Le Bitcoin monnaie officielle du Salvador : les habitants du pays en reviennent déjà<!-- --> | Atlantico.fr
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Un homme portant un masque à l'effigie du président salvadorien Nayib Bukele pose pour une photo dans un guichet automatique de Bitcoin, Chivo, à San Salvador, le 7 septembre 2021.
Un homme portant un masque à l'effigie du président salvadorien Nayib Bukele pose pour une photo dans un guichet automatique de Bitcoin, Chivo, à San Salvador, le 7 septembre 2021.
©MARVIN RECINOS / AFP

Chivo

La mesure a été prise en juin 2021 par le président salvadorien Nayib Bukele. Neuf mois après son adoption par le Salvador comme monnaie à côté du dollar, le Bitcoin est peu utilisé. Une entreprise sur cinq l'accepte comme devise. Les Salvadoriens restent méfiants.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Le 7 septembre 2021, le Salvador devenait le premier pays au monde à adopter officiellement le bitcoin. Pour encourager l’adoption de la cryptomonnaie auprès de ces citoyens, le pays offrait 30 dollars à tout citoyen qui téléchargeait l’application de portefeuille national, appelé Chivo. Comment expliquer que la majorité de ses utilisateurs l’ait déjà abandonné, selon un article publié le mois dernier par des économistes du National Bureau of Economic Research ?

Michel Ruimy : Face au dollar, première monnaie mondiale, la crypto-révolution monétaire ne s’est pas produite au Salvador. En effet, quelques mois après la mise en force de cette initiative, l’utilisation du Bitcoin est loin d’être intensive. Près d’1 entreprise sur 5, essentiellement de grande taille, accepte le cryptoactif comme moyen de paiement à côté du dollar, l’autre monnaie légale du pays, et, malgré une incitation financière visant l’adoption du Bitcoin comme moyen de paiement (30 USD offerts en Bitcoins), environ 20% de la population a choisi de ne pas télécharger l’application Chivo sur leurs smartphones.

Dans ce contexte, près de 5% des ventes sont réglées avec des Bitcoins et, selon la Banque centrale du Salvador, seul 1,6% des transferts de fonds de Salvadoriens depuis l’étranger a été effectué en Bitcoins au cours du mois de février 2022.

Outre le fait qu’une partie de la population du Salvador n’a pas de smartphone, un point essentiel pour les paiements en Bitcoin, et que l’application a rencontré de nombreux problèmes techniques, cette frilosité s’explique essentiellement par le manque de manque de confiance des Salvadoriens dans le fonctionnement du projet et/ou dans le cryptoactif. Craignant une perte de pouvoir d’achat du fait de la volatilité du cours du Bitcoin, les ménages déclarent préférer les paiements en cash et, si une minorité des firmes a enregistré une hausse de leurs ventes libellées en Bitcoins, la quasi-totalité d’entre elles (88%) convertit rapidement ces cryptoactifs en dollars. Il est vrai que la correction du cours du Bitcoin au cours de ces derniers mois (passage de 58 000 USD en novembre 2021 à près de 40 000 USD aujourd’hui) a rendu les Salvadoriens particulièrement méfiants à l’égard de ce projet, au contraire de leur président qui assume le choix de cette crypto-révolution monétaire.

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Ainsi, malgré le statut légal conféré au Bitcoin et les actions du gouvernement pour encourager l’usage du cryptoactif, celui-ci n’est pas devenu un intermédiaire dans les échanges largement accepté au Salvador. L’ambition du président n’est pas, pour l’instant, encore prête de se réaliser.

Dès lors, comment expliquer la volonté du Salvador d’adopter le Bitcoin comme monnaie officielle ? Les dirigeants du pays ont-ils pensé que les avantages étaient plus forts que les risques encourus ? Quels sont-ils ?

Les avantages théoriques attendus d’une telle réforme sont nombreux.

Tout d’abord, un retour à la « souveraineté monétaire » et une solution aux désordres financiers. Ce changement devait permettre de réduire la dépendance du pays d’une part, à l’égard du dollar américain, monnaie officielle du pays depuis l’abandon du colon salvadorien (2001) et d’autre part, vis-à-vis de la politique monétaire menée par la Federal Reserve. En effet, le Salvador a souffert, aux cours des dernières décennies, d’importants déséquilibres monétaires (inflation forte, dépréciation du taux de change) et/ou de vive défiance vis-à-vis des autorités. Dans ce contexte, les dangers liés à l’utilisation des cryptomonnaies peuvent apparaître comme un « moindre mal » voire même une solution, pour une population défavorisée, désireuse de s’enrichir avec l’appréciation du cours du cryptoactif et d’améliorer ainsi leurs conditions de vie.

