"Le malade imaginaire" : un conte où la violence faite aux hommes résonne comme un appel à l’aide<!-- --> | Atlantico.fr
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"Le malade imaginaire", à retrouver au théâtre des Bouffes du Nord.
"Le malade imaginaire", à retrouver au théâtre des Bouffes du Nord.
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Un conte où la violence faite aux hommes résonne comme un appel à l’aide.

THÈME

  • Le Malade Imaginaire est à la fois un drame comique familial et une métaphore sur la mauvaise face de l’homme, celle de l’homme dominateur, le pater familias,  qui a le droit de vie et de mort sur ses proches,  le despote qui détient la patria potestas, le maître de l’univers en son foyer. 

  • Le Malade Imaginaire, comédie ballet de Jean Baptiste Poquelin,  est sa dernière œuvre. Elle met en scène, au centre du jeu, les faits et méfaits d’Argan, lequel est violent, cruel, injuste, égoïste, calculateur, arrogant, narcissique et surtout 100% misogyne. 

  • Or Argan souffre mille maux, il a des «  humeurs » tenaces, des douleurs de tête et dans le  ventre, un voile devant les yeux. Hypocondriaque, il veut imposer à sa fille Angélique un mariage d’intérêt avec un jeune médecin pédant dans le but de se faire soigner à bon compte. Ce médecin est le fils de son vieux médecin traitant, et il ne connait qu’un seul traitement : le lavement. 

  • Bien sûr, Angélique, respectueuse de l’autorité paternelle, aimante de son papa mais rebelle ne va pas s’en laisser compter. La fidèle Toinette, servante du malade et suivante de la belle, complice des penchants d’Angélique pour un jeune et sémillant musicien, va monter un stratagème astucieux qui va confondre les traitres et hypocrites et convaincre Argan.

  • Jusque-là des élèves de 6ème des années (19)60 ne seraient pas dépaysés une seconde... 

POINTS FORTS

  • Mais attention ! C’est ici  que le talent, l’expérience et l’univers artistique et musical du metteur en scène vont conférer à cette simple comédie-ballet en trois actes une contemporanéité, une dynamique, un charme imprévu et magique du début au quasi terme de la pièce.

  • Des textes,  des ballets, des chants, des danses, de l’humanité de Toinette, de la solitude et du caractère dépressif d’Argan, de la rébellion d’Angélique, le metteur en scène garde tout mais en même temps il change tout. Ce n’est plus le même univers. Ainsi la scène des Egyptiens habillés en maures pour divertir Argan va être transmutée en scène de banlieue où cinq jeunes vont faire une arrivée fracassante sur le plateau, micro à la main, avec l’énergie d’une bande en pleine revendication (1) (mais pacifique) illustrant un conflit inter générationnel et culturel. Marc Antoine Charpentier vient de céder la place à MC Solar !!

  • Le metteur en scène a réussi à « coller aux verbatim » de Molière à quelques coupures près et à conserver le meilleur de ses effets comiques, sans nuire à son intention sociale et contemporaine. Le télescopage entre les mots et néologismes de la dramaturgie originelle et l’atmosphère de la rue d’aujourd’hui, avec sa musique, les contorsions et la dégaine de Cléante, est véritablement une réussite. 

  • Ainsi la tournure emphatique, le vocabulaire hyperbolique du médecin de passage (endossé par Toinette, la gouvernante de confiance, elle-même instigatrice du stratagème) prend tout son relief en contrepoint des airs de rap et des danses hip hop de rue. La scène anaphorique du « poumon »  reste exceptionnelle ici aux Bouffes, comme au Français.

  • Dès l’entrée en matière, l’originalité de la mise scène interpelle :

    • Argan, nu, est dans une salle de bains qui ressemble à un salon de coiffure (immense tablette carrelée) assis sur le “trône“ comme on disait autrefois (mais celui-ci n’avait pas encore été inventé). 

    • l’hypocondriaque dépressif compte inlassablement ses billets, qu’il va devoir donner, à contrecœur à son médecin, Monsieur Purgon. 

      Survient Toinette, enjouée et énergique, qui vient remettre de l’ordre dans tout ça avec autorité.

