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Le gouvernement n'a qu'une ligne politique, oui mais laquelle ?
©Reuters

Explication de texte

Interrogé par RTL vendredi sur les voix contestataires qui s’élèvent contre l'austérité au sein du gouvernement, Jean-Marc Ayrault a assuré : "Il n'y a qu'une ligne politique au gouvernement, il n'y en a pas deux".

Alexandre Vatimbella

Alexandre Vatimbella

Alexandre Vatimbella est le directeur de l’agence de presse LesNouveauxMondes.org qui est spécialisée sur les questions internationales et, plus particulièrement sur la mondialisation, les pays émergents et les Etats-Unis.

Il est également le directeur du CREC (Centre de recherche et d’étude sur le Centrisme). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages (dont Santé et économie, Le Capitalisme vert, Le dictionnaires des idées reçues en économie, Le Centrisme du Juste Equilibre, De l’Obamania à l’Obamisme).

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Atlantico : Suite à certaines critiques d’Arnaud Montebourg, Benoit Hamon et trente députés de la gauche populaire sur la "politique d’austérité" du gouvernement, Jean-Marc Ayrault a déclaré vendredi matin sur RTL, "il n’y a qu’une seule ligne politique." En a-t-il vraiment une, et si oui, comment la définiriez-vous  ?

Alexandre Vatimbella : Il faut bien comprendre que l’un des objectifs politiques principaux, si ce n’est le principal, de François Hollande est de régénérer en profondeur la gauche française, de terminer l’aggiornamento du PS en le faisant, enfin, entrer dans le XXI° siècle et sa réalité.

On ne peut comprendre cette politique qui avance en partie masquée (ou accompagnée d’une phraséologie qui ne correspond guère à son contenu) si on n’a pas à l’esprit cette tentative de profonde mutation de la gauche que veut accomplir Hollande.

C’est pour cela, également, qu’il avait besoin de toutes les composantes du PS à l’intérieur du gouvernement afin d’éviter une fronde et une opposition frontale de certains courants comme ceux représentés par Benoît Hamon ou Arnaud Montebourg. Cela produit évidemment de la cacophonie à l’intérieur même du gouvernement, notamment parce qu’Hamon et Montebourg, par exemple, savent depuis le début qu’il s’agit d’un marché de dupes mais qu’ils ne pouvaient refuser pour de multiples raisons, notamment leurs ambitions personnelles.

François Hollande peut-il gagner cette bataille, c’est beaucoup trop tôt pour le dire. N’oublions pas qu’il a également inclus que ce n’est pas lui qui a gagné la présidentielle mais que c’est Sarkozy qui l’a perdue. Du coup, ce ne sont pas les thèses de la gauche qui ont été adoubées par les Français mais l’action et le comportement de Nicolas Sarkozy qui ont été sanctionnés par les électeurs sur fond de crise économique.

Tout cela a produit un début de quinquennat où l’on a rappelé les grandes ambitions de la gauche pour mieux les enterrer avec cette "découverte" que la crise était plus profonde que prévu. Il fallait que le gouvernement fasse ce tour de passe-passe pour faire accepter la rigueur par une grande partie de la gauche.

De ce point de vue, le gouvernement navigue nettement moins à vue que ne le disent ses détracteurs et… qu’il veut le faire croire lui-même ! Maintenant, cela crée bien sûr des cacophonies et des demi-mesures, voire quelques renoncements ou retournements. C’est cela que l’on peut appeler les différentes lignes du gouvernement ainsi que ses hésitations: avancer vers un but qu’Hollande a clairement défini, une réforme en profondeur de la France, tout en brouillant constamment les cartes.

Il est particulièrement intéressant de voir que François Hollande a saisi l’affaire Cahuzac pour faire avancer sa volonté de moralisation de la vie politique qui était un de ses objectifs prioritaires (avec toutes les ambiguïtés que le terme "moralisation" véhicule). Si on le pensait comme un disciple de Machiavel, on pourrait même aller jusqu’à croire qu’il l’a provoquée lui-même !

Cette boutade permet de comprendre, malgré tout, pourquoi la gauche est complètement déboussolée par l’action de Hollande.

Politiquement parlant, il faut avouer que c’est osé, voire peut-être même quelque peu suicidaire. Pour la France, cela recèle évidemment du positif mais également du négatif avec la possibilité d’un déraillement qui ouvrirait une grave crise à tous les niveaux, économique, social, politique et sociétal.

