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Jean-Luc Melenchon prononce un discours lors d'une réunion politique de la coalition Nupes à Paris, le 1er juin 2022.
Jean-Luc Melenchon prononce un discours lors d'une réunion politique de la coalition Nupes à Paris, le 1er juin 2022.
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Electorat

La NUPES devrait être la principale force d’opposition à l’Assemblée nationale à l'issue des élections législatives. Quel est le portrait sociologique de l'électorat de la NUPES ?

Luc Rouban

Luc Rouban

Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au Cevipof depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987.

Il est l'auteur de La fonction publique en débat (Documentation française, 2014), Quel avenir pour la fonction publique ? (Documentation française, 2017), La démocratie représentative est-elle en crise ? (Documentation française, 2018) et Le paradoxe du macronisme (Les Presses de Sciences po, 2018) et La matière noire de la démocratie (Les Presses de Sciences Po, 2019), "Quel avenir pour les maires ?" à la Documentation française (2020). Il a publié en 2022 Les raisons de la défiance aux Presses de Sciences Po. Il a également publié en 2022 La vraie victoire du RN aux Presses de Sciences Po. En 2024, il a publié Les racines sociales de la violence politique aux éditions de l'Aube.

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Atlantico : Arrivée au coude-à-coude avec Ensemble, la NUPES devrait être la principale force d’opposition à la majorité à l’Assemblée nationale. Elle sera présente dans environ 400 seconds tours dans des territoires très variés. Quel est, d’après les résultats de ce vote, le portrait sociologique de l'électorat de la NUPES ? Est-ce vraiment le parti du peuple comme on peut l’entendre ?

Luc Rouban : L’électorat de la NUPES est composite car il provient autant de La France insoumise, du PCF, que du PS ou d’EELV. La NUPES, en termes sociologiques, représente moins le peuple que les petites classes moyennes plutôt diplômées mais déclassées sur le plan professionnel. La connaissance que l’on a des divers électorats à partir des enquêtes du Cevipof permet de dire que le peuple vraiment « populaire » reste toujours l’électorat du Rassemblement national et les abstentionnistes. Il faut savoir que la proportion d’électeurs ayant au moins le Bac + 5 dans l’électorat de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle était de 16% et de 19% dans celui de Yannick Jadot, le candidat d’EELV, contre 18% dans celui d’Emmanuel Macron mais 6% dans celui de Marine Le Pen.

La distribution des catégories socioprofessionnelles montre également que la NUPES est loin d’être le parti des seuls prolétaires car la proportion d’électeurs de catégorie supérieure est plus importante dans l’électorat d’Anne Hidalgo (33%) que dans celui d’Emmanuel Macron (31%), que la proportion la plus grande d’électeurs de catégorie moyenne se retrouve dans l’électorat de Fabien Roussel (43%) et que l’électorat de Jean-Luc Mélenchon est loin d’être le plus ancré dans les catégories populaires (44%) puisque ces dernières sont les plus fréquentes dans les électorats de Marine Le Pen (60%) et de Jean Lassalle (49%). Par ailleurs, avec un taux d’abstention de 52% aux élections législatives, abstention qui touche en priorité les plus jeunes et les plus modestes, on peut légitimement penser que l’électorat de la NUPES qui s’est exprimé le 12 juin dernier est encore plus composé de représentants des classes moyennes.

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Mais les révolutions, comme celle de 1789, sont construites et organisées par les catégories moyennes diplômées qui ne supportent plus leur relégation sociale et le sentiment d’injustice qu’elles ressentent. C’est bien cet argumentaire qui se retrouvait au cœur des revendications des Gilets jaunes. Du reste, la proportion de déclassés, c’est-à-dire d’électeurs n’ayant pas le niveau professionnel de leur diplôme, est particulièrement haut au sein de l’ensemble des composantes de la NUPES, concentration qui s’explique également par le jeu des générations, puisque ses électeurs sont jeunes et souffrent davantage que les générations précédentes de la dévalorisation des diplômes, du Bac automatique et des filières sans avenir. C’est ainsi que 56% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon sont des déclassés comme 57% de ceux de Yannick Jadot. Cette proportion est bien plus basse dans l’électorat d’Anne Hidalgo (44%) et surtout de Fabien Roussel (39%). Et elle est un peu plus basse dans l’électorat de Marine Le Pen ou chez les abstentionnistes (52% dans les deux cas).

A quel point plusieurs électorats différents et divergences cohabitent-ils au sein de la NUPES ? Qui constitue le gros des forces électorales de la NUPES, en termes quantitatif et qualitatif ?

