Le drapeau, oui, mais après ? Toutes ces valeurs que la gauche (et la droite) pourraient utilement reconquérir<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande appelle à "pavoiser" de drapeaux tricolores les maisons.
François Hollande appelle à "pavoiser" de drapeaux tricolores les maisons.
©Reuters

Allons enfants de la patriiiieeee

Dans le cadre de l'hommage national rendu vendredi 27 novembre aux Invalides, François Hollande appelle à "pavoiser" de drapeaux tricolores les maisons. Une évolution de la gauche notable, quand on sait que quand Ségolène Royal avait appelé à mettre en avant les symboles de la nation lors de sa campagne présidentielle, l'idée avait suscité la polémique.

Alexis Théas

Alexis Théas est haut fonctionnaire. Il s'exprime ici sous un pseudonyme.

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Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : Comment expliquer que les symboles nationaux propres à l'histoire française soient souvent mis au banc ? Par cet appel, en quoi François Hollande enterre-t-il une "certaine" approche"de la gauche 

Alexis Théas : Il est étrange de penser que ces symboles nationaux viennent à l'origine d'une tradition de gauche, révolutionnaire. Le drapeau tricolore, comme la Marseillaise, sont des héritages de la Révolution... Au passage du XIXe au XXe, l'idée nationale comme les symboles nationaux sont passés à droite. La gauche se voulait internationaliste y compris le parti socialiste. Cependant, il est toujours resté à gauche une tradition nationale. Des dirigeants comme Léon Blum, Vincent Auriol n'ont jamais renié le drapeau tricolore ou la Marseillaise, bien au contraire, ni Mauroy ou Mitterrand d'ailleurs. Mai 1968, auquel se sont ralliés la plupart des dirigeants socialistes a développé une idéologie qui prône la table rase et condamne les valeurs traditionnelles, dont celle de nation. Pourtant, une partie des leaders de gauche en sont revenus. Je pense qu'il existe réellement deux gauches. L'une est libertaire, internationaliste, sans frontiériste, droit de l'hommiste, qui n'aime pas la nation et ses symboles, à l'image de cet intellectuel déclarant qu'il ne "vibre pas en entendant la Marseillaise" ou de cette photo d'un artiste, à la FNAC en 2011, outrageant le drapeau tricolore. L'autre dans la filiation des personnalités cités ci-dessus considère que la Nation et ses symboles sont les socles de la stabilité, de la sécurité, des refuges dans la tempête. François Hollande, par ce geste se rattache à cette seconde tradition. Toutefois, les deux gauches peuvent aussi coexister dans le même individu, l'une ou l'autre prévalant selon les circonstances et les intérêts politiques. C'est d'ailleurs souvent le cas... 

Guylain Chevrier : L’idée de nation s’affronte à un double rejet. D’une part, en raison d’un traitement européen de la nation qui la minore à la faveur d’une construction de caractère fédéral, voulue par la sociale démocratie européenne, à laquelle a emboité le pas la droite républicaine. On assimile ainsi, la résistance des nations à plus d’intégration politique européenne, à un égoïsme des peuples, à du nationalisme.

D’autre part, l’idée de nation s’oppose à la nouvelle figure de l’opprimé, l’immigré, adoptée par la gauche de la gauche après le désenchantement du communisme, et le deuil de l’ouvrier comme figure de l’émancipation commune par la suppression des classes. La défense sans condition des étrangers sans –papiers, au nom d’une solidarité internationale, va avec l’idée de fin des frontières à laquelle résiste la Nation, qui se définit par le territoire sur lequel le peuple exerce sa souveraineté. La Nation a été du coup assimilée à du nationalisme de façon absurde, mais logique lorsque l’on suit ce raisonnement.    

C’est dans ce contexte que l’on a vu les symboles républicains tels que le drapeau tricolore ou encore la Marseillaise, être assimilés à des archaïsmes, dont il faudrait se débarrasser au plus vite. Lors de l’avant dernière émission « Des paroles et des actes » sur France 2, Bruno Le Maire (Les Républicains) parlant de « culture française » a été accusé immédiatement de tenir des propos d’extrême droite par M. Mélenchon, rétorquant que nous vivons dans un pays où se mélangent aujourd’hui les cultures. Il signifiait que, de son point de vue, nous serions aujourd’hui dans une société multiculturelle, et que toute revendication d’une culture française serait dans ces conditions à caractère discriminatoire par l’exclusion des autres cultures.    

