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Enseignements du passé

Joseph Gallard revient sur la période de la Révolution Française et sur la question de la liberté.

Joseph Gallard

Joseph Gallard

Joseph Gallard est étudiant en M1 Science Politique, licencié d’Histoire à l’Université de Nice Sophia Antipolis. 

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L’enseignement de l’histoire de la Révolution Française ne se fait désormais que du point de vue des vainqueurs, c’est-à-dire des jacobins, vae victis. Toute critique de cet épisode de l’Histoire de France est directement vu comme réactionnaire. Plus surprenant, les opposants à la Révolution ont été longtemps catégorisés comme conservateurs voire réactionnaires. Les professeurs noyés à l’idéologie soixante huitarde, cherchant à donner goût pour la manifestation et la contestation aux jeunes citoyens ont ainsi mis en avant des personnages jugés réactionnaires, souvent légitimistes comme Joseph de Maistre, mais pire, ils maltraitent la mémoire d’auteurs comme Edmund Burke ou François-René de Chateaubriand. Et pourtant ces auteurs ne contestent pas la Révolution par amour d’une aristocratie tombée durant l’Evénement mais par conviction pour la liberté. 

10h22, la lame bascule, la tête bascule, Charles-Henri Sanson se saisit de la tête du roi et la brandit à la foule, au peuple parisien ; cette nation révolutionnaire en liesse, d’une seule voix scande « Vive la Nation ! Vive la République ! Vive la liberté ». C’est ainsi que la Première République est proclamée en France. Contrairement à la croyance populaire, le roi gouvernait alors dans une monarchie constitutionnelle qui lui donnait, déjà, moins d’importance. Si la Révolution a cherché à rendre la liberté à toute une population qui en était privée par une noblesse puissante et une royauté absolue, en réalité elle s’est plus inspirée de Rousseau que de Montesquieu, de l’égalitarisme plutôt que du libéralisme. Alexis de Tocqueville le disait : « la fin de l’optimisme des Lumières marque la découverte entre l’opposition de deux principes, la liberté et l’égalité ».

La prophétie d’un libéral, Edmund Burke le premier contre révolutionnaire

S’il en est un qui a combattu de toute sa hargne la Révolution Française, c’est bien Edmund Burke, ce célèbre auteur Whig. Et pourtant, Burke n’est pas antirévolutionnaire, il aime la liberté, il admire la révolution libérale britannique de 1688, la Glorieuse Révolution. Pour lui, la tyrannie ne peut mener qu’à la révolution, mais, en 1790, il prédit une révolution sanguinaire, bien avant les nuages sombres des jacobins. L’Irlandais ne considère que très peu cette révolution car elle se situerait plus sur une approche égalitariste. L’égalitarisme, pour l’auteur, ne peut mener qu’à la violence. Mais encore pire, la révolution s’est substituée en réalité à la liberté, elle a cru servir un régime libéral, une fiction pour Edmund Burke. Et c’est là où ressort tout le pragmatisme britannique. Les Britanniques de l’époque ne peuvent croire aux droits de l’Homme, une sorte de principe universel. Cependant, les libéraux britanniques l’ont bien compris, le concept de liberté tel qu’ils le conçoivent n’est pas universel mais seulement britannique, il est le fruit d’une construction historique. Il est amusant d’ailleurs dans les pensées néocoloniales voir racialistes, qui puisent leur essence sur le droit à la différence, qu’elles puissent prendre en réalité la conception de la liberté vue par les libéraux conservateurs de l’époque.

Edmund Burke par bien des aspects a su prévoir les contours d’une révolution violente, il savait mieux que quiconque que ces événements ne pourraient en réalité n’avoir qu’une issue possible, la décapitation d’un roi, « l’horrible comète des droits de l’Homme qui de son effrayante chevelure secoue sur le genre humain la peste et la guerre »[1]. Il ne s’est point trompé, la soif d’une égalité absolue a contraint les révolutionnaires à éliminer la noblesse, à éliminer les possibles contradicteurs, la Terreur a sévi, telle une malédiction, une même justice entre les hommes et les dieux, mais est-ce réellement une justice ? Tocqueville ne le croit pas, il pense que l’élite française n’aurait pas dû être saignée de la sorte, en Angleterre, la bourgeoisie et la noblesse ont fait plier le roi, l’ont obligé à donner plus de pouvoir au Parlement. En France, c’est la guillotine qui a mis les protagonistes d’accord entre eux, faisant triompher la bourgeoisie, substituant l’ordre ancien en un nouvel ordre bourgeois, vecteur de nouvelles inégalités « au lieu de plier cette noblesse sous l’empire des lois on l’a abattue et déracinée » pestait Tocqueville.