Le gros des troupes est évidemment constitué par l’électorat LFI étant donné les rapports de force nés de l’élection présidentielle. Mais les électorats de la NUPES sont loin de tous s’aligner sur les positions de Jean-Luc Mélenchon, qu’il s’agisse de l’Europe (comme en témoigne l’ineffable droit à la désobéissance inscrit dans le programme - supposant que nos partenaires vont évidemment l’accepter), de l’Ukraine (« on risque une guerre totale ! » disait Jean-Luc Mélenchon pour justifier sa proposition de ne pas aider les Ukrainiens face à l’armée russe), de la laïcité conçue comme une forme d’acceptation du fait communautaire, ou de l’énergie nucléaire dont l’abandon serait catastrophique pour le PCF et la CGT qui puise ses forces dans le secteur public de l’énergie. Sur bien des points, mesurés par nos enquêtes, les divergences sont donc fortes. Cela se voit notamment lorsqu’on étudie les préoccupations principales des électeurs. C’est ainsi que les retraites sont citées par 30% des électeurs de Fabien Roussel mais par 25% de ceux de Jean-Luc Mélenchon, 19% par ceux d’Anne Hidalgo et 13% par ceux de Yannick Jadot. Les situations professionnelles comme les générations de ces divers groupes d’électeurs ne sont pas les mêmes. On peut également voir que si le thème des inégalités sociales est considéré comme une préoccupation prioritaire par 41% de l’électorat LFI, cette proportion tombe à 34% chez les électeurs du PS puis à 29% dans l’électorat du PCF et à 23% dans celui d’EELV. Quant au thème du pouvoir d’achat, il est considéré comme central par 65% des électeurs du PCF mais par 59% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon comme d’Anne Hidalgo et par 47% de ceux de Yannick Jadot alors que cette proportion est de 68% dans l’électorat de Marine Le Pen, de 63% dans celui de Jean Lassalle mais aussi, il faut le souligner, par 54% de l’électorat d’Emmanuel Macron.

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A ces législatives, cinq candidats sont élus dès le premier tour, dont quatre sont issus de la Nupes : Sarah Legrain (16e circonscription de Paris), Danièle Obono (17e circonscription de Paris), Sophia Chikirou (6e circonscription de Paris), Alexis Corbière (7e circonscription Seine-Saint-Denis). Dans quelle mesure est-ce symptomatique de ce qu’est l’électorat Nupes ? Qu’est-ce que cela nous apprend ?

La 16ème circonscription comme la 17ème circonscription de Paris sont à cheval sur les 18ème et 19ème arrondissements qui sont des arrondissements populaires où Jean-Luc Mélenchon était arrivé largement en tête devant Emmanuel Macron au soir du premier tour de l’élection présidentielle. Ces victoires parisiennes nous disent par ailleurs deux choses.

La première c’est qu’il existe encore des catégories populaires au sein des grandes métropoles et qu’il est faux d’expliquer les résultats électoraux par une fracture qui différencierait les centres urbains diplômés des banlieues et des périphéries appauvries. L’explication sociologique reste toujours plus forte que l’explication géographique.

L’autre enseignement sociologique de ces résultats est qu’il vaut mieux faire partie de l’oligarchie de LFI et souvent présent dans les médias pour être élu rapidement. Il faut rappeler les travaux du sociologue italien Roberto Michels qui a pu montrer que même dans les structures les plus démocratiques (il étudiait en l’occurrence le SPD allemand) apparaissent des oligarchies du fait de la division interne du travail. C’est ce qu’il appelle la « loi d’airain des oligarchies » qui sont pour lui inévitables dans toute organisation humaine quelles que soient les prétentions à jouer la carte de l’égalité.

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Dans quelle mesure le vote en faveur de la NUPES est-il en partie le résultat de croyances politiques de luxe (luxury beliefs) pour reprendre les mots d’Henderson ?

Henderson parle des croyances politiques de luxe qu’adoptent les classes supérieures pour se distinguer des autres et entre elles à un coût inférieur à celui que ces croyances peuvent produire sur les catégories populaires. C’est notamment le cas du libéralisme culturel conduisant à autoriser ou à légaliser l’usage de stupéfiants qui se révèle à long terme bien plus dangereux au moins socialement pour les pauvres que pour les riches. Il est indéniable que les électeurs de la NUPES ont un niveau de libéralisme culturel très élevé tant en ce qui concerne l’immigration, la répression pénale, le rôle de l’école, la promotion des minorités visibles. Mais ils n’appartiennent pas aux catégories supérieures en grandes proportions. En revanche, comme j’ai pu le montrer dans divers travaux, la lutte des classes à l’ancienne (l’ouvrier communiste contre le bourgeois de droite), a fait place à une lutte de classement où le fait de se considérer en haut de la hiérarchie sociale a plus d’impact électoral (en l’occurrence le vote en faveur d’Emmanuel Macron) que de l’être vraiment. Le classement social subjectif (ma place dans la hiérarchie sociale telle que je me la représente) devient plus important que le classement social objectif (mon niveau de revenu ou de patrimoine). Comme je l’ai dit plus haut, c’est bien le sentiment de déclassement qui nourrit le vote en faveur de la NUPES, du moins si on est de gauche. La NUPES est, en grande partie, la revanche de tous ceux qui ont cru à la méritocratie républicaine et qui en ont été déçu. On retrouve ici le tropisme intellectuel d’une grande partie de la gauche française qui, pour s’opposer à la bourgeoisie d’affaires de la droite, a constitué une contre-bourgeoisie puisant dans les rangs des enseignants comme dans ceux du monde littéraire ou de la culture. En ce sens, la NUPES vient illustrer cette évolution post-moderne où la défense de la qualité de la vie (la retraite à 60 ans) et de l’environnement deviennent des valeurs centrales sans que l’on prenne vraiment en considération leur crédibilité ou leur faisabilité économique pour le plus grand nombre et les conséquences que ces revendications pourront avoir à terme pour les plus modestes : fuite des capitaux et des « riches », faibles investissements, pénuries en tous genres, écrasement de la hiérarchie sociale d’où la notion de mérite est évacuée.

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