Ce qu’oublie de façon incroyable M. Mélenchon, mais qui exprime un point de vue largement partagé par la gauche et la gauche de la gauche, c’est que la société française a une culture très marquée par ses institutions, une culture républicaine. L’article premier de la Constitution nous dit tout d’abord que notre République est « indivisible » (l’unité de la nation à travers le corps politique des citoyens- souveraineté du peuple), « laïque » (Séparation des Eglises et de l’Etat, droit de croire ou de ne pas croire), « démocratique » (Le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple) et « sociale » (Des libertés économiques et sociales qui embrassent l’ensemble des membre de notre société). Définition de la République qui est suivie par l’affirmation du principe d’égalité devant la loi indépendamment des différences d’origines, de couleurs et de religions. Puis, à l’article second, on définit la devise de la République Liberté-Egalité-Fraternité (notre liberté vient avant tout d’être des égaux, de choisir ainsi ensemble notre destin, celui de la nation, ce qui nous prédispose à fraterniser comme membres d’un même peuple) à côté du drapeau tricolore comme symbole de la République.    

Défendre que la France ne serait plus qu’une addition de différences est tout le contraire de la réalité, de ce qui fonde notre vivre ensemble, des valeurs et des normes communes, dont des normes juridiques, qui vont avec un art de vivre, dont il ressort une forte identité et personnalité nationale, et donc une culture bien trempée et unique. Ce n’est pas le fait qu’il existe aujourd’hui une réalité plus composite de sa population qu’il y a une quarantaine d’années, lié aux phénomènes migratoires, qui change quoi que ce soit aux principes et à l’histoire qui ont fait de la France un pays original à la culture sans pareil.  Et ce, aux yeux du monde, n’en déplaise à certains au cerveau plat.

Outre le drapeau, quels sont les valeurs, ou autres symboles, que les partis de gauche, mais aussi de droite, ont pu laisser de côté au cours de ces dernières années, ou décennies ? Pourquoi ?

Alexis Théas :  Au-delà des symboles, il y a les attributs mêmes de la Nation: une langue, un peuple, un pouvoir souverain. Les symboles ne sont que l'apparence la surface des choses. Le plus grave, c'est quand on abandonne tout le reste. Il est certain qu'en valorisant les langues régionales au détriment du français, on ne favorise pas le sentiment national sur le long terme. Une nation est formée d'un peuple. L'immigration vient l'enrichir quand elle se traduit par un phénomène de fusion ou d'assimilation à la nation française. Mais quand cette immigration favorise les phénomènes de ghettoïsation, d'exclusion, de communautarisme, de repli identitaire, elle contribue à fragmenter la Nation et à l'affaiblir.  De même une nation est faite d'un territoire, de frontières. Quand on a supprimé les frontières nationales avec la convention de Schengen, on a donné un signe qui ne va pas dans le sens de l'affirmation de la Nation. Idem: la suppression du service national en 1996 a mis fin à un creuset historique de la l'esprit national. Une nation, c'est aussi un pouvoir politique, un gouvernement. Depuis trente ans, les transferts accélérés de compétences à Bruxelles, commerce, budget, monnaie, etc se sont traduits par un affaiblissement de la démocratie nationale, du sentiment d'un destin commun qu'il faut bâtir ensemble.

Guylain Chevrier : C’est sans doute le principe d’égalité, qui est une valeur collective très forte et un principe constitutif de la République, qui a été le plus attaqué.    

Face à la montée des affirmations identitaires, on n’a cessé de tanguer. L’ancien Premier ministre Jean-Marc Ayrault, dans le cadre de la refondation de la politique d’intégration proposait rien de moins (fin 2013) que d’« assumer la dimension « arabe –orientale » de la France en allant jusqu’à proposé avec l’adoption d’une politique de discrimination positive, l’abrogation de la loi du 15 mars 2004 d’interdiction des signes religieux ostensibles dans l’école publique, jugée discriminatoire !    

Encore aujourd’hui, par différents canaux officiels, au nom de résoudre les difficultés rencontrées sur la question du vivre-ensemble, on est tenté de reconnaitre juridiquement des droits particuliers à des groupes issus de ce que l’on nomme la diversité, au nom de mieux la prendre en compte. Il faudrait ainsi inopérante à une politique de reconnaissance des identités, une logique des acteurs s’appuyant sur l‘identitaire, sur les particularismes ethniques, religieux, d’origine…    

