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La liberté est-elle climaticide ? La question folle que ne sont pas loin de se poser les nouveaux intégristes de l’environnement
©LUCAS BARIOULET / AFP

Radicalité

Alors que la question climatique marque la campagne européenne de son empreinte, cette thématique politique semble avoir revêtu un niveau de radicalité qui tranche avec le passé.

Laurent Alexandre

Laurent Alexandre

Chirurgien de formation, également diplômé de Science Po, d'Hec et de l'Ena, Laurent Alexandre a fondé dans les années 1990 le site d’information Doctissimo. Il le revend en 2008 et développe DNA Vision, entreprise spécialisée dans le séquençage ADN. Auteur de La mort de la mort paru en 2011, Laurent Alexandre est un expert des bouleversements que va connaître l'humanité grâce aux progrès de la biotechnologie. 

Vous pouvez suivre Laurent Alexandre sur son compe Twitter : @dr_l_alexandre

 
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Yves Michaud

Yves Michaud

Yves Michaud est philosophe. Reconnu pour ses travaux sur la philosophie politique (il est spécialiste de Hume et de Locke) et sur l’art (il a signé de nombreux ouvrages d’esthétique et a dirigé l’École des beaux-arts), il donne des conférences dans le monde entier… quand il n’est pas à Ibiza. Depuis trente ans, il passe en effet plusieurs mois par an sur cette île où il a écrit la totalité de ses livres. Il est l'auteur de La violence, PUF, coll. Que sais-je. La 8ème édition mise à jour vient tout juste de sortir.

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Atlantico : Alors que la question climatique marque la campagne européenne de son empreinte, cette thématique politique semble avoir revêtu un niveau de radicalité qui tranche avec le passé, notamment avec le thème de l'urgence. En quoi le traitement politique actuel de cette question climatique peut s'accommoder de cette liberté ? N'est-on pas arrivé à un point où les libertés sont considérées comme climaticides ?

Laurent Alexandre : La première chose, c'est que les anciens staliniens se sont reconvertis en vert, parce que la Corée du Nord et le Vénézuela, ce n'est plus très sexy... Comme utopie post-marxiste, il n'y a que le sujet environnemental et la décroissance. Il y a peu de Français qui sont attirés par la Corée du Nord : les staliniens ont donc du se reconvertir.

Or, avoir des staliniens en France, c'est une vieille tradition. Sartre expliquait qu'en 1793, Robespierre n'avait pas tué assez de gens et toute l'intelligentsia française applaudissait des deux mains Pol Pot au milieu des années 1960. Toute la presse bien pensante a dit que c'était un modèle. On pourrait multiplier les exemples. Alain Badiou a encore soutenu cette année que les crimes de Mao sont justifiés par la Révolution. C'est une vieille tradition française liberticide, extrémiste et violente qui consiste à chercher à couper des têtes.

La reconversion de l'extrême-gauche stalinienne et maoïste sur le climat est par conséquent forcément violente et liberticide. Cet univers ne va pas chercher des solutions technologiques ou un agenda raisonnable, il va chercher à faire sur le climat ce qu'il faisait quand il soutenait Pol Pot. Voilà les principales caractéristiques de cette attitude : refus de l'exploration des solutions technologiques, refus des solutions qui pourraient maintenir une croissance raisonnable, développement de thèses décroissantistes, folles et ethno-masochistes (l'ancien ministre Cochet qui explique que nous devons nous, Européens, arrêter de nous développer et laisser la place aux Africains).

La question écologique est importante. Mais l'Europe est peu coupable parce que ses émissions de CO2 baissent et que sa biodiversité est plutôt en acroissement. Les fleuves de plastique, ce n'est pas en Europe. La qualité de l'air s'est améliorée en Europe. On utilise beaucoup moins de pesticides que jadis. Les paysans européens ont d'ailleurs moins de cancer qu'ailleurs. On dramatise une situation qui sur notre continent n'est pas catastrophique. On culpabilise l'Europe en dédouanant les vrais responsables de la crise écologique actuelle qui sont l'Inde, la Chine et l'Afrique. On est dans une situation où le méchant occidental est responsable de tous les déchets et doit disparaître pour laisser de la place aux Africains, comme le dit Yves Cochet. C'est un message délirant qui au lieu de prendre la question écologique de manière rationnelle, nous mène droit vers une impasse.