Ensuite, une meilleure inclusion bancaire. Cette réforme monétaire vise l’amélioration des conditions d’accès au système bancaire et financier de la population salvadorienne, jusque-là peu bancarisée.

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Enfin, l’adoption du Bitcoin comme monnaie officielle doit permettre de faciliter, grâce à une réduction des frais et commissions bancaires - près de 10% du montant de la somme envoyée - les transferts de fonds internationaux, notamment de la part de Salvadoriens installés à l’étranger (3 millions de Salvadoriens vivent à l’étranger, la majorité aux Etats-Unis, et leurs transferts d’argent à leur proches restés au pays représentent 6 milliards USD, soit plus de 20% du Produit intérieur brut).

Selon les chercheurs, ceux qui continuent d’utiliser le portefeuille Chivo s’en servent pour conserver et transférer des dollars, la monnaie officielle du Salvador, de la même manière que l’on utilise un portefeuille numérique ou une banque. Les avantages proposés par le portefeuille de bitcoins étaient-ils insuffisants par rapport à ce que pouvait fournir les dollars ?

Malgré la popularité du président Bukele, l’initiative a été aussi accueillie fraîchement par de nombreux Salvadoriens pour diverses raisons.

Concernant la diminution des frais de transferts de fonds internationaux, les données de la Banque mondiale montrent qu’ils figurent déjà parmi les plus bas du monde et que les économies pourraient être plus faibles qu’envisagées.

De surcroît, malgré la demande du président salvadorien, soucieux de l’empreinte carbone du projet, à l’entreprise publique d’électricité géothermique d’élaborer un plan environnemental s’appuyant sur l’énergie renouvelable tirée des volcans du pays, il est notoire que l’extraction des cryptoactifs nécessite d’importantes quantités d’énergie qui génèrent de nombreux rejets de gaz à effet de serre. Sera-ce suffisant ?

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Le problème de la conformité réglementaire est également pointé. La position du Salvador pourrait attirer des flux de Bitcoins étrangers dans le pays et augmenter les risques d’activités illicites (blanchiment d’argent, financement du terrorisme) passant par le système financier salvadorien. Cette situation accroîtrait ainsi les risques réglementaires, financiers et opérationnels des institutions financières. Dans ce contexte, l’agence de notation Moody’s a dégradé la solvabilité du Salvador, ce qui a eu pour résultat de mettre les obligations du pays libellées en dollars sous pression.

Enfin, le risque de change est prépondérant. L’Etat et les entreprises qui détiendront des Bitcoins dans leurs bilans pendant de longues périodes, seront fortement exposés à la volatilité de son cours, et donc de leurs bénéfices. Si le président Salvadorien a créé un fonds de 150 millions USD pour assurer la possibilité de conversion des Bitcoins en dollars, des doutes persistent, malgré tout, sur la manière dont le pays pourrait limiter les risques liés à la volatilité du cryptoactif, dont la valeur peut varier de plusieurs centaines de dollars en 1 jour.

Quelles leçons pouvons-nous tirer de cette expérimentation salvadorienne sur le recours aux cryptomonnaies dans l’économie courante ?

L'initiative du Salvador en a inspiré d’autres. Malgré les menaces permanentes d’organismes supranationaux comme le Fonds monétaire international, deux nouvelles régions (juridiction de Próspera, sur l’île de Roatán, au large de la côte Nord du Honduras, et les îles portugaises de Madère) ont annoncé leur volonté d’adopter cet actif. De même, la République centrafricaine depuis le 26 avril dernier.

De manière générale, le panorama géographique de l’utilisation des cryptoactifs, réalisé à l’aide de l’indice composite d’adoption des cryptoactifs dans le monde - global cryptocurrency adoption index -, indique que ceux-ci sont davantage utilisés dans les pays en développement. Le Vietnam se situe à la première place, suivi de l’Inde, du Pakistan et de l’Ukraine, les États-Unis constituant une exception en se classant à la 8ème place (Plus l’indice est proche de 1, plus les habitants d’un pays donné sont réputés avoir recours à des cryptoactifs).

Malgré ce développement, il convient d’attirer l’attention sur le fait que ces initiatives sont une menace pour la stabilité financière, l'intégrité financière et la protection des consommateurs.

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