Le pacifisme tibétain, prôné par le Dalaï-Lama, est-il un mythe ou une réalité ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le chef spirituel tibétain en exil, le Dalaï-Lama, s'exprime sur le terrain de Yiga Choezin, dans le district de Tawang, dans l'État d'Arunachal Pradesh, au nord-est de l'Inde, en avril 2017.
Le chef spirituel tibétain en exil, le Dalaï-Lama, s'exprime sur le terrain de Yiga Choezin, dans le district de Tawang, dans l'État d'Arunachal Pradesh, au nord-est de l'Inde, en avril 2017.
©BIJU BORO / AFP

Bonnes feuilles

Maxime Vivas publie « La face cachée du Dalaï-Lama » aux éditions Max Milo. Prix Nobel de la paix, le Dalaï-Lama incarne le martyre d'un Tibet soumis au joug chinois. Symbole de sagesse, il rassemble les foules partout dans le monde. Maxime Vivas ose s’attaquer au mythe : et si le Dalaï-Lama était un théocrate qui remplit d’or les coffres de ses palais tandis que les Tibétains ne seraient que des serfs auxquels on refuse toute éducation ? Extrait 1/2.

Maxime Vivas

Maxime Vivas

Maxime Vivas est journaliste, coadministrateur du site d'information alternative legrandsoir.info.

Il anime également une émission culturelle sur Radio Mon Païs et fut référent littéraire pour ATTAC-France.

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Le pacifisme tibétain, atavique, ou inculqué au peuple par une religion omnipotente, est-il une réalité ou un mythe ? Laissons ici le soin au dalaï-lama lui-même de nous éclairer :

« Je ne prétendrai pas que les Tibétains sont tous des gens aimables ; nous avons aussi nos pécheurs et nos criminels. Parmi nos tribus nomades, dont la plupart étaient composées de gens pacifiques, il existait des clans qui n’étaient pas incapables de commettre des actes de brigandage, si bien que certains banlieusards étaient armés dans leurs maisons éloignées des centres et que les voyageurs traversant des zones dangereuses préféraient se déplacer en groupes importants. [Pour la tribu des Khampas] un fusil compte plus que tout autre objet. » Parfois, c’est son peuple tout entier dont il craint de ne pas pouvoir « contrôler [l]es inclinations belliqueuses » ou « l’instinct qui le poussait à se battre ». 

D’ailleurs, le dalaï-lama, adoré de ce peuple heureux, «ne se déplaçait jamais sans une escorte de vingt-cinq gardes armés et la troupe était toujours postée sur le parcours ». Il est vrai que des dalaï-lamas avaient jadis été assassinés par des nervis commandés par des proches.

Sur son armée : «En fait, elle servait essentiellement à tenir les postes-frontières et à empêcher les étrangers démunis de visa [c’est-à-dire, à peu près tous les étrangers, NDA] d’entrer dans le pays. Elle constituait aussi notre police, sauf à Lhassa et dans les monastères qui possédaient leurs propres forces de l’ordre » (p. 57). « [...] elle totalisait huit mille cinq cents officiers et hommes de troupe. Nous disposions d’un nombre plus que suffisant de fusils, mais notre artillerie ne comptait qu’une cinquantaine de pièces de divers calibres, deux cent cinquante mortiers et environ deux cents mitrailleuses représentant une puissance de feu bien trop faible pour faire la guerre. »

Observons que ce n’est pas un amour gandhien de la non-violence qui est ici invoqué, mais le risque d’une défaite.

Cette analyse-là fut reprise par le dalaï-lama presque un demi-siècle après, le 12 mai 2008, quand il donna au magazine allemand Der Spiegel une interview où le pacifisme du chef religieux n’apparaît pas consubstantiel de sa pensée, mais imposé par le rapport des forces : «Les Tibétains doivent-ils prendre les armes pour conquérir cette indépendance ? Quelles armes, d’où ? Des moudjahidines au Pakistan, peut-être ? Et si nous les obtenons, comment les ferons-nous passer au Tibet ? Et si la guerre d’indépendance commence, qui nous viendra en aide ? Les Américains ? Les Allemands ? »

À cette question, une réponse au parfum d’appel au Pentagone avait été donnée par Sa Sainteté le 29 avril 2005 à des sénateurs français venus le voir dans son exil indien : «La politique américaine veut promouvoir la démocratie en Irak et en Afghanistan, par des méthodes parfois controversées. Je dis tant mieux, c’est bienvenu. Mais ce serait encore mieux si la démocratie était promue en Chine. »

Le dalaï-lama serait-il un général défait qui se replie « sur des positions préparées en avance » ? Pratique-t-il l’art de la paix, ou bien celui de la guerre, laquelle est faite d’offensives et de replis, de trêves et d’armistices, de victoires et de défaites, de propagande et de mensonges ? Au lecteur de trancher en prenant connaissance des informations complémentaires ci-dessous.

