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La police scientifique fait souvent sortir des innocents de prison, mais il lui arrive aussi d'en faire rentrer... Quelles sont les limites après la révolution de l'ADN en criminologie ?
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ADN

On la présente souvent comme irréfutable. Et pourtant, la présentation d'une preuve scientifique est loin d'être aussi pertinence devant un tribunal ; face à la loi, celle-ci connaît rapidement des limites...

Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Aux Etats-Unis, le ministère de la Justice envisage actuellement de renforcer la réglementation des preuves ADN dans le droit pénal américain afin de réduire le nombre d'innocents envoyés en prison à cause d'une mauvaise interprétation d''une donnée scientifique. Cela arrive-t-il  également en France, ou avons-nous des garde-fou tels que la présomption d'innocence? 

Gérald Pandelon : En effet, si l’analyse ADN peut accabler une personne poursuivie pénalement en dissociant le processus d’aveu de la question de sa validité puisque les marges d’erreurs sont infinitésimales, elle peut également disculper, donc s’avérer protectrice des droits de la défense, lesquels droits n’avaient précisément pas été respectés lors d’aveux extorqués. C’est ainsi que pour éviter d’avoir à provoquer lesdits aveux la tactique des enquêteurs pourra consister à obtenir des déclarations du suspect de façon informelle ou hors cadre en essayant d’instaurer une relation de confiance avec l’intéressé. Enfin, dans un autre registre, celui du plaider coupable, la vérité judiciaire découlera des simples déclarations du prévenu, ôtant ainsi le plus fréquemment toute marge d’erreur dans le prononcé de la sanction.

C’est ainsi que les preuves scientifiques semblent constituer une preuve absolue en matière de vérité judiciaire. Atelle enseigne que la question de l’aveu et de sa validité ne se pose donc pas avec la même acuité. En outre, la force probante de l’aveu dépend étroitement de la nature du service qui le recueille. L’aveu pourra ainsi revêtir le caractère d’une vérité absolue lorsqu’il sera sollicité par la Brigade de Répression du Banditisme (B.R.B.) ou la brigade criminelle, services d’une part plus expérimentés en raison de leur connaissance du « milieu » ; d’autre part, parce que systématiquement elles ont recours aux tests génétiques (IAG : identification par analyse génétique), en interrogeant systématiquement le FNAEG (Fichier National des Empreintes Génétiques). Pourtant, la preuve scientifique vient annuler quasiment tout risque d’erreur, donc vient anéantir du même coup le doute qui aurait pu profiter à l’accusé. En définitive, les techniques modernes constituent la principale limite que peuvent apporter les enquêteurs aux garanties prévues au sein du CPP. 

Car en présence de test ADN positif auquel se rajoutent parfois les aveux du mis en cause, l’idée que ce dernier pourrait encore se prévaloir du principe de présomption d’innocence est vide de sens. Il est donc nécessaire d’opérer une distinction au sein des services rattachés à la police judiciaire, entre ceux qui sont en prise directe avec le crime et ceux qui ne le sont pas. Aussi, une force probante relative est à déplorer concernant d’autres services rattachés à la police judiciaire, notamment la brigade financière, entité dans laquelle le doute sur la culpabilité d’un suspect reste permis parce que les dossiers sont plus complexes s’agissant d’infractions relevant de la délinquance financière.

Quelle est la pertinence d'une preuve ADN en droit? Comment en évaluer la qualité de vérité?

En dépit du développement des preuves scientifiques, la persistance d’erreurs judiciaires rend difficilement lisible ou déchiffrable le procès pénal à partir de matériaux tirés uniquement d’éléments rationnels. À ce titre, force est d’admettre que les nouveaux procédés utilisés en matière de police scientifique constituent, par leur haut degré de fiabilité, une preuve quasi absolue venant réduire à la portion congrue les risques de défaillance de l’appareil judiciaire. Non seulement, en effet, les analyses ADN permettent de réduire la marge d’erreur judiciaire en matière pénale mais elles peuvent également, dans l’hypothèse d’aveux extorqués en garde à vue, innocenter un accusé quand le résultat de l’analyse vient, contre toute attente, le mettre hors de cause, comme en témoigne l’affaire Dickinson.

En l’espèce, M. Pascal Pade, personne initialement soupçonnée, pourra bénéficier de ces avancées scientifiques, en dépit de ses aveux, et sera innocenté. Car le seul indice probant provenait du sperme du meurtrier retrouvé sur le cadavre de la victime ; un portrait-robot fut rapidement établi, puis, un suspect interpellé, un sans domicile fixe âgé de quarante ans, dont le casier judiciaire portait trace de plusieurs condamnations.

