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La nécessaire restructuration de l’Etat français
©LUDOVIC MARIN / AFP

Carences

La crise sanitaire a pu montrer les limites et souligner les failles de l'Etat français. Comment doit-il être restructuré pour être plus efficace ?

Christian Saint-Etienne

Christian Saint-Etienne

Christian Saint-Etienne est professeur titulaire de la Chaire d'économie industrielle au Conservatoire National des Arts et Métiers.

Il a également été membre du Conseil d'Analyse économique de 2004 à juin 2012.

Il est également l'auteur de La fin de l'euro (François Bourin Editeur, mars 2011).

 

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Atlantico.fr : En quoi l’Etat français est le plus lourd d’Europe ?

Christian Saint-Etienne : Prenons l’année 2019 comme référence, avant la crise du Covid-19. En pourcentage du PIB national, la dépense publique atteignait 55,6% du PIB en France contre 45,3% en Allemagne, 45,8% dans la zone euro hors France et 46% dans l’Union européenne à 27 (UE 27) hors France. Le taux de dépense publique (en % du PIB) était donc supérieur de plus de 10 points de pourcentage par rapport au taux de dépense de l’Allemagne et de presque dix points par rapport aux taux de dépense moyen de la zone euro hors France et de l’Union européenne hors France. 

Non seulement le taux de dépense publique français est supérieur de 10 points de pourcentage au taux de dépense de ses compétiteurs européens, mais il est le plus élevé des pays développés et de loin, le deuxième se situant à 50,5% au Danemark et le troisième à 49,8% en Suède. Les taux de dépense publique étaient en 2019 de 41% du PIB au Royaume-Uni, 39% au Japon et 38% aux Etats-Unis. 

A périmètre comparable, l’action publique coûte dix points de PIB de plus en France que dans les pays démocratiques ayant une protection sociale comparable et des taux de chômage moindres. 

Or ce taux de dépense est sans rapport avec les services rendus ! La France a un taux de chômage double de celui de l’Europe du Nord, et notamment de l’Allemagne, une dette publique plus élevée en pourcentage du PIB, et un taux d’activité de la population très inférieur à celui de l’Europe du Nord. L’insécurité est élevée et 12% d’une classe d’âge sort sans formation et sans diplôme de l’école. Pour ce qui est du seul secteur de la santé, la France dépense plus en pourcentage du PIB que l’Allemagne mais n’a commencé le confinement de la population au moment de la crise du Covid-19 qu’avec 5 000 lits en réanimation contre 28 000 en Allemagne. De plus, 35% des personnels hospitaliers sont des administratifs en France contre 24% en Allemagne. Avec le taux allemand, et à effectif constant, nous aurions 100 000 soignants de plus en France !

A fin mars 2020, la France était le 4e pays dans le monde en nombre de morts et le 52e en nombre de tests du Covid-19 !

L’Etat français est donc lourd et surtout inefficace en termes de services rendus à la population par rapport au poids colossal des prélèvements en France en comparaison des autres pays. 

Comment doit-il être restructuré pour être plus efficace ? 

Il faut repartir de la base. Il se trouve que nos 35 000 communes sont toutes rattachées à une intercommunalité. En 2019, nous avions 1 258 intercos, dont 21 métropoles, 13 communautés urbaines, 223 communautés d’agglomération et 1 001 communautés de communes. Renommons les intercos en-dehors des métropoles : communes métropolitaines. Nous aurions 21 métropoles et 1 237 communes métropolitaines. Les 35 000 communes appartiendraient à ces 1 260 (pour arrondir) communautés d’action. Les élections auraient lieu directement au niveau de ces communautés d’action dont les communes seraient des subdivisions. Comme à Paris avec les arrondissements. 

Or il se trouve également que ces communautés d’action ont un périmètre géographique qui correspond presque parfaitement aux 1 260 bassins de vie de la population, chaque bassin étant le territoire sur lequel plus de 80% des résidents y vivent, travaillent, se soignent, s’éduquent ou se cultivent et se divertissent. 

Il faut donc faire des métropoles et communes métropolitaines l’unité de base de l’action politique et territoriale. Chaque métropole et commune métropolitaine doit produire tous les trois ans un plan glissant de six ans qui planifie le logement, les transports et le développement économique, éducatif, sanitaire et culturel.  

Ces plans stratégiques sont coordonnés par les départements dont le nombre est divisé par deux. Et les régions doivent être le lieu de l’action stratégique de long terme dans le développement économique et industriel, les infrastructures lourdes, l’enseignement supérieur et la recherche scientifique et appliquée. Les conseillers départementaux et régionaux, dont le nombre est divisé par deux, sont les mêmes personnes afin d’assurer une unité de commandement pour les régions et départements. 

L’Etat doit décentraliser toutes les actions publiques en matière de santé, d’éducation, de transports et de développement économique aux métropoles et communes métropolitaines dont les plans stratégiques sont coordonnés par les départements pour les communes métropolitaines et par les régions pour les métropoles. 

L’Etat doit devenir un Etat stratège et coordinateur, qui fixe les normes de dépense et s’assure de la cohérence globale des plans de développement et d’investissement des régions et départements pour éviter les doublons inutiles et concentrer les forces là où c’est nécessaire. L’Etat garde sa fonction d’Etat régalien qui doit être renforcée et coordonne les investissements territoriaux par une Agence nationale d’investissement au Conseil d’administration de laquelle il n’a que 40% des 20 administrateurs, les 12 autres étant élus par les régions, départements et métropoles (4 pour chaque groupe). L’Agence nationale d’investissement fixe les priorités de l’investissement civil national dans le cadre d’un plan stratégique à 15 ans mis à jour tous les cinq ans. 

Ainsi, il n’y a plus de face-à-face entre un président de la République impuissant et des territoires oubliés. 

Quelles ont été les limites de l’Etat français dans la crise sanitaire du Covid-19 ? 

L’Etat n’a rien vu venir, non seulement en 2018-2019 lorsqu’il n’a pas reconstitué les réserves sanitaires de masques et tests détruites sous le quinquennat précédent, mais même au cœur de la crise. On sait, grâce à l’expérience de Taiwan, de la Corée du Sud ou de l’Allemagne, qu’il faut tester, masquer et isoler les malades et porteurs sains du Covid-19 pour juguler l’épidémie tout en maintenant les frontières fermées. 

L’Etat a maintenu les frontières ouvertes jusqu’au confinement, n’a pas stocké les masques en quantités suffisantes et a même menti sur leur utilité au mois de mars 2020. Il teste toujours trop peu au 25 avril (il faut multiplier le rythme journalier par trois ou quatre). La politique d’isolement des malades ne vivant pas seul dans des chambres d’hôtel n’a pas encore vraiment commencé. 

Défaut d’anticipation, lourdeur de réaction, confusion dans les objectifs, l’Etat français, en mars-avril 2020 a cumulé toutes les tares de l’action publique. La situation n’est restée sous contrôle que grâce à l’héroïsme des soignants. 

Il faut restructurer en urgence cet Etat obèse et impuissant. 

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