La politique africaine : angle mort de notre politique migratoire <!-- --> | Atlantico.fr
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Des migrants africains attendent un train, le 5 juillet 2023, alors qu'ils fuient vers Tunis au milieu des troubles à Sfax suite à l'assassinat d'un Tunisien lors d'une altercation avec des migrants.
Des migrants africains attendent un train, le 5 juillet 2023, alors qu'ils fuient vers Tunis au milieu des troubles à Sfax suite à l'assassinat d'un Tunisien lors d'une altercation avec des migrants.
©HOUSSEM ZOUARI / AFP

Diplomatie

Les Etats nord-africains qui faisaient office de garde-frontières de l’Europe sont saturés par l’immigration illégale subsaharienne.

Loup Viallet

Loup Viallet

Loup Viallet est spécialiste en économie internationale et en géopolitique africaine. Il est l’auteur de La fin du franc CFA (2020) et Après la paix (2021).

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Il ne semble pas que les résultats désastreux de Giorgia Meloni dans la lutte contre l’immigration clandestine aient provoqué un séisme parmi les états-majors des partis politiques qui ont fait de cette thématique le fer de lance de leurs campagnes électorales. A moins d’opérer un aggiornamento, ils seront condamnés à subir le même destin en cas d’accession au pouvoir : leurs solutions amplifieront la crise migratoire et leur capital politique sera pulvérisé en quelques mois.

Un an avant d’être élue présidente du Conseil des ministres d’Italie, Madame Meloni avait publiquement accusé la France de se comporter comme un Etat colonial en Afrique, exploitant les richesses africaines à travers le franc CFA. La classe politique française était restée muette face à cette charge mensongère qui remettait en cause un instrument de coopération permettant à un pays d’Afrique subsaharienne sur trois de jouir de la monnaie la plus stable du continent africain, d’attirer des investissements étrangers (notamment italiens) et d’appartenir à des marchés économiques régionaux. La méconnaissance de cet instrument de stabilité, qui favorise le développement de nombreux marchés africains, avait témoigné de l’importance quasi-nulle accordée à la politique africaine par notre classe politique. Comme si la gestion des flux migratoires devait faire l’objet d’un débat à part. Mais comment maîtriser l’immigration illégale en provenance du pourtour méditerranéen et du continent africain en tournant le dos aux problématiques africaines ?

La France n’est pas l’Australie. Le succès du blocus maritime imposé par Canberra autour de cette île-continent bordée par deux océans n’est pas transposable à la frontière sud de l’Europe. Dans le cas du Vieux Continent, cette solution s’avère utile mais grandement insuffisante ainsi qu’en témoigne la montée en puissance de Frontex et la succession des opérations de police maritime conduites en Méditerranée (Mare Nostrum, Triton, Sophia, Themis) depuis une décennie. L’Europe est accessible aux migrants africains par la terre (en passant par la Turquie) ou par la mer Méditerranée (pour rejoindre les côtes du Portugal, de l’Espagne, de la France, de l’Italie, de la Grèce). 

D’un point de vue géopolitique, l’Afrique est à la France et à l’Europe ce que l’Amérique latine est aux Etats-Unis : un espace dont la proximité avec notre continent implique le partage d’intérêts vitaux. Les faiblesses africaines ont en effet des répercussions directes sur les sociétés européennes. La déstabilisation des Etats du pourtour méditerranéen par les révolutions arabes s’est traduite en Europe par une succession de crises migratoires. L’enchaînement des coups d’Etat au Sahel a renforcé des foyers de menaces qui pèsent sur l’avenir des deux continents : expansion des groupes terroristes islamistes, pression migratoire accrue vers les pays du Golfe de Guinée, d’Afrique du Nord et d’Europe, implantation de l’impérialisme russe au Mali… Les Etats nord-africains qui faisaient office de garde-frontières de l’Europe sont saturés par l’immigration illégale subsaharienne. Leur assistance est insuffisante pour contenir les vagues migratoires. Pire : l’immigration est devenue une arme politique et diplomatique utilisée ponctuellement pour faire pression sur les capitales européennes.

Continuer à coopérer avec les gouvernements d’Afrique du Nord ne suffit pas à tarir les flux de migrants clandestins, mais se passer de leur concours semble encore plus contreproductif : aucune expulsion d’étranger en situation irrégulière ne peut se faire sans l’accord des pays d’origine. Par ailleurs, tourner le dos aux Etats situés sur notre frontière sud est la meilleure manière pour susciter une démultiplication des coups de pression migratoires et créer les conditions d’alliances hostiles à notre sécurité dans notre voisinage immédiat, à portée de missile. Les regains de tensions avec l’Algérie ont permis à Moscou d’approfondir sa coopération militaire avec le régime algérien. Depuis cinq ans, la marine militaire russe s’entraîne régulièrement dans les eaux algériennes, face aux côtes européennes.

L’idée d’un référendum sur l’immigration fait consensus parmi les principaux partis d’opposition qui prétendent lutter contre ce phénomène. Cette solution symbolique est doublement irréaliste : sa mise en œuvre dépend d’une révision de la Constitution impossible à obtenir. D’autre part, la majorité des mesures associées à cette hypothèse de référendum par LR, le RN, DLF et R ! sont tributaires du bon vouloir des gouvernements du continent africain. Sans leur accord, aucune expulsion n’est possible et aucune externalisation des demandes d’asile n’est envisageable.

La politique migratoire des Européens comme celle des Nord-Africains est durablement subordonnée aux évolutions de la géopolitique méditerranéenne et africaine. Notre politique de voisinage et de grand voisinage n’est toujours pas adaptée pour surmonter les défis sécuritaires, migratoires, informationnels, climatiques et économiques du nouveau désordre africain. Elle nécessite plus que jamais un renouvellement du débat sur l’immigration en France et en Europe et une transformation du dialogue avec les gouvernements du continent africain. Tant que la politique africaine restera dans l’angle mort des débats sur l’immigration clandestine, la majorité des propositions développées par les partis politiques de notre pays se révèleront inapplicables, voir contre-productives à l’occasion d’une hypothétique arrivée aux responsabilités.

Une tribune de Loup Viallet, spécialiste en géopolitique africaine et en économie internationale, auteur de « La fin du franc CFA » et d’ « Après la paix »

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