Comment gérer le décalage entre l'objectif de résultats concrets et déterminants d'une IAG en droit, mais une pertinence scientifique parfois très variable?

il convient, en matière pénale et devant toutes juridictions répressives, de resituer l’IAG dans le contexte de plus en plus délicat d’obtention de l’aveu par les OPJ confrontés au droit au silence. En principe, le procédé consistant à extorquer l’aveu d’une personne en annihilant sa volonté ou sa conscience contrevient à ses droits fondamentaux. En effet, si la narcose provoquée par l'injection de penthotal en piqûre ou sérum de vérité, peut être utilisée dans le cadre de l'expertise scientifique, elle ne peut toutefois servir à provoquer l'aveu de l’accusé lors de son interrogatoire. En effet, les procédés de narco-analyse, par emploi du penthotal, ou de recours à l’hypnose dont l’objet est de briser les résistances de l'individu à l'aide de la science, afin de l'obliger à avouer, sont prohibés. Il est également déloyal même si la personne soupçonnée consent librement à s’y soumettre car, en pareilles circonstances, l’individu est fragilisé et devient assujetti à une procédure qui viole ses libertés et droits fondamentaux au nom de la recherche d’aveux. Dès lors, si l’accusé est relégué à un statut de sujet de la procédure il n’est pas certain, en outre, que lesdits procédés scientifiques, notamment par narcose, garantissent de façon absolue l’obtention de la vérité matérielle, celle qui résulte des pièces versées au dossier pénal. L'aveu ainsi extorqué pourra être le résultat d'un fantasme ou mêler des faits véridiques à des faits imaginaires. Ce produit est, dans ces conditions, un « sérum de déballage » plutôt qu'un sérum de vérité.

D’ailleurs, et plus généralement, les experts ne donnent que des avis. Le juge d'instruction, puis la juridiction de jugement sont donc libres de suivre ou de ne pas suivre l'avis de l’Homme de l'Art. L'article 427 CPP énonce le principe selon lequel le juge doit décider d'après son intime conviction. Il est le juge des preuves. En pratique, l'expertise peut constituer une preuve. A ce titre, l’expertise est obligatoire en matière criminelle lorsqu’il s’agit de savoir si, au visa de l’article 122-1 du Code pénal, la personne était atteinte ou non, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli ou altéré son discernement. Or, à l’instar de l’aveu, l’expertise psychiatrique n’est pas davantage la garante d’une vérité matérielle car elle se déploie, le plus fréquemment, en marge du dossier pénal. C’est ce qui explique sans doute la persistance d’erreurs judiciaires fondées sur des rapports d’expertise dans des dossiers où, de bonne foi, des magistrats influencés par le volet technique du rapport présenté ont tendance à en oublier la réalité.

Dans l’affaire d'Outreau par exemple, des erreurs d’analyse ont été commises par les experts-psychiatres même si le Président de la cour d’assises fut également trompé par des témoignages mensongers et de faux aveux. Car ce sont également les conditions de désignation de l’expert et la définition de sa mission qui, ab initio, tendent à fausser l’objectivité de ce praticien. En effet, la dimension humaine n’est pas absente dans la relation entre le juge et l’expert. Car dans la plupart des cas, le magistrat évoquera puis expliquera l’affaire à l’Homme de l’Art médical, lui montrera les pièces essentielles du dossier pénal, l’information qu’il prodiguera ainsi à l’expert sera déjà, d’une certaine manière, « in-formée » ou déjà pré-filtrée. En réalité, le juge adressera à l’expert ou lui remettra une copie des pièces susceptibles de l'éclairer et de faciliter sa mission. Le magistrat orientera ainsi la thèse de l’expert dans le sens de la culpabilité de la personne mise en examen.

