Le Covid, une hystérie collective sans fondement ? Voilà ce que disent les chiffres de la mortalité avec 4 ans de recul <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
Un membre du personnel soignant auprès d'un malade du Covid-19 dans un hôpital.
Un membre du personnel soignant auprès d'un malade du Covid-19 dans un hôpital.
©Anne-Christine POUJOULAT / AFP

Pire que la grippe espagnole ?

De nouvelles données sur le Covid permettent de mieux percevoir l'impact de la pandémie.

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

Voir la bio »

Atlantico : De nouvelles études permettent d’avoir du recul sur les chiffres de la mortalité liée au Covid. En l’espace de quatre ans, la pandémie de Covid-19 aurait fait près de 30 millions de victimes. Au regard de la comparaison fréquente avec la grippe espagnole qui aurait fait entre 20 à 50 millions de morts entre 1916 et 1919, quels sont les enseignements des chiffres de la mortalité liée au Covid avec le recul de 4 ans ? Qu’est-ce ces chiffres nous disent sur l’ampleur, la gravité de la pandémie de Covid-19 et ses ravages à travers la planète alors que certains évoquaient une hystérie collective sans fondement au début de la pandémie ?

Antoine Flahault : Les chiffres officiels, ceux rapportés à l’Organisation Mondiale de la Santé à Genève font état de 7 millions de décès dus au Covid dans le monde depuis le début de la pandémie. Mais ces chiffres sont très sous-estimés. Par exemple en Chine, après la levée de leur stratégie zéro Covid, entre décembre 2022 et mars 2023, le gouvernement a rapporté 60’000 décès par Covid, alors que les estimations convergent pour penser qu’il est plutôt survenu 1,4 millions de décès à cette période. De même, la plupart des pays d’Afrique subsaharienne ont rapporté de très faibles nombres de décès par Covid, mais ils ne testent pas, leurs systèmes de santé sont souvent défaillants et ne permettent le plus souvent pas d’hospitaliser les malades atteints de formes graves de Covid, leurs données officielles sont également erronées. Des chercheurs ont conduit des investigations dans des morgues de Zambie, et les données des prélèvements et des autopsies réalisées systématiquement lors de ces études ont montré des chiffres de mortalité attribuable au Covid beaucoup plus élevés que ceux rapportés par les gouvernements. Dans bon nombre de pays, on ne dispose pas de données fiables d’état civil. On ne dénombre pas les naissances, pas les décès non plus, il n’est même pas possible d’évaluer un éventuel excès de mortalité. En Europe ou aux États-Unis, où les registres sont plus fiables, on a pu mesurer l’excès de mortalité. Mais, comme le Covid n’est pas une maladie saisonnière, il n’a pas été toujours aisé d’attribuer au Covid l’excès de mortalité constaté durant les mois d’été, car il pouvait aussi être lié aux canicules fréquemment rapportées à ces périodes ces dernières années. Ainsi, il est très difficile d’estimer avec précision la mortalité réelle attribuable au Covid durant cette pandémie dans le monde. On comprendra aisément qu’il est encore plus difficile de se fier aux estimations de mortalité d’une pandémie du début du vingtième siècle, comme celle de la grippe espagnole. Les fourchettes proposées de 20 à 50 millions de décès entre 1918 et 1920 sont d’ailleurs très imprécises et sujettes à une très forte incertitude.

Selon les chiffres de The Economist, les décès excédentaires imputables à la pandémie s’élèvent désormais à 28,5 millions, et il y a eu 700.000 décès excédentaires au cours des 3 derniers mois. Cela démontre-t-il que la pandémie de Covid-19 représente toujours actuellement une menace sérieuse, notamment pour les personnes à risque ?

Le paradoxe est que les mortalités absolues par Covid, et dans une moindre mesure par grippe, sont très élevées alors que ces maladies sont très faiblement létales. Le taux de mortalité est désormais voisin de un pour mille pour le Covid mais peut conduire à un excès de mortalité absolu élevé lors des importantes vagues de contaminations comme on en connaît régulièrement depuis le début de la pandémie.