Edmund Burke était un libéral anglais, fortement imprégné des idéaux de Montesquieu, pour lui la norme est la garante de liberté. La glorieuse révolution selon Burke s’est faite dans le pacifisme, par la norme, les anglais n’ayant pas besoin de rupture fondamentale pour changer de logique : « qu’importent à tous ces gens les complots, les massacres, les assassinats ? Pour eux, ce n’est pas cher payer une révolution. Ils trouvent plates et insipides des réformes qui ne font pas couler le sang et une liberté qui n’est pas souillée par le crime. Il leur faut de grands coups de théâtre, de magnifiques effets de scène, un spectacle grandiose pour réveiller les imaginations engourdies par la douce insolence de soixante années de sécurité et les joies apaisantes de la prospérité publique »[2]. Ici, cette hyperbole, ou plutôt cette prophétie résume très bien la Révolution Française.

Un événement qui se devait de connaitre un dénouement théâtral, comme si la simple réforme de la monarchie n’était pas encore suffisante, pas assez clinquante. Un sentiment qu’on peut très bien relier avec les temps actuels : lors des manifestations, on a une impression, une sorte d’habitus, enfouie dans nos pratiques, qu’une opposition doit se faire par la violence, par de grands actes plutôt que par le parlementarisme. Mai 68 se situe dignement dans cette filiation, un problème partant des universités s’est traduit, finalement, par une grande manifestation violente, clivant au passage toute une société en deux camps.

La table rase révolutionnaire

Burke apporte une dimension conservatrice à sa vision des événements de la Révolution. Pour le Britannique, dans sa comparaison entre les deux révolutions, elles sont aussi différentes par leur objectif initial. La Glorieuse Révolution s’est faite selon l’auteur sur les bases solides de leur histoire commune, dans une sorte de logique traditionnelle, tandis que les révolutionnaires français ont fait table rase du passé « depuis la grande charte de jusqu’à cette Déclaration des droits, le principe constant de notre constitution a été de faire valoir et d’affirmer nos libertés comme un héritage inaliénable qui nous est venu de nos aïeux et que nous devons transmettre à notre prospérité ». Encore une fois l’alchimie libérale-conservatrice est défendue par Edmund Burke, un combat pour la liberté au nom du passé conservé.

Jean-Jacques Chevallier résume parfaitement la vision d’Edmund Burke « au système Français qui lui apparaît comme le résultat d’une déplorable superstition du nivellement et du neuf »[3]. L’analyse est très fine, car l’auteur britannique prédit très bien la naissance d’un nouvel ordre, la Convention. Ce régime accompagné de réformes nombreuses réorganise complétement la France et remet donc en cause les acquis du passé, la preuve en est avec le calendrier révolutionnaire. L’année du calendrier en l’an 1 montre la volonté de rupture avec d’une part le calendrier grégorien héritier de l’Eglise mais aussi une sorte de nouveau départ.

Et c’est un aspect inconcevable aux yeux de ce libéral-conservateur de tradition britannique : « L’abbé Sieyès a des cases entières de pigeonnier remplies de constitution toutes faites, étiquetées, assorties et numérotées, appropriées à toutes les saisons et à toutes les fantaisies »[4].

Encore une fois, l’auteur est clairvoyant, dans la mesure où une nouvelle constitution sera promulguée à la suite de la mort du Roi avec la Constitution de l’An I en 1793. Louis XVIII l’a d’ailleurs finement compris, à son arrivée au pouvoir, dans la charte constitutionnelle du 4 juin 1814, le roi souhaite rétablir le lien avec l’ordre ancien et nomme à titre posthume le dauphin Louis XVII comme roi de France. Surtout, le Roi ajoute l’article 11 « Toutes recherches des opinions et votes émis jusqu'à la restauration sont interdites. Le même oubli est commandé aux tribunaux et aux citoyens. » qui permet de rompre avec les dérives de la révolution ainsi que le passage de Napoléon Bonaparte au pouvoir, mais garde en consensus les acquis révolutionnaires sur l’égalité devant la loi. L’objectif est clair pour Louis XVIII, faire de la Révolution un trou noir de l’histoire de France, comme l’on fait plus tard les historiens avec le régime vichyste.

