Le Covid échappé d’un laboratoire de Wuhan ? Petit historique des précédents en matière de fuite de virus<!-- --> | Atlantico.fr
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Une vue aérienne du laboratoire P4 de l'Institut de virologie de Wuhan, dans la province centrale du Hubei en Chine, le 17 avril 2020.
Une vue aérienne du laboratoire P4 de l'Institut de virologie de Wuhan, dans la province centrale du Hubei en Chine, le 17 avril 2020.
©HECTOR RETAMAL / AFP

Histoire des pandémies

Alors que les Etats-Unis ont réclamé une « enquête approfondie » sur l'origine du Covid-19, l'hypothèse de la fuite d'un laboratoire chinois et le manque de transparence de Pékin sont à nouveau au cœur des débats et de l'actualité. La Chine a accusé Washington de complotisme. Par le passé, a-t-on recensé de tels incidents et d'éventuelles fuites de virus en provenance de laboratoires ?

Etienne Decroly

Etienne Decroly

Etienne Decroly est virologue spécialiste du VIH. Directeur de recherche au CNRS dans le laboratoire Architecture et Fonction des Macromolécules Biologiques (AFMB) de l’Université d’Aix-Marseille. 

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Atlantico : L’hypothèse d’une fuite de laboratoire pour expliquer l’émergence du SARS-Cov-2 est explorée par plusieurs équipes scientifiques. Par le passé, a-t-on recensé régulièrement de tels accidents ?

Etienne Decroly : Le premier accident bien documenté est l’émergence du virus Marburg en Allemagne, en 1967. Il est lié à l’importation de singes d’Ouganda infectés par un virus de la famille d’Ebola. Des chercheurs ont été infectés alors qu’ils préparaient des vaccins a partir de cellules de rein de singe, ce qui a déclenché une épidémie ou 31 laborantins du laboratoire Behring de Marbourg furent atteints et sept en moururent. Cet épisode a donné le nom Marburg au virus. C’est un cas d’école, touts les accidents de laboratoires ne sont pas aussi bien documentées. Dans ce cas précis, on sait précisément ce qu’il s’est passé. Même s’il s’agit d’un accident de laboratoire, cela « ressemble » à une zoonose puisqu’il s’agit d’un virus naturel, présent dans une espèce animale, qui a passé la barrière d’espèce. La seule différence c’est qu’au lieu de se passer avec de la viande de brousse ou de chasse, l’incident a eu lieu auprès des personnels de laboratoire et qui a été infecté. Le site de l’épidémie du virus Marburg n’est pas l’Afrique d’où les singes proviennent mais la ville allemande où il s’est diffusé et où ces virus n’on pas de risque d’émergence normalement. La description de cet accident a conduit à des modifications des pratiques, et les singes aujourd’hui utilisés dans les laboratoires ne sont plus jamais issue de la faune sauvage mais proviennent d’élevage.

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Y-a-t-il eu d’autres cas notables ?

Il y ensuite eu le cas de la grippe H1N1 de 1977, qui pendant longtemps n’était pas reconnu comme tel. Il est donc moins bien documenté mais il est toutefois intéressant. Ce n’est que récemment par le développement d’outils de séquençage qu’on a pu établir qu’il s’agissait très probablement d’une fuite de laboratoire. Les équipes de recherche ont comparé les génomes de la grippe de 1977 avec des virus grippaux qui circulaient précédemment. Ils ont alors fait l’observation curieuse que le génome était rigoureusement identique à celui d’un virus circulant dans les années 1950. Or, les virus évoluent au cours du temps donc il n’y a aucune raison qu’un virus de 1977 soit identique à celui observé 25 ans plus tôt. Cela laisse donc penser que le virus avait été collecté et gardé en laboratoire congelée avant d’être ressorti pour être étudié, entrainant une fuite. Cela n’est pas encore certain, mais c’est hautement probable qu’il ait émergé à la frontière entre la Chine et l’URSS. Il y aujourd’hui un consensus relatif pour dire que cette épidémie, qui a fait plus de 700.000 morts, provient d’un accident de laboratoire. Cela montre que des accidents qui ne sont pas forcément rapportés comme tels peuvent être rétrospectivement découverts avec l’évolution des technologies.