On propose très concrètement dans cet état d’esprit de repenser la politique de la ville selon un nouveau modèle appelé le « community organizing ». Venu des pays anglo-saxons, ce modèle prône la mise en place de conseils de quartier dit « réellement représentatifs » ne comprenant pas les « habitants méritants aux yeux de telle collectivité territoriale issus du milieu associatif conventionnel, » pour porter les projets de la politique de la ville mais « sélectionnés en fonction de leur pays d’origine, de leur genre, de leur âge… » (Extrait d’un rapport du think-tank, Terra Nova, paru dans le journal Le Monde du 12 avril 2012). Il serait question de développer ici un nouveau « pouvoir des citoyens ». Mais de quelle citoyenneté parle-t-on, si cette logique conduit à une assignation des individus malgré eux à des minorités, où leurs libertés et droits individuels se trouveraient fondus derrière l’intérêt supposé du groupe d’appartenance?    

Une conception de l’action politique totalement contraire à nos valeurs communes et au fondement de notre droit, à notre conception de la Nation et à la République elle-même, mais qui offre il est vrai tout un champ au clientélisme politique. On en fait la promotion régulièrement dans les instances officielles, dans les projets d’action des pouvoirs publiques, dans le travail social. Comment veut-on que cela ne provoque pas des tensions identitaires, poussant dans le sens du rejet des différences, et encourageant au vote extrême ?    

L’historien Pierre Rosanvallon mettait en garde, dans son ouvrage sur la « Nouvelle question sociale » dès 1995, sur le risque que la crise de notre cohésion sociale n’entraine, avec la victimisation de certaines populations, une demande de réparations généralisées, faisant courir le risque de l’éclatement de la Nation.    

On met l’accent dans l’école, lorsqu’on invoque la laïcité, sur l’enseignement dit « laïc » du fait religieux, dans l’idée de valorisation des différences par laquelle mieux intégrer croit-on, tous les enfants. Mais en réalité, on appuie sur ce divise au lieu de le faire sur ce qui nous rassemble et spécialement l’idée de nation. On devrait bien plutôt insister sur ce qui constitue pour tous un bien commun qui donne à chacun le sens des droits mais aussi des devoirs, la citoyenneté, qui ne fait pas de la France un pays à la carte, mais qui a ses exigences, son identité non négociable, une certaine idée de l’homme qui émane de ses instituions dont nous n’avons pas à rougir, bien au contraire. La Charte des droits et des devoirs du citoyen, préparée par le Haut Conseil à l’Intégration et adoptée par décret le 30 janvier 2012, devrait être au cœur du programme d’éducation civique de l’école de la République, comme le ciment de notre cohésion sociale, seule capable de prévenir ce piège de la haine de la France qui conduit à la radicalisation ! 

Comment retrouver la notion de nation, en France, concept souvent laissé à la droite de la droite ?

Alexis Théas : Je ne dis pas qu'il faille forcément revenir en arrière pour tout. Un fleuve ne remonte jamais à sa source... Par exemple sur le service national, pour des raisons de coût, d'acceptabilité sociale mais aussi de modernisation des armées professionnelles, il me paraît exclu de le rétablir. En revanche, au-delà de la réhabilitation des symboles qui a un caractère superficiel, il faut replacer la nation au coeur de l'enseignement. Pourquoi a-t-on cessé d'enseigner l'histoire des événements nationaux et des héros français? Qui parle encore de Clovis, Jeanne d'Arc, Napoléon, aux collégiens et aux lycéens? Cela ne se fait plus. Et là, on touche au cœur de l'idéologie. C'est beaucoup plus significatif de parler à des enfants des héros nationaux français, de Bonaparte, Clemenceau, Poincaré, de leur apprendre la grandeur de la France, que de leur faire chanter un couplet de la Marseillaise. Là, on touche au fond, au contenu. Faire réapprendre l'histoire de France, avec ses moments de gloire et de détresse, enseigner les écrivains français qui ont sublimé la langue française, voilà qui aurait un sens. Cependant, je ne pense pas qu'aucun parti ni personnalité politique ne soit prêt à en venir là. Hisser le drapeau tricolore au grand mat et entonner en chœur la Marseillaise tandis que le navire sombre, avant de le quitter dans le canot de sauvetage, c'est tellement plus facile que de descendre dans la cale pour tenter de colmater les brèches et de poursuivre la traversée !

Guylain Chevrier : J’ai pu entendre que la notion même d’Hommage national dérangeait certains, en raison d’être national, ce qui confine véritablement à la bêtise par ce déni de soi-même auquel on nous invite.