L’épisode de la Terreur, vu par Chateaubriand.

À la suite de la mise en place de la constitution par le Comité de Salut public, c’est désormais la loi du « rasoir national » qui est à l’œuvre. Une période de Terreur menant à la mort de près d’une dizaine de milliers de personnes. Un événement durant lequel les prétendus ennemis de la république sont emprisonnés ou exécutés à la guillotine. Chateaubriand, ayant perdu son frère par sa rencontre avec la Louisette, revient dans ses Mémoires sur ce funeste événement qu’il n’a vécu que par substitution, étant alors immigré aux Etats-Unis.

Il revient notamment sur le massacre de septembre 1792 perpétrés par les révolutionnaires « Les harangueurs, à la voix grêle et tonnante, avaient d’autres interrupteurs que leurs opposants : les petites chouettes noires du cloître sans moines et du clocher sans cloches s’éjouissaient aux fenêtres brisées, en espoir du butin ; elles interrompaient les discours. On les rappelait d’abord à l’ordre par le tintamarre de l’impuissante sonnette ; mais ne cessant point leurs criaillements, on leur tirait des coups de fusil pour leur faire faire silence, elles tombaient, palpitantes, blessées, et fatidiques, au milieu du Pandemonium »[5].

La violence est dans l’ADN de la révolution, comme le montre la fameuse phrase de Maximilien de Robespierre dans sa lettre de décembre 1792 : « un peuple qui s’élance vers la liberté doit être inexorable envers les conspirateurs ; qu’en pareil cas, la faiblesse est cruelle, l’indulgence est barbare ». Le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils ne furent guère barbares. La violence fut terrible comme le prouve Chateaubriand, une période de dérives, d’un excès idéologique : « la Révolution m’aurait entraîné, si elle n’eût débuté par des crimes : je vis la première tête portée au bout d’une pique et je reculai ».  Cette phrase résume parfaitement l’ambigüité de la révolution. Elle montre à quel point un idéal servant l’intérêt commun peut malheureusement mener à un excès inverse.

Loin de la caricature de la contre-révolution construite par l’idéologie gauchiste voulant affilier la Révolution Française à Mai 68 en faisant de cet événement le tournant de notre histoire, cette étude du rejet libéral de la révolution montre que la Révolution s’est faite contre les libertés. Des libertés individuelles et collectives malmenées par un idéal, par une bonne volonté qui a dérivé dans un phénomène incontrôlable.

Ce phénomène se rapproche des dérives dans nos facultés. L’intention de contenter tout le monde, de permettre à chacun d’exprimer son choix aux dépens de l’intérêt commun amène à ce résonnement manichéen, les progressistes représentant le camp du bien, les pragmatiques celui du mal. Les tribunaux révolutionnaires remplacés par les réseaux sociaux, où la délation est devenue monnaie courante. Les syndicats de lutte appelant à dénoncer sur ces plateformes les « fascistes » pour lesquels, selon leur raisonnement, la justice ne doit pas s’appliquer. Si leurs revendications ne sont pas entendues – comme ces syndicats représentent la vertu – ils se doivent d’accéder eux-mêmes à leur requête, utilisant la violence « légitime ».

L’égalitarisme mènera toujours à la violence. Cependant, ces militants devraient s’interroger sur le sens même de la légitimité, qui n’est pas une conception uniforme, chacun ayant sa propre conception de la légitimité.


[1] Edmund Burke, Réflexions sur la Révolution française, préface de Philippe Raynaud, Hachette, Pluriel, 1989.

[3] J.-J. Chevallier, Histoire de la Pensée politique, t. 3, La grande transition : 1789-1848

[4] Edmund Burke, Réflexions sur la révolution, 1790.

[5] MOT, t. I, L. IX, chap. 3, p. 485-486

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