On peut également mentionner le cas du SARS-Cov-1 en 2003 et 2004. Quatre accidents ont été répertoriés. Un à Hong-Kong, où deux chercheurs ont été contaminés. Un à Beijing où il y a eu quelques cas secondaires en dehors des chercheurs eux-mêmes. Un autre à Singapour où un étudiant a été contaminé et enfin un à Taiwan dans un laboratoire de sécurité de niveau BSL4.

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Il y a également eu des accidents sur les pox virus, qui appartiennent a la famille de la variole en Angleterre. Au total quatre accidents répertoriés entre 1972 et 1999 avec 80 cas et plusieurs morts. Il y a également eu des accidents avec des souches vaccinales de la polio qui ont donné des micro-épidémies. A époque, certaiens souches de vaccins pouvaient dérivées et donner naissance a des virus atténuées potentiellement infectieux. Des accidents ont également eu lieu aux Etats-Unis avec le Sabia virus. Un autre accident a eu lieu au Venezuela, les exemples sont finalement relativement mal connus mais assez nombreux.

Un article de 2004 paru dans The Lancet, de Heymann, Aylward & Wolff, intitulé Dangerous pathogens in the laboratory: from smallpox to today’s SARS setbacks and tomorrow’s polio-free world. (The Lancet 363: 1566–1568) relate ces différents cas en détail.

Est-il légitime d’envisager l’hypothèse d’un accident de laboratoire dans le cas du SARS-Cov-2 ?

Cette hypothèse était très en retrait au début de l’épidémie car la communauté scientifique sait que les mécanismes zoonotiques sont les principaux pourvoyeurs de nouvelles infections humaines. La zoonose était donc l’hypothèse naturelle. D’autant que ce type de virus peut émerger autour de marchés humides, comme ce fut le cas pour le SARS-CoV-1 de 2003. C’était donc l’hypothèse la plus légitime et parcimonieuse. Depuis, un rapport d’une commission conjointe Chine-OMS a analysé 80.000 échantillons ont été testés pour essayer d’identifier un progéniteur chez des animaux qui auraient pu être impliqués. Ces analyses n’ont pas révélé d’échantillon qui aurait pu être à l’origine d’une zoonose. Ce contexte amène les scientifiques à reconsidérer les hypothèses. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre l’hypothèse, il est simplement légitime de l’envisager. Un an et demi après le début de l’épidémie nous n’avons pas trouvé d’informations documentant l’origine zoonotique, donc il faut tester d’autres hypothèses. C’est ainsi que fonctionne une démarche scientifique. Évaluer une hypothèse ne préjuge pas des résultats des investigations, et actuellement il est impossible à ma connaissance d’affirmer avec des arguments scientifiques robustes l’origine accidentelle ou zoonotique du SARS-CoV-2. L’absence de preuves démontrant l’origine zoonotique fait que la seconde hypothèse est aujourd’hui d’avantage considérée. D’autant plus que le virus a émergé dans une ville où plusieurs laboratoires de recherche travaillent sur les Coronavirus et que certains laboratoires avaient échantillonné des virus proches du SARS-CoV-2. Explorer les hypothèses est avant tout essentiel si on désire éviter qu’un nouveau virus de ce type, qui a fait 3 millions de morts, émerge nouveaux dans les populations humaines par les mêmes mécanismes. Il est important que la Chine et l’OMS identifie son origine pour mettre en place des contre-mesures efficaces. 

Propos recueillis par Guilhem Dedoyard  

Retrouvez la seconde partie de cet entretien : Alerte à la sécurité défaillante des laboratoires de recherche biologique à travers le monde ? 

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