  • Les comédiens sont tous très bons :

    • Argan a mauvaise mine sous sa barbe, gémissant avec conviction ;

    • Toinette, brillante et malicieuse, tient tête avec un humour irrésistible a son maître. Elle est  aussi remarquable en « médecin de secours » qui va mettre Argan au comble du désespoir ;

    • on a aimé beaucoup également Angélique, ravissante et émouvante, et, dans un autre registre - celui de la danse et de la musique- son amoureux Cléante.

QUELQUES RÉSERVES

  • Les rôles de Béline (la deuxième femme d’Argan par Anne Coutureau) et de Béralde (le frère d’Argan par Serge Avédikian) ne sont pas interprétés avec la même conviction ni la même empathie que les rôles principaux qui, eux, captent la lumière.

  • Et, comme souvent aux Bouffes du Nord, la perception sonore n’est pas toujours au top, étant donné la profondeur et la largeur de la scène. On aura intérêt à réserver (et à jouer) au centre !!

ENCORE UN MOT...

“ Cette scène que j’appelle « l’invasion du théâtre » raconte comment la nouvelle génération va reprendre le pouvoir et ne pas se laisser avoir par un sérail des anciens qui ont peur de la jeunesse et qui les empêchent de pouvoir s’épanouir. Que ce soit au théâtre ou dans d’autres endroits de la société, ce texte est là pour donner envie de se battre pour ses convictions.

(Tigran Mekhitatran, note d’intention du metteur en scène)

UNE PHRASE

  • «Je suis médecin passager qui vais de ville en ville, de province en province, de royaume en royaume, pour chercher d’illustres matières à ma capacité, pour trouver des malades dignes de m’occuper, capables d’exercer les grands et beaux secrets que j’ai trouvés dans la médecine. Je dédaigne de m’amuser à ce menu fatras de maladies ordinaires, à ces bagatelles de rhumatismes et de fluxions, à ces fiévrottes, à ces vapeurs et à ces migraines. Je veux des maladies d’importance, de bonnes fièvres continues, avec des transports au cerveau, de bonnes fièvres pourprées, de bonnes pestes, de bonnes hydropisies formées… »

L'AUTEUR

  • Le 17 février 1673, Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, joue lui-même et pour la dernière fois (soit quatre représentations !) Argan dans son Malade imaginaire. Triste clin d’œil. Molière se met à cracher le sang, puis se retire chez lui à proximité du Français pour rendre l’âme. La messe est dite. 

  • En 1680 naît par ordre du roi Louis XIV la Comédie Française, de la fusion de la troupe de Molière avec celle de l’Hôtel de Bourgogne. Personne n’aurait, parait- il, parié un liard sur la pérennité de cette union et … de son nom !

  • Or une nouvelle carrière de 400 ans démarre alors, et nous saluons en ce mois de mars 2024 une étape supplémentaire de l’incroyable histoire de notre génie absolu avec « Molière, l’Opéra urbain », une saga qui casse les codes. Il fallait que cela fût dit. 

  • Longue vie à ce spectacle de rue ! La dernière  version populaire  de l’ultime pièce du maître aux Bouffes du Nord est bien digne de l’auteur le plus joué  dans le monde pendant que, de son côté, Olivier Py signe un long métrage, le « Molière Imaginaire ».  

    Adaptation et mise en scène
    C’est en 2005 au conservatoire de Menton que Tigran Mekhitarian, d’origine arménienne, commence sa formation. En 2018 il recevra le prix du jury pour le concours du seul en scène pour les Planches del’Icart au théâtre des Mathurins Il jouera ensuite Tigran dans Tendresse de Kevin Keiss et Alice Zeniter aux Bouffes du nord puis le rôle de Momo dans la Vie devant soi de Romain Gary ; il va ensuite fondé sa propre compagnie, l’Illustre Théâtre, avec laquelle il enchainera 3 pièces de Molière lesFourberies de Scapin, l’Avare et Dom Juan qui toutes les trois s’approprient  l’univers hip hop, première expérience de traitement «moderne » des œuvres de JB Poquelin de sa part.en 2024il jouera dans un biopic sur Charles Aznavour dirigé par Grand Corps malade

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