La question écologique est en effet extrêmement complexe. On a vu qu'avec des bons sentiments, on peut faire d'énormes erreurs. C'est la couverture du Spiegel cette semaine : l'investissement de 500 milliards d'euros en Allemagne dans les énergies renouvelables pour finalement émettre toujours plus de CO2 qu'en France, parce qu'évidemment Merkel n'a pas trouvé le moyen de supprimer la nuit, et les jours sans vent, et que quand il n'y a plus de centrale nucléaire, il faut bien rallumer les centrales à charbon. On est dans une absence de rationalité très forte, un discours de dramatisation et de panique pour les jeunes qui est incroyable et qui ne prend qu'en Europe. C'est le retour des éternels ayatollah : Savonarole à Florence, le grand Moineau dans Game of Thrones, tous ces discours habituels. Ce discours est d'ailleurs proche du pétainisme : il y a des mots extrêmement proches entre les écologistes et Pétain sur la terre, le retour à la terre, le fait qu'il ne faut pas développer l'industrie, qu'il ne faut pas trop consommer. L'idéologie de la décroissance, elle s'est déjà exprimée pendant la guerre.

Yves Michaud : L’urgence est aujourd’hui la modalité de toutes choses. Tout est urgent et demande une solution urgente – en France la dite solution d’urgence consiste à faire illico une « loi », et ensuite on ne s’en occupe plus. Idem pour la justice : tout crime affreux demande une réponse urgente et ensuite il faut dix ans pour qu’une affaire passe en jugement (Lombard et Orange….). Donc l’angoisse écologique n’échappe pas à la règle. Souvenez-vous de Chirac en septembre 2002 : « notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». C’était déjà urgent.

Maintenant, votre autre question est justifiée : il est certain que les comportements individuels dits « libres » sont climaticides. Tout le monde veut sauver la planète mais sans renoncer aux avions, ni à faire des enfants, ni à soigner ses chats ou chiens, ni à se chauffer ni à se déplacer en voiture, fût-elle électrique. Les batteries des vélos électriques et trottinettes, elles tombent du ciel ? Elles sont faites de quoi, comment, pour être recyclées de quelle manière ? Il existait dans le temps des vélos à pédales avec un changement de vitesse. Il suffisait de pédaler – mais c’est fatigant.

Une affiche produite par les jeunes écologistes et relayé sur Twitter scande les phases de l'histoire : XIXème siècle : communisme ; Xxème siècle, socialisme ; XXIème siècle, écologie. Quel est le risque de voir l'écologie se transforme en idéologie politique et comment en anticiper les conséquences ?

Laurent Alexandre : Oui, c'est la transformation de l'écologie en une idéologie politique de nature religieuse et apocalyptique. Nous avons péché contre Mère Nature et nous devons nous excuser et nous effacer. On retrouve la notion de repentance. On retrouve Pétain qui expliquait sans arrêt qu'on avait péché contre la nature et contre Dieu.

Il y a deux inconvénients à cette attitude : déjà, comme je l'ai dit, elle empêche d'affronter la question écologique raisonnablement. Et puis elle handicape terriblement l'Europe, parce qu'en culpabilisant le continent le moins coupable, elle entraîne une folie politique.

Le scénario actuel du GIEC, autour de 2°C, est significatif. Il y aura des perdants mais il y aura aussi des gagnants dans les zones froides. La montée des eaux, on l'estime à 15 cm sur le siècle, ce qui n'est pas énorme. On n'est pas dans une catastrophe à court terme : on a le temps d'infléchir, même si cela va être long, parce qu'on n'a pas de technologie de stockage de l'électricité, parce qu'on refuse le nucléaire qui est la source d'énergie électrique qui émet le moins de CO2 et parce que les écologistes ne vont pas stabiliser la démographie de l'Afrique noire dont la population va passer à 4,5 milliards d'habitants sur le siècle, ni des Indiens, qui vont bientôt être 2 milliards. A côté de cela, l'Europe décroît démographiquement. Les Etats-Unis sont un petit ensemble en termes démographiques. On n'a donc pas la capacité à traiter la question démographique par exemple à court terme parce que l'Asie et l'Afrique ne sont plus colonisés. Il va donc falloir du temps pour traiter la question écologique.