Concernant les leçons de la comparaison entre le Covid et la grippe espagnole, la gravité et l’ampleur de la pandémie de Covid n’est-elle pas d’autant plus importante et alarmante que ces décès interviennent à notre époque moderne alors que les antibiotiques et les vaccins sont accessibles ?

La mortalité lors de la pandémie de grippe espagnole touchait fréquemment des personnes jeunes et était très probablement due pour une grande part à des surinfections bactériennes, des pneumonies notamment, qu’on ne savait pas à l’époque traiter puisque les antibiotiques n’existaient pas encore. 

La mortalité due au Covid a profondément évolué avec la vaccination de masse. Avant l’arrivée des vaccins, elle concernait des personnes atteintes parfois de comorbidités légères, par exemple, un surpoids, une hypertension, ou un diabète. Depuis l’arrivée des vaccins, les personnes qui meurent du Covid sont désormais très âgées, atteintes de comorbidités lourdes, parfois immunodéprimées. Un profil voisin de celui de la grippe saisonnière. Ces personnes ne font pas nécessairement de détresse respiratoire aiguë, mais elles décompensent plutôt leurs nombreuses et lourdes pathologies préexistantes. Le Covid peut secouer assez durement tout le monde, mais chez les personnes dont l’état de santé est très précaire, leur équilibre instable peut basculer vers des complications menant au décès. Le médecin appelé au chevet de ces patients ne fait pas toujours le lien entre la dégradation de leur état de santé et un Covid ou à une grippe contractés parfois plusieurs semaines plus tôt et pas toujours diagnostiqués. Ainsi en France, où les épidémies saisonnières de grippe causent un excès de mortalité en moyenne de 10’000 personnes chaque année, un peu moins de 1’000 décès par grippe sont notifiés officiellement durant la même période. On n’a pas encore le même recul pour le Covid, mais il est probable que le phénomène soit très voisin de celui de la grippe ici.

Comment expliquer que malgré les ressources hospitalières modernes, la vaccination, les antibiotiques, la hausse du niveau de vie, la pandémie de Covid-19 ait pu causer près de 30 millions de morts ?  Le manque d’anticipation de la pandémie et l’état de santé dégradé, fragile ou à risque de la population mondiale sont-ils l’une des explications ?

Une maladie infectieuse est capable de contaminer rapidement une très grande proportion de la population. Le Covid est d’autant plus redoutable que le coronavirus qui le cause mute fréquemment et nous avons quasiment tous été réinfectés, souvent à plusieurs reprises. Même si le taux de mortalité a été considérablement réduit grâce à l’immunité conférée par le vaccin et ces réinfections répétées, ce taux faible, lorsqu’il est appliqué à toute la population, entraîne des nombres absolus de décès conséquents. Le Covid tue désormais sans causer de saturation des hôpitaux, de manière silencieuse et peu spectaculaire. Il ne fait plus la Une des journaux mais il continue à abréger la vie de personnes âgées et fragiles, à chaque vague. Nos sociétés, même modernes, riches et développées sont efficaces à traiter les pneumonies, voire les défaillances respiratoires, mais gèrent moins bien les décompensations de pathologies préexistantes du grand âge où l’immunodépression causée par la maladie ou les médicaments. Les vaccins, contournés en permanence par de nouveaux sous-variants, ne sont pas capables d’empêcher les vagues de survenir plusieurs fois par an, contaminant sur leur passage, jeunes et vieux, robustes et fragiles, causant des décompensations pas toujours attribuées au Covid et conduisant parfois au décès. Si nous voulions vraiment limiter ces risques liés aux virus respiratoires, dont on sait qu’ils se transmettent par voie aérosol, en milieu clos, bondés et mal ventilés, il nous faudrait alors nous préoccuper davantage de réduire les risques de contamination en cherchant à améliorer la qualité de l’air intérieur que nous respirons.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !