé sur la demande. Et pourquoi la hausse du brut ? Parce que l'Arabie saoudite et la Russie ont réduit leur production. Cette explication que tout le monde partage parce qu'elle est simple à comprendre et plausible en cache une autre plus embêtante. Depuis le mois de juin, les marges des raffineurs sont reparties à la hausse. Fin avril, selon l'UFIP, la marge entre le coût d'une tonne de pétrole brut et le prix de sortie des raffineries d'une tonne de produit fini était de 26 dollars. En septembre, elle est de 106 dollars. On se retrouve un peu dans la même situation qu'au moment du pic de l'année dernière. L'augmentation se fabrique donc à la raffinerie. Pourquoi ? Parce que plusieurs raffineries sont arrêtées pour cause d'incident ou d'accident, c'est le cas de la Shell, parce que la demande reste forte en dépit du ralentissement conjoncturel. Enfin, parce qu'il y a assez peu de stocks de produits finis dans le monde, notamment aux États-Unis, au Texas et en Europe, à cause de la guerre.

Toutes ces explications ont du mal à passer la rampe de l'opinion publique. Les dirigeants de l'industrie pétrolière ne les dégainent pas souvent, car ces marges financent une grande partie de leurs investissements, y compris leur recherche sur des énergies naturelles, et que par ailleurs, elles sont très conjoncturelles.

4e point : quoi qu'on dise, on n'échappera pas à un grand exercice d'explication. Le secteur de l'énergie mérite que les hommes politiques exercent leur devoir de cohérence. C'est le secteur où la pression politique est sans doute la plus forte. C'est le secteur où les contraintes techniques et financières s'imposent le plus brutalement. "Quand on n'a pas de pétrole, on a des idées..." résumait VGE, qui a essuyé le premier signal fort de la mutation énergétique vers autre chose que le pétrole. Des idées, il y en a eu, mais du courage politique pour les mettre en œuvre, beaucoup moins.

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