François Hollande a besoin de temps pour que son entreprise réussisse. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a expliqué que le chômage allait continuer à augmenter pendant toute cette année. Mais, à une époque où le tempo politico-médiatique s’est accéléré et où les conséquences négatives de la crise se font sentir de plus en plus chaque jour, il risque d’en manquer.

Plus largement, la gauche est-elle victime d’une crise idéologique ? Peut-on dire qu’une partie de la majorité s’est convertie au néo-libéralisme ? Ce ralliement est-il un choix assumé ou un choix par défaut ?

La crise idéologique de la gauche date d’il y a longtemps, du temps où Michel Rocard a rejoint le Parti socialiste au milieu des années 1970. Dès son arrivée, il a plaidé pour la mise en place d’un projet socialiste réaliste qui s’apparentait à celui des partis sociaux-démocrates des autres pays européens. Il fut combattu très durement par l’aile gauche du PS alors représenté par Jean-Pierre Chevènement.

De même, les positionnements de Jacques Delors et de quelques autres allaient dans le même sens. Et le tournant de la rigueur en 1983 où François Mitterrand a entériné une ligne social-démocrate a fait entrer le PS dans une crise identitaire entre un discours de gauche et une pratique gouvernementale souvent social-libérale. On peut dire qu’une partie des socialistes, sans doute majoritaire, s’est convertie à la ligne social-démocrate mais que celle-ci est toujours contestée par une minorité agissante.

Cette ligne suscite-t-elle l’adhésion de la gauche actuelle ? Hollande a-t-il vraiment la majorité pour appliquer cette politique ? La présence des Verts au gouvernement est-elle appelée à durer ?

Soyons clairs, la ligne politique de François Hollande nécessite en réalité une majorité entre les socialistes et les centristes alors que la majorité actuelle est composée de socialistes et d’écologistes, dont beaucoup sont encore dans une vision manichéenne où l’ennemi est le libéralisme (qu’ils appellent néo-libéralisme pour le diaboliser un peu plus), et qu’elle doit compter avec les attaques dures, grossières et dangereusement populistes d’un Front de gauche dont les déclarations n’ont plus rien à envier à celles du Front national.

Existe-t-il un risque de voir une partie de l’aile gauche du PS rejoindre le Front de Gauche de Jean-Luc Mélenchon ?

Oui, bien sûr, il a des passerelles entre la gauche du Parti socialiste et le Front de gauche. N’oublions pas que Jean-Luc Mélenchon a été longtemps socialiste même s’il vient de l’extrême-gauche (de l’OCI trotskyste) et qu’il a fait, comme un certain nombre de militants gauchistes de Lionel Jospin à Jean-Christophe Cambadélis (également anciens de l’OCI) en passant par Julien Dray (ancien de la LCR), de l’entrisme au PS pour tenter de la phagocyter sans grand succès.

A l’inverse, un rapprochement entre François Hollande et Jean Louis Borloo ou François Bayrou est-elle crédible ? Pourrait-on assister à la création d’un gouvernement "d’union nationale" ?

L’alliance entre le PS et l’UDI n’est pas à l’ordre du jour, Jean-Louis Borloo voyant son avenir comme chef de la droite. En revanche, il est évident que l’avenir politique de François Bayrou passe aujourd’hui par un rapprochement avec François Hollande. Le problème, c’est qu’il n’a pas grand-chose à offrir (deux députés) et que son programme n’est pas très clair actuellement. Bayrou, malgré tout, doit également se préserver une autre voie qui serait celle du recours, celle qu’il a tentée, sans succès, de prendre ces dernières années et qui s’est soldée en 2012 par son échec à la présidentielle puis aux législatives.

Quant à l’union nationale que François Bayrou prône depuis 2007, je ne pense pas qu’elle soit encore à l’ordre du jour. En revanche, un certain consensus allant de la droite modérée à la gauche modérée sur un certain nombre de mesures importantes et urgentes à prendre, notamment en matière économique, serait hautement souhaitable. Cela requiert avant tout des politiques courageux et responsables, deux qualités trop rares.

Car, un des casse-têtes du gouvernement français est de savoir comment continuer à réduire les déficits tout en conduisant une politique de relance, comment faire de la relance dans la rigueur. Cela aurait été également le cas pour un gouvernement de droite ou du centre. C’est également le casse-tête principal de tous les gouvernements des pays avancés actuellement, des Etats-Unis à l’Italie, du Japon à l’Italie et même l’Allemagne.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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