Au temps de son règne, son infériorité militaire le poussera, craignant de voir Beijing réformer en profondeur le Tibet, à en appeler à des puissances étrangères, car « le Tibet ne disposait ni des ressources matérielles, ni des armes, ni des hommes lui permettant de se défendre contre une attaque d’envergure ». « Quatre délégations furent constituées qui devaient se rendre aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Inde et au Népal pour demander à ces pays leur appui. » Ces derniers se refusèrent tout uniment de répondre favorablement à l’appel belliciste et gardèrent leurs soldats chez eux. Washington « refusa même de recevoir les membres de la délégation ». Conséquence des « réponses négatives [aux] demandes d’aide militaire, les hordes chinoises pouvaient [les] investir; [ils étaient] abandonnés de tous ».

Le dalaï-lama raconte qu’il s’est rendu en Inde sur la tombe de Gandhi « qui possédait une foi profonde dans la paix et l’entente entre les hommes » et il s’interroge : « Ma méditation m’amena à me demander quel sage conseil le mahatma m’aurait donné [...] » Peut-être celui de ne pas faire appel aux armées de quatre pays étrangers pour envahir une province chinoise et y semer la mort afin qu’elle reste engluée dans une gangue théocratique où le pouvoir, non, tous les pouvoirs seraient concentrés dans les mains d’un seul homme, chef spirituel et temporel incontestable, car issu du miracle divin d’une réincarnation adéquate.

Le pacifiste dalaï-lama ayant donc été débouté de sa demande d’intervention armée à quatre nations étrangères pour préserver son pouvoir, que se passa-t-il par la suite ? À l’en croire, tout juste un « soulèvement pacifique des Tibétains à Lhassa, le 10 mars 1959 »...

«Pacifique », nous avons bien lu. Beijing prétend au contraire qu’il s’agissait d’une insurrection armée. Qui croire ? Laissons le dalaï-lama nous rapporter les événements dans ses Mémoires.

« [...] les Chinois annoncèrent publiquement que la révolte avait éclaté dans le Tibet oriental et qu’ils feraient tout pour la briser.

Cette nouvelle émut profondément les ministres [du dalaï-lama] qui n’ignoraient pas que les Khampas résistaient par les armes [...] »

« [...] l’effectif des Khampas qui menaient la guérilla dans les montagnes était passé de quelques centaines à plusieurs dizaines de mille. Ils avaient livré des combats d’envergure [...] »

«Mes compatriotes ne sont pas des gens qu’on peut faire plier par la présence et par la terreur, et tenter de détruire leur religion, leur bien le plus précieux, est une entreprise insensée. Aussi s’ensuivit-il une aggravation et une extension de la révolte. Alors qu’une paix relative régnait encore à l’ouest et dans le centre du Tibet, la population des provinces de l’Est, du Nord-Est et du Sud-Ouest prenait les armes. »

« J’étais moi-même assez mécontent de la tournure que prenaient les événements, mais, d’un autre côté, j’éprouvais une grande admiration pour les insurgés, hommes et femmes pleins de courage qui n’hésitaient pas à risquer la vie de leurs enfants pour défendre la cause de notre rébellion et de notre pays. »

On a l’impression à le lire que le peuple tout entier a pris fait et cause pour le dalaï-lama et les siens dans ces combats. Alexandra David-Néel est plus nuancée. Elle affirme que la population n’a pas résisté en masse à l’arrivée de l’armée chinoise. D’après elle, les paysans n’ignoraient pas complètement les résultats obtenus en Chine par les réformes agraires. « Ils attendaient avec sympathie cela qui peut venir à la suite des troupes chinoises. »

Quand la révolte, qui fut donc armée et fomentée en coulisse par le dalaï-lama contre le gouvernement central de Beijing, aura échoué, quand ses troupes devront se replier vers l’Inde, il endossera alors virilement un uniforme. Le 17 mars 1959, « vers 21 heures, j’ôtai ma robe de lama et revêtis une tenue militaire [...] ». «Un soldat [...] me tendit un fusil que je jetai sur mon épaule [...] »

Dans la présentation hagiographique du livre Inspirations et paroles du dalaï-lama, le journaliste et écrivain sud-africain Mike Nicol osera : « Ironiquement, c’est déguisé en soldat, un fusil sur l’épaule, qu’il quitta Lhassa de nuit avec sa suite et prit la direction de la frontière indienne. » Passons sur la bizarrerie qui veut que, soi-disant pacifiste durant les combats, le chef des insurgés s’avise, pour sa « fuite à Varennes », de revêtir un uniforme et de se doter d’un fusil afin de déguerpir plus discrètement ensuite. Habituellement, les soldats vaincus détalent en se déguisant plutôt en civils et les soulèvements «pacifiques » se passent de soldats, faute de quoi, partout dans le monde, on les dit « conflits armés ». 

Extrait du livre de Maxime Vivas, « La face cachée du Dalaï-Lama », publié aux éditions Max Milo

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