En outre, nous n'avons pas de technologie nous permettant d'avoir accèsà de l'énergie décarbonée pour tous nos usages : la fusion, ce n'est pas pour tout de suite. Généraliser la voiture électrique, ce n'est pas possible aujourd'hui et le bilan CO2 ne serait pas bon, parce qu'on ferait de toute façon tourner dans beaucoup de pays les voitures avec des centrales à charbon. Pour avoir un bilan CO2 positif, il faudrait que les voitures électriques tournent plusieurs centaines de milliers de kilométriques. Il va falloir beaucoup de temps d'adaptation. Il faut être les plus rationnels possibles parce que cela va être assez tendu entre 2030 et 2060, avant qu'on trouve des solutions technologiques qu'on n'a pas encore. Il n'y a pas de solution de stockage d'énergie et de production propre et accessible à court terme. Ce n'est donc pas la peine de faire une crise d'hystérie tous les jours !

Yves Michaud : Cette affiche a d’abord ceci d’absurde qu’elle dit une ânerie ; le XIXème c’est le socialisme et le XXème c’est le communisme et pas l’inverse. Cela dit, l’écologie est effectivement une idéologie qui remplace les autres mortes. Le socialisme n’a plus le moindre théoricien, exceptés Hollande, Cambadélis ou Dray (il faut prendre la mesure du gag!). Le communisme a fait ses preuves et il ne lui reste comme penseurs que Badiou et Zizek. Alors va pour l’écologie. A tout prendre, c’est un moindre mal car effectivement la planète ne se porte pas bien. Maintenant, il ne faudrait pas oublier qu’une autre idéologie, autrement puissante, se développe : la religion et notamment la religion mahométane. Quitte à ce que le monde touche à sa fin, autant qu’il en existe un autre. Et puis Allah le tout puissant sauvera la planète pendant que nous continuerons à vendre notre pétrole.

Quelles sont les causes de cette apparente transformation des écologistes ? Est-ce qu'il ne faut pas y voir le résultat d'une crise politique qui couve dans nos démocraties, et qui permettrait à l'écologie de devenir une forme de recours idéologique succédant à d'autres visions du monde qui ont été rejetées par les électeurs lors des derniers scrutins ?

Laurent Alexandre : Je pense qu'il y a besoin d'un discours apocalyptique religieux. L'effondrement de la religion chrétienne avec toutes ses thématiques de rédemption et d'apocalypse a entraîné un vide, et les gens ont besoin de ce discours. Ils ont besoin d'un sens religieux, parce que cela calme leurs angoisses. Il y a une sorte de catharsis, comme à la lecture des polars. Cela comble un manque dans une société qui a réglé une bonne partie des problèmes de base.

D'un autre côté, il y a des opportunistes qui voient un énorme gisement électoral et qui utilisent les peurs. Les peurs de l'an mil, ce sont pas les écologistes qui les ont créées ! On pourrait multiplier les annonces de fin du monde. Les gens ne voient jamais les crises écologiques réglées : c'est l'exemple des angoisses au XIXème siècle lié au crottin de cheval à Londres. L'air à Londres est plus clair et plus sain qu'il n'a jamais été. Les gens ne voient pas cela : ils ne voient que les côtés négatifs.

Et puis, il y a une ambivalence dans nos attitudes : on parle de biodiversité et quand trois loups arrivent dans un petit village, José Bové explique qu'il faut les tuer. Je ne parle pas des ours dans les Pyrénées ! Il y a un discours incantatoire qui ne tient pas face au réel. C'est un discours très hypocrite. Ce fond de commerce va encore tenir quelques temps.

Yves Michaud : Je crois qu’effectivement, quand le fonds de commerce classique ne marche plus, tout le monde trouve son compte à en faire prospérer un autre, avec quand même des variantes qui permettent de garder des partis politiques séparés : religieuses pour les millénaristes et les vegan enragés, bobo-gaucho pour les vieux soixante-huitards à la Cohn-Bendit, business-télé-média pour les écolos de bonne famille comme Hulot ou Arthus-Bertrand, politique politicienne à la Duflot, Rugy, Cosse, Pompili ou Baupin. Est-ce que les citoyens, s’y laissent prendre ? Pas certain. En fait l’écologie devient une sorte de sirop pour rendre buvable l’eau plate des programmes. Car ce dont les citoyens se doutent avec bon sens, c’est qu’il n’y pas de remède sérieux et que la fameuse transition écologique/énergétique demande des changements de mode de vie et de survie de l’humanité qui seront apocalyptiques pour elle. Pourquoi la Chine a-t-elle abandonné la politique de l’enfant unique ? Parce qu’il allait falloir de la main-d’œuvre et payer...les retraites. Alors la décroissance, tout le monde la souhaite, mais tout le monde aussi s’arrache les cheveux dès que la croissance faiblit. Et puis qui restera le dernier pour éteindre la lumière ?

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