Le lait français, une des nombreuses facettes de l'offensive commerciale chinoise sur les ressources agricoles mondiales<!-- --> | Atlantico.fr
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Un groupe chinois est entré début juillet au capital d'une coopérative de producteurs laitiers français.
Un groupe chinois est entré début juillet au capital d'une coopérative de producteurs laitiers français.
©Reuters

Made in France

Le géant chinois Biostime est entré début juillet à hauteur de 20% au capital de la coopérative normande Isigny Sainte-Mère, qui regroupe 700 producteurs laitiers.

Antoine Brunet

Antoine Brunet

Antoine Brunet est économiste et président d’AB Marchés.

Il est l'auteur de La visée hégémonique de la Chine (avec Jean-Paul Guichard, L’Harmattan, 2011).

 

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L’équation de la Chine en matière alimentaire est relativement simple elle pèse 20% de la population mondiale alors qu’elle ne représente que 8% des terres arables. La Chine de ce fait est exposée à être déficitaire et de plus en plus déficitaire en matières alimentaires. Tout y contribue. L’industrialisation et l’urbanisation qui l’accompagne réduisent encore les surfaces arables. Une conception trop industrialiste de l’environnement menace les ressources en eau et en eau potable de la Chine, ce qui nuit aussi à sa capacité agricole.

Le déséquilibre agricole est présent en quantité mais aussi en qualité.

Ce n’est sans doute pas un hasard si on a vu s’amplifier les scandales alimentaires, celui du lait à la mélanine en particulier. Ce n’est sans doute pas un hasard non plus si on a vu des pandémies surgir en Chine et y atteindre successivement les poulets et les porcs. Le projet inquiétant de Pékin consistant à construire prochainement de vastes "fermes verticales", sortes de hautes tours où les vaches seraient maintenues sans jamais se trouver à l’air libre, fait craindre qu’ultérieurement une autre pandémie vienne atteindre à son tour le cheptel bovin. Tout cela témoigne en tout cas d’une détermination de Pékin  à adopter des solutions artificielles et risquées pour tenter de résoudre un déséquilibre alimentaire qui est important et qui sera croissant.

Il n’est alors pas surprenant de voir Pékin s’intéresser à acquérir des gisements agricoles à l’extérieur de ses frontières (tout comme il cherche et réussit à acquérir des gisements de pétrole et de gaz ainsi que des gisements de minerais de toutes sortes).

La Chine n’a absolument aucun problème de financement. Sa politique, déloyale et agressive, consistant en achats quotidiens par sa banque centrale de dollars et d’euros contre yuans pour empêcher le yuan de s’apprécier et pour maintenir intacte la sur-compétitivité chinoise, a en réalité deux impacts. Elle permet à la Chine de faire progresser toujours plus sa part dans le marché mondial des produits manufacturiers mais aussi d’accumuler des avoirs de change considérables (plus de 5000 milliards de dollars pour l’ensemble République Populaire de Chine et Hong Kong ; réserves des banques centrales et fonds souverains).

Depuis quelques années, Pékin encourage donc les achats de terres agricoles à l’extérieur de ses frontières. On a vu des groupes chinois s’intéresser aux terres agricoles en Ukraine, à Madagascar, en Afrique subsaharienne, en Amérique du sud…

Les pays politiquement les plus faibles laissent les groupes chinois acquérir en pleine propriété leurs terres agricoles ; la Chine les tient financièrement, elle est en capacité de subordonner l’attribution de financements en devises dont ces pays ont chroniquement besoin, à la vente à la Chine de terres agricoles supplémentaires.

Les pays, politiquement plus conscients ou financièrement plus musclés, comme l’Argentine et le Brésil, manifestent au contraire une réticence marquée à se laisser déposséder par la Chine (et par d’autres pays) de leurs actifs agricoles. Ils savent trop bien que, dans une perspective de pénurie alimentaire mondiale, leurs actifs agricoles, s’ils les conservent, constitueront des atouts très précieux.

La France, parce qu’elle est un pays qui dispose de magnifiques ressources agricoles et qui dispose aussi de réserves en eau très enviées, ne pouvait manquer d’intéresser la Chine.Celle-ci a réalisé une première percée stratégique en réussissant ces dernières années à acheter, selon le journal le Parisien, plus de cinquante châteaux viticoles dans le Bordelais (ce qu’auparavant, ni les Britanniques ni les Américains ne s’étaient autorisés à cette échelle). On ne peut que déplorer une telle aliénation à la Chine d’actifs agricoles aussi performants, aliénation qu’apparemment, la France a laissé faire sans même que la Chine ne consente de contreparties particulières à la France…

En matière de terres d’élevage, la Chine s’est contentée pour l’instant de contracter deux énormes contrats d’approvisionnement à long terme en lait en poudre "made in France" (et de ce fait garanti sans mélanine), d’abord avec un contrat entre le groupe chinois Synutra et la coopérative bretonne Sodiaal et récemment avec un contrat entre le groupe chinois Biostime et la coopérative normande Isigny-Sainte-Mère. Mais il est quand même opportun de relever que, dans le deuxième cas, la Chine est entrée au capital (20%), ce qui confirme l’intention et la volonté de la Chine de ne pas se contenter de simples contrats d’approvisionnement à long terme mais d’obtenir  à terme l’aliénation en sa faveur des terres agricoles concernées elles-mêmes.

Il est grand temps que le gouvernement et le parlement français sortent du laisser-faire actuel en matière de ventes de terres agricoles à la Chine (et aux autres pays étrangers) et déterminent un cadre législatif beaucoup plus contraignant. Faute de quoi, la France ne pourra même plus tabler sur ses exportations agricoles pour compenser partiellement le déficit béant de ses échanges en produits manufacturiers qu’elle a tant de mal à résorber.

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