Pour redonner à la Nation « la cote », il faudrait revenir un peu plus vers elle, l’expliciter, du côté de son sens commun et même de son sens tout court. C’est une communauté humaine ayant conscience d’être unie par une identité historique, culturelle, linguistique, politique, voire religieuse, territoriale, par un destin commun. La liberté pour une Nation signifie qu’elle dispose du pouvoir d’Etat, c’est en ce sens qu’elle constitue un « peuple souverain ». Depuis la Révolution française, la Nation est un ensemble de citoyens détenant le pouvoir politique (souveraineté). Le principe  de toute souveraineté réside dans la Nation, comme l’exprime la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Il en a découlé le concept moderne de libre disposition des peuples. La Nation a à voir avec une volonté de vivre ensemble, c’est une association d’hommes libres, communauté politique composée de citoyens égaux devant la loi qui organisent leurs liens, résolvent leurs conflits, par la délibération et l’adoption de lois communes. L’Etat-Nation est une construction qui synthétise l’intérêt général, un intérêt général qui est le résultat du dépassement des différents particularismes propres aux origines différentes des Français, se traduisant par l’élévation de biens communs au dessus des différences, comme les droits et liberté individuels, la démocratie, le politique, les droits sociaux.. On trouve dans le Préambule de la Constitution de la IVe République, définit la dimension sociale de la République par référence à la Nation : « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leurs développement. » L’Etat garantissant ainsi, quel progrès !, des conditions d’existences matérielles aux membres de la société leur permettant de jouer leur rôle de citoyen. Il faudrait mieux mettre en valeur combien, dans cet état d’esprit, elle est une communauté de destin écrivant son histoire, tous ensemble.

Un beau projet en somme, qui mériterait d’être mieux compris, partagé et non désavoué, dégradé, déclassé, à l’aune des opportunismes politiques, des renoncements et des petites lâchetés du pouvoir. Le peuple lui, ne s’y trompe pas, tel que cela se reflète à travers la montée pour le moins regrettable d’un FN qui fait une sorte de holdup sur la Nation, en montrant combien elle a toujours du sens pour les Français. Ce qui sans doute n’est pas non plus sans participer de cette nouvelle sensibilité pour la Nation que certains se découvrent subitement, sous la lumière crue des derniers événements tragiques. Ces derniers font ressentir que la France, attaquée sur son territoire se sent meurtrie, donnant du ressort à un sentiment d’indignation nationale qui résonne de l’écho du rappel de ce que nous sommes, bien qu’on fasse tout pour nous le faire oublier ou le dénier : une Nation !

Un tel changement de cap, pour François Hollande, a t il vocation à durer ? Ou s'agit il d'une simple appropriation éphémère ?

Alexis Théas : Les Français ont appris à connaître leur président, avec ses forces et ses faiblesses... La communication, la posture, les slogans ont une place particulièrement marquée dans son mode d'exercice du pouvoir. Sans doute faut-il y voir une manière d'esquiver le fond des sujets, la sécurité, l'immigration, l'emploi, le terrorisme et surtout les résultats obtenus. Il n'est pas le seul à cet égard, plongé dans le déni du réel, le phénomène touche l'ensemble de la classe politique de l'extrême gauche à l'extrême droite. Jouer sur les passions, les émotions les sentiments, est tellement plus facile que retrousser les manches, dire la vérité sur la situation du pays, se mettre au travail. Il bénéficie d'un traitement médiatique extraordinairement complaisant, la presse et les médias jouant parfaitement son jeu en occultant tous les sujets qui fâchent. Imaginons un instant Sarkozy demandant aux Français de mettre un drapeau tricolore à leur fenêtre, le procès en démagogie qui lui eût été intenté, la polémique furieuse d'une semaine... La différence de traitement en est presque risible. La vraie question est de savoir si les Français sont dupes. Je n'en suis pas du tout certain et tout cela risque de lui revenir en boomerang.

Guylain Chevrier : Effectivement, c’est un sacré changement de cap, mais seulement pour une part, et qui tient donc de la conjoncture. La guerre contre l’Etat islamique, essentiellement menée par la France au regard d’une Europe plus spectatrice, lui donne aussi un nouveau relief, redorant son blason au rang des nations. Le fait que la France soit frappée sur son territoire a à voir avec l’atteinte à la souveraineté de la Nation, ce qui la fait revenir dans le débat politique et les références collectives. Il demeure néanmoins que, dans une économie mondialisée sous le signe d’une Europe qui se construit sur un mode fédéral, par des  transferts de souveraineté et dont contre la souveraineté des Etats, le libre choix des peuples auxquels on a imposé ce modèle y compris parfois contre leur refus exprimé lors de référendums, la Nation reste dans le viseur.

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