Le paradoxe Macron : leader au premier tour mais candidat non désiré par une majorité de Français <!-- --> | Atlantico.fr
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Une photo prise le 15 décembre 2021 montre un écran de télévision diffusant l'émission de TF1 "Où va la France ?", le grand entretien d'Emmanuel Macron sur le bilan de son quinquennat.
Une photo prise le 15 décembre 2021 montre un écran de télévision diffusant l'émission de TF1 "Où va la France ?", le grand entretien d'Emmanuel Macron sur le bilan de son quinquennat.
©Ludovic MARIN / AFP

"Où va la France ?"

Alors que les enquêtes d'opinion placent Emmanuel Macron en tête du premier tour des élections présidentielles, 63% des Français ne souhaitent pas que le chef de l'Etat se représente, selon un sondage Odoxa Backbone Consulting pour Le Figaro après son interview sur TF1 et LCI.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Selon un sondage Odoxa Backbone Consulting réalisé pour Le Figaro après l’interview fleuve d’Emmanuel Macron mercredi soir sur TF1 et LCI, 63% des Français ne souhaiteraient pas que Macron se représente. Au vu de ce chiffre, comment expliquer la si bonne santé du président dans les sondages d’intention de vote au premier tour ? 

Jean Petaux : Vous avez  raison de distinguer entre la cote de popularité de Macron, les intentions des Français à son endroit et ce que vous appelez la « bonne santé du président dans les sondages ». Ce n’est pas un fait nouveau qui amène à mesurer la différence entre « cote de popularité » par exemple et « intentions de vote » si non Jean-Jacques Goldman aurait été président de la République depuis des années, Omar Sy lui aurait succédé et je ne parle même pas de l’abbé Pierre ou de Simone Veil. Quant aux 63% de Français qui ne souhaiteraient pas que Macron ne se représente il correspond (d’ailleurs à la baisse) au pourcentage de votes que les sondages lui attribuent au premier tour : environ 25% des SE. Il n’y a rien de particulièrement original ni nouveau dans ces chiffres. C’est d’ailleurs ce qui fait que l’on peut dire que si Emmanuel Macron est réélu pour un second mandat, là sera l’exception et l’hétéronorme car si trois présidents ont réussi à se faire réélire depuis 1958, ce sont tous les trois dans des circonstances très particulières et précises. Pour le général de Gaulle il s’agissait en 1965 d’une « primo-élection » au suffrage universel ; pour Mitterrand et Chirac, leur réélection de 1988 et 2002 s’effectue à la sortie d’une cohabitation de 2 ans et de 5 ans qui leur a permis non seulement de reconstituer leur capital électoral mais surtout d’affaiblir considérer leur « challenger » : dans les deux leur premier ministre. Donc si Emmanuel Macron est réélu au soir du dimanche 24 avril, il sera le premier à réaliser cette performance au terme de son premier mandat de cinq ans auquel il a été élu au suffrage universel et sans « partager le pouvoir » au sommet de l’Etat avec un premier ministre imposé à lui par le résultat des élections législatives immédiatement précédentes…

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L’interview d'Emmanuel Macron, longue de près de deux heures, ne semble pas avoir marqué les Français. Seuls 9% d’entre eux déclarent l’avoir vue en entier et 16% en partie. «Des indicateurs très faibles par rapport aux standards habituels», relève Emile Leclerc, directeur d'études de l’institut. Lors de ses précédentes interventions, notamment les allocutions présidentielles concernant le Covid, le chef de l'État était très suivi et jugé plutôt convaincant. Comment expliquer un tel désintéressement ? Qu'est-ce qui a changé ?

Jean Petaux : En premier lieu on doit constater que le format : 2h45 d’émission enregistrée ramené à 2h est totalement stupide. Sans parler du fait qu’on a assisté-là à une singulière dévalorisation de la parole présidentielle puisque c’est le diffuseur TF1 qui a « choisi » ce qui était important ou non dans ce qu’a dit le chef de l’Etat sans, semble-t-il, que ses équipes aient eu le « final cut ». Ce qui est totalement scandaleux et qui n’a fait l’objet d’aucune remarque… Tant il est vrai que nous vivons un temps où, surtout chez les journalistes, mais pour une large majorité de Français désormais, la parole du chef de l’Etat, élu au suffrage universel quand même, peut être traitée de la même manière (je ne parle même pas de la « même désinvolture ») que celle du « gilet jaune lambda » du rond-point de « Pétaouchnoke » ne représentant que lui-même… et encore, puisque cela dépendra de l’heure de l’enregistrement.  