La mission dévolue à l’expert par l’institution n’est par conséquent rarement neutre ; en effet, lorsque le psychiatre ou le psychologue rendront visite au détenu, ils disposeront déjà non seulement de l’opinion du juge qui a procédé à leur désignation, opinion que certains experts ne contrediront qu’avec diplomatie c’est dire davantage sur la forme que sur le fond, mais également des faits reprochés au prévenu ou à l’accusé, par conséquent son système de défense. En outre, dans l’hypothèse de contre-expertises, l’expert nouvellement désigné aura eu connaissance de l’avis du ou des experts précédemment nommés avec la même mission. Au surplus, s’il résulte des pièces du dossier pénal que la personne poursuivie est passée aux aveux, le rapport d’expertise se verra ainsi conforter par la reconnaissance antérieure des faits de l’intéressé, ce qui conduira l’expert psychiatre non pas à se poser la question, au regard des pièces, de la vraisemblance des faits rapportés à l’aveu consenti, mais à se concentrer sur la simple question de savoir si la personne détenue est ou non accessible à une sanction pénale.

Quelles sont les autres problématiques que l'IAG pose face à une cour pénale?

ce n’est pas la question essentielle du procès pénal qui est d’emblée posée, celle de la manifestation de la vérité, mais davantage celle de savoir, en définitive, si la personne poursuivie peut constituer un sujet de droit, c’est dire si l’infraction qui lui est reprochée peut lui être imputable, ce qui est fort différent.

A ce titre, les experts psychiatres n’ont pas l’obligation d’enregistrer l’entretien avec le détenu ni d’en conserver une preuve à la disposition du magistrat instructeur ou des parties. Pourtant, aux termes de l’article 6 CEDH « Toute personne a le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi (...)». Dès lors, si la vérité peut s’avérer aujourd’hui quasi absolue en raison de l’avancée des méthodes scientifiques utilisées pour la révéler, il n’en demeure pas moins que la perception qu’en ont les délinquants est souvent relative car ces derniers ont parfois conscience que les moyens humains permettant à l’institution judiciaire une parfaite manifestation de la vérité judiciaire sont imparfaits.

Aussi, le juge pourra avoir l’intime conviction que les faits incriminés ont effectivement été commis mais les moyens de preuve au soutien de ladite conviction pourront faire défaut, ce qui induira parfois le doute dans l’esprit du magistrat alors que son impression première était celle d’un fort soupçon. En fait, c’est lorsque ce soupçon initial s’avère particulièrement lourd et qu’au surplus se rajoutent des charges venant étayer la poursuite initiale que le soupçon originaire se transformera en certitude absolue de la culpabilité de l’intéressé. C’est dire suffisamment à quel point le principe d’intime conviction mêle rationalité et irrationalité judiciaires mais qu’il ne saurait se limiter au seul sentiment de départ éprouvé par le magistrat.

Néanmoins, en dépit de ce cheminement intellectuel permettant au juge pénal de passer du doute à la certitude, raisonnement le plus souvent conforté non seulement par le ministère public mais également par la personne mise en cause qui, au travers d’aveux obtenus dans un contexte anxiogène reconnaîtra sa culpabilité, l’erreur judiciaire demeure persistante, ce qui témoigne du caractère également relatif de l’absolu judiciaire dans la quête de vérité. C’est la raison pour laquelle l’histoire de la justice criminelle est inséparable de celle des avancées techno-scientifiques car pour rapporter la preuve d’un fait, l’institution judiciaire va avoir recours à la médecine notamment aux empreintes génétiques. Preuve supplémentaire, si besoin était, que ces procédés se multiplient pour pallier les risques toujours présents d’erreurs judiciaires. Ce qui signifie également que la preuve scientifique est considérée comme supérieure à l’aveu. En effet, l’enquêteur bénéficie de moyens d’investigation sophistiqués, qu’ils s’agissent des méthodes d’enregistrement de conversations téléphoniques, de procédés de sonorisation de pièces, lesquels constituent autant de moyens de preuves venant concurrencer l’aveu, sinon à s’y substituer. 

C’est donc in fine la question de l’utilité de l’aveu qui est posée à l’heure du développement des preuves scientifiques, ce qui soulèvera une difficulté dans le cadre, par exemple, du plaider coupable criminel. En effet, il ne s’agit pas de considérer ce mode de preuve devant la cour d’assises comme totalement dénué d’intérêt, surtout lorsque l’accusé pourra tirer avantage de son aveu lors de la fixation de la peine, mais de constater que cette révélation spontanée des faits se déploiera peut-être en marge de la vérité judiciaire puisque, d’une part, cette vérité reposera principalement sur des preuves matérielles donc scientifiques ; d’autre part, que l’aveu pénal s’avèrera inutile puisque l’objet essentiel du procès ne sera plus la recherche de la manifestation de la vérité, mais davantage une autojustification de son crime par l’accusé.

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