"Le petit garde rouge" de Chen Jiang Hong : "La révolution n’est pas un dîner de gala" (Mao)<!-- --> | Atlantico.fr
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"Le petit garde rouge" de Chen Jiang Hong est à voir au théâtre du Rond-Point à Paris.
"Le petit garde rouge" de Chen Jiang Hong est à voir au théâtre du Rond-Point à Paris.
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Atlanti-Culture

La pièce "Le petit garde rouge" de Chen Jiang Hong est à voir au théâtre du Rond-Point à Paris.

Jean Ruhlmann pour Culture-Tops

Jean Ruhlmann pour Culture-Tops

Jean Ruhlmann d’abord professeur d’histoire en collège, est actuellement enseignant-chercheur en histoire contemporaine à l’université de Lille – Charles de Gaulle. Le théâtre est une passion qui remonte à sa découverte du Festival d’Avignon ; il s’intéresse également aux séries télévisées. Il est, avec Charles Edouard Aubry, co-animateur de la rubrique théâtre et membre du Comité Editorial de Culture-Tops.

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Le petit garde rouge

De Chen Jiang Hong

Mise en scène : François Orsoni

Avec Alban Guyon (récit), Lili Chen et Namkyung Kim (danse), Chen Jiang Hong (dessins, récit).

INFOS & RÉSERVATION

Théâtre du Rond Point

2bis avenue Franklin D. Roosevelt

75008 PARIS

01 44 95 98 21

http://www.theatredurondpoint.fr

Notre recommandation : EXCELLENT

THÈME

Sur une scène flanquée à gauche d’un espace réservé aux bruitages et occupée à droite par une table à dessin, un comédien déroule le fil de la vie de Chen Jiang Hong. Simultanément, ce dernier s’affaire avec ses encres et ses pinceaux, et illustre en direct le récit, ses dessins rétroéclairés apparaissant sur deux grands écrans situés en fond de scène.

C’est au moyen de ce dispositif que nous est racontée l’enfance de Chen, ce jeune Chinois né en 1963, aux premières loges pour assister aux bouleversements engendrés par la Révolution culturelle décrétée par le président Mao à partir de 1966.

Depuis le début des années 1960, le Grand Timonier avait été écarté du pouvoir effectif, après le catastrophique échec de son “Grand Bond en avant“ (1958-1961). Marginalisé au sein du PCC, Mao n’a cependant pas dit son dernier mot : lui et son entourage exploitent une querelle théâtrale (tiens donc…) pour s’en prendre aux dirigeants haut placés, protecteurs de l’auteur de La destitution de Hai Rui.

De proche en proche, ce sont les communistes aux manettes et le Parti tout entier qui sont visés et vite déstabilisés, car la jeunesse (les gardes rouges) et l’armée ne tardent pas à s’en mêler. Le pays bascule alors dans le chaos d’une quasi-guerre civile, qui culmine dans le dernier tiers des années 1960.

On comprend que dans ces conditions, la Révolution culturelle vienne frapper de plein fouet les familles même les plus modestes, dont celle de Chen. Il nous délivre ici la chronique enfantine d’une famille saccagée par le Grand Timonier…

POINTS FORTS

Le dispositif très approprié, qui permet de combiner optimalement les différentes manières d’illustrer la jeunesse de ce “petit garde rouge“ : la voix bien sûr, mais aussi la danse (extraordinaires Lili Chen et Namkyung Kim), la calligraphie, le dessin et les ombres chinoises, ainsi que les bruitages (assurés par Valentin Chancelle) qui viennent enrichir la description de la vie quotidienne de cette famille aussi discrète qu’obscure.

On brocarde souvent l’usage désormais systématique de l’écran en fond de scène, mais il faut reconnaître qu’ici, il est plus qu’indispensable. En effet chaque soir, penché sur sa table à dessin de facture chinoise, Chen illustre lui-même le propos au fil du récit : ses personnages esquissés avec maestria, ses encres qui font surgir des paysages étonnants, tout donne une force considérable à la représentation. La performance, renouvelée chaque soir, n’a vraiment rien d’artificiel.

La simplicité du récit est un autre atout, qui montre bien la dévastation engendrée par la Révolution culturelle vécue “en bas“. La pièce prend bien soin de ne pas en faire trop, mais de faire vrai, et procède par petites touches successives : ici un père envoyé en camp de rééducation, là le fonctionnement d’une école primaire durant les événements, avec l’embrigadement des enfants et la domestication des jeunes esprits dans les petit(e)s gardes rouges, l’autocritique sur les banc de classe, etc..

QUELQUES RÉSERVES

Il y en a peu, mais elles sont de taille. Le souci de présenter un « documentaire illustré » (Fr. Orsoni) conduisait-il obligatoirement à confier le rôle principal (celui du jeune enfant récitant) à un comédien bien plus âgé, par surcroît occidental, passablement inexpressif et souvent statique ? Le voir emprunté dans ses danses,si balourd au milieu de sœurs asiatiques virevoltantes avec grâce, le voir flanqué d’un dessinateur (qui n’est autre que l’auteur du texte, lui-même d’origine chinoise), voilà qui altère selon nous la magie bien réelle du spectacle, suscitée par les danses et les traits de pinceaux.

Il y aurait aussi beaucoup à dire sur la récitation sans grand relief d’Alban Guyon, qui ne fait pas suffisamment honneur au texte. Du reste, le moment d’émotion le plus intense surgit à la toute fin de la pièce, quand le dessinateur lui-même, profondément bouleversé, prend la parole et nous raconte, la voix étranglée par les sanglots, les conditions de son arrivée à Paris et surtout ce qu’il a laissé derrière lui en Chine.

ENCORE UN MOT...

Résilience d’un peuple pour les uns, soumission pour les autres, on est bien en peine de savoir ce qu’il en est exactement, mais on comprend avec Le petit garde rouge que la révolution de palais orchestrée par Mao pour éliminer des dirigeants communistes rivaux a eu des répercussions extrêmement profondes dans toutes les strates d’une société chinoise fort démunie face à la menace.

Dans ce spectacle, conçu pour tous les âges, c’est la grand-mère qui donne le mot de la fin, avec son « conte du loup affamé » qu’elle récite invariablement à son petit-fils chaque soir : comment mieux illustrer le martyr qu’un dirigeant affamé de pouvoir fit subir sans état d’âme à son propre peuple ?

On sort du Petit garde rouge avec la conviction que si la « révolution n’est pas un dîner de gala », sa version « culturelle » fut assurément une période dévoratrice.

UNE PHRASE

«“Mao est notre étoile salvatrice“ : telles furent les premiers mots de ma maîtresse. »(Chen à propos de sa première journée à l’école).

« L’arbre de la cour [de l’école] est toujours là. » (observation de Chen quand il revient en République Populaire de Chine vingt ans après son départ pour la France).

L'AUTEUR

Chen Jiang Hong nait en 1963 dans une famille qui compte dès lors trois enfants, dont une grande sœur sourde-muette. Ses deux grands-parents vivent sous le même toit que lui, et Chen nourrit avec son aïeul une relation privilégiée.

Il se forme à l’académie des Beaux Arts de Pékin, et profite de l’ouverture de la RPC sous Deng Xiao Ping pour venir poursuivre ses études aux Beaux arts de Paris en 1987. Ses talents de peintre et d’illustrateur le font vite remarquer, et il expose dès 1989 ses tableaux aux Musée National d’Art Moderne de Paris. Il s’installe près de la gare de l’Est, où il vit toujours.

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