Le temps moyen de captation d’un message et d’attention ne dépasse pas 20 minutes et pour certains enseignements, les élèves décrochent au bout de la moitié de ce temps. Brigitte Macron qui a été enseignante aurait dû rappeler cette constante aux « crânes d’œuf » de la « com’ élyséenne » qui a pourtant fait d’énormes progrès depuis trois ans… Cela dit, en partant du niveau où cette même « Com » était arrivée, elle ne pouvait que s’améliorer ! Toujours est-il que le chef de l’Etat affectionne plus particulièrement les « formats longs » et les « marathons de la parole » (quelques « exemplaires » du « grand débat national » pour sortir de la crise de « gilets jaunes » avec des élus locaux dans les « territoires » sont encore dans les mémoires… ils ont duré parfois jusqu’à… 8 heures !). Mais face aux téléspectateurs, en dehors du cas très particulier de la conférence de presse dans la salle des Fêtes de l’Elysée, qui rappelle aux plus anciens la dramaturgie des grand-messes « gaulliennes » (là, pour le coup, il s’agissait d’un spectacle tenant du stand up, en fait minutieusement préparé, jusqu’aux questions posées transmises à l’Elysée auparavant…), il est totalement inepte de proposer un tel rendez-vous aujourd’hui. Si Emmanuel Macron a été très suivi lors de ses apparitions précédentes c’est que, dans tous les cas, la « mayonnaise » avait été montée dans les jours précédents par des « off » tout à fait calculés visant à faire savoir « qu’il allait faire des annonces », autrement dit que les Français allaient être traités de telle ou telle manière (on ne disait pas laquelle ou lesquelles pour ne pas « tuer l’émission » en amont) dans la cadre de la lutte contre la pandémie. Et surtout que son temps de parole ne dépassait pas la demi-heure. Encore s’agissait-il d’intervention assez longues comparées à d’autres interventions présidentielles passées. Si l’on veut filer la métaphore de la restauration : le « menu affiché » était rendu alléchant. Pour cette dernière émission indiquer qu’il y aurait « Bilan et perspectives » au menu, c’était déjà repousser les trois-quarts des clients potentiels. Comme un restaurant qui afficherait à son entrée : « veau aux hormones » et « poulets élevés en batterie »…

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Cet entretien portait avant tout sur son bilan et sa vision. Si le chef de l'État a cherché à valoriser son bilan en défendant ses choix, 6 Français sur 10 estiment que ce dernier est mauvais. Même son de cloche sur des thèmes comme l'immigration (79%), le pouvoir d'achat (76%) ou le chômage (61%). Cela peut-il le rattraper et menacer sa place de leader des intentions de vote au premier tour ?

Jean Petaux : Les « vieux » politiques, ceux qui sont « blanchis sous le harnois » des combats électoraux, locaux voire nationaux, (pas les « Zemmour » de 2022 ou les « Macron » de 2017  par exemple…) ont coutume de dire que si l’on n’est jamais réélu sur son bilan, il est inévitable, quand on se représente, d’en avoir un et que si celui-ci est plutôt bon c’est préférable… Bon sens politique qui revient à dire que le cancre, dans notre société, qui présente à ses parents un bulletin scolaire « bien pourri » à la fin du trimestre, surtout s’il s’agit du premier, juste avant les Fêtes de fin d’année, aura plutôt intérêt à le présenter à sa grand-mère quasi-aveugle pour obtenir un peu d’argent de poche, qu’à ses parents dont il imitera la signature dans le cahier de liaison, le 2 janvier, veille de son retour au collège… Est-ce qu’Emmanuel Macron est un cancre ? Bien sûr que non, mais au regard d’une majorité de Français son bilan n’est pas bon. Encore une fois, sauf à être quelque peu masochistes, il est normal que ce bilan soit mal considéré et mal apprécié puisqu’une majorité des personnes interrogées ne souhaite pas qu’il se représente. En réalité, au fur et à mesure que la campagne va accélérer (disons à partir du 1er février), les thèmatiques « stratégiques » vont s’affirmer et se durcir. Dans une telle compétition tout peut arriver, y compris des retournements de tendance par rapport à telle ou telle prise de position, tel ou tel événement… Il est bien trop tôt pour commenter des événements qui n’en sont qu’à leurs balbutiements. Le prochain rendez-vous vraiment important pour Emmanuel Macron va être sa véritable et officielle « entrée en campagne ». Les sondeurs disent ici que selon que celle-ci est réussie ou ratée, le candidat peut prendre 3 points ou en perdre 3… Avec une amplitude possible de 6 points toutes les cartes seront (ou pas) rebattues… Patience et longueur de temps…

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