Lao Jiao : faut-il croire la Chine quand elle dit vouloir en finir avec son système concentrationnaire ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La Chine souhaite mettre fin aux "camps de rééducation par le travail".
La Chine souhaite mettre fin aux "camps de rééducation par le travail".
©Reuters

Demain la liberté

Le nouveau responsable de la sécurité intérieure chinoise vient de déclarer qu'il souhaitait mettre fin aux "camps de rééducation par le travail" qui enferment criminels de droit commun et opposants au régime.

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico : La Chine a annoncé vouloir faire adopter une loi sur la fermeture de ses camps de travail. Peut-on vraiment croire à cette proposition ?

Emmanuel Lincot : Il s’agit là en tout cas d’une première dans la vie politique chinoise et qui semble aller dans le sens d’une volonté de réformes dans le domaine de la justice. Les camps de rééducation par le travail (« Lao Jiao » en chinois…) ont été jusque-là un reliquat hérité de l’ère maoïste dont l’objectif initial était d’y enfermer les intellectuels opposés au pouvoir en place. Néanmoins, à la différence des « goulags » de Sibérie, le but n’était pas tellement d’éliminer par l’épuisement les éléments « perturbateurs » mais de les exploiter, servilement du reste, comme main-d’œuvre sur des chantiers pénibles. Ce rôle initial a cependant été détourné et ces camps sont devenus à partir des années 1960 des lieux d’enfermement aussi destiné aux prisonniers de droits commun, ce qui a créé un mélange de populations de plus en plus problématique au fil du temps.

Au vu des déclarations de Meng Jianzhu, récemment nommé à la tête de la commission des Affaires politiques et juridiques du Parti, (équivalent de notre ministère de l'Intérieur NDLR), il semble que cette situation puisse faire un jour partie du passé et nous ne pouvons qu'encourager le gouvernement chinois dans cette voie. Cela signifie premièrement que si cette déclaration est suivie de mesures concrètes le pouvoir central reconnaîtra de fait que sa politique concentrationnaire n'est plus efficace sur le plan économique (une main d'oeuvre gratuite et servile étant jusque là considérée comme un avantage par Pékin...). Deuxièmement, cette mesure permettrait de supprimer enfin l'un des derniers héritages totalitaire de l'ère Mao et viendrait confirmer l'adoucissement du contrôle politique dans le pays.

Cette volonté de changement se retrouve d'ailleurs dans le gouvernement du nouveau dirigeant Xi Jinping, qui a fait de la réforme de la justice et des institutions de l'Etat un enjeu primordial dans la sauvegarde de la légitimité du Parti. Ainsi Li Keqiang, actuel vice premier ministre, est un juriste de formation et le fait même qu'il puisse accéder à une si haute sphère du pouvoir prouve que la Chine s'est définitivement décidé à moderniser son appareil judiciaire qui est extrêmement vétuste aujourd'hui. Il s'agit aussi sur le plan politique de jeter une pierre dans le jardin des néo-maoïstes conservateurs (qui ont perdu la bataille du pouvoir suite à la chute de Bo Xilai NDLR).

On pourrait se montrer sceptique et penser que la décision d'en finir avec les « Lao Jiao » est avant tout une manoeuvre politicienne visant à apaiser temporairement la grogne populaire. Cela m’apparaîtrait néanmoins étonnant vu que Meng Jianzhu s'y est personnellement engagé et que cela sous-entend qu'il y a consensus au sein de l'appareil politique. De plus on peut dire que la relaxe de plusieurs dissidents au cours des années 1990 a permis de sensibiliser l'opinion et de dénoncer l'archaïsme des structures concentrationnaires, ce qui explique pourquoi ce sujet est d'ailleurs devenu un en enjeu politique majeur pour le pouvoir malgré les fortes réticences d'une bonne partie des cadres du PCC.

Cette annonce découle-t-elle justement d’un véritable changement interne au Parti ou d’une pression populaire extérieure aux rouages politiques ?

Les deux mouvements coexistent et ont le plus probablement amené à cette déclaration de manière conjointe. Une affaire comme celle de Hu Jia révèle encore une fois les dissensions de la société chinoise sur les questions de Droits de l’Homme, de la libération de la parole et des besoins ressentis à ce propos par une partie de la population. La pression populaire est donc aussi bien interne qu’externe car le regard et l’analyse qui est faite de la Chine par la communauté internationale joue aussi.Les dirigeants chinois sont conscients du fait que la perception du pays s’est beaucoup dégradée ces dernières années, qu’il est souvent considéré comme violent et complètement liberticide. Ces derniers veulent fondamentalement changer cela. Enfin, le parti communiste chinois fonctionne de manière léniniste et il est impossible que cette annonce ait été faite autrement qu’à la suite d’une décision prise par l’ensemble des dirigeants du parti. En aucun cas cela ne peut être la conséquence d’une initiative personnelle. Cela témoigne donc d’une volonté profonde du parti qui pourrait malgré mettre longtemps à être mise en place concrètement.

Empereurs, lettrés, communistes, la Chine est gouvernée de manière autoritaire depuis des millénaires. Les Chinois sont-ils prêt pour une démocratie ?

Au sens purement étymologique du terme, une démocratie signifie que le peuple a le pouvoir, qu’il peut s’exprimer librement et choisir librement ses dirigeants. Pour comprendre le rapport complexe des Chinois a un changement de régime, il fait intégrer que celui en place bénéficie d’un très grand soutien populaire. Si de l’extérieur le régime chinois nous paraît très autoritaire, il a rendu sa souveraineté à la Chine et a lavé son honneur bafoué par un colonialisme humiliant. De plus, même s’il y a eu de nombreuses privations dont certaines, pas toutes, sont imputables à Mao, le régime en place a créé à la Chine un destin extraordinaire passant en quelques décennies du Moyen-Age à l’une des plus grandes puissances modernes au sens où l’entendait Raymond Aron. Enfin, il y a eut les 30 glorieuses chinoises de 1979 à 2009 qui a mené à l’annonce prochaine de la Chine comme la première puissance économique du monde, si ce n’est déjà le cas. Le soutien au PCC est donc toujours très grand mais celui-ci se marginalise progressivement à cause des aspirations à la liberté d’une population en pleine mutation. Dire que la Chine est prête pour la démocratie serait sans doute excessif mais elle s’y prépare, probablement pour une démocratie à la chinoise qui ne pourra pas malgré tout fonctionner autrement qu’à la confiance.  
Propos recueillis par Jean Baptiste Bonaventure


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