La guerre en Ukraine hypothèque gravement la fortune des oligarques et menace celle de Poutine<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président russe Vladimir Poutine prononce un discours lors d'une session plénière du Forum économique de l'Est à Vladivostok, le 3 septembre 2021
Le président russe Vladimir Poutine prononce un discours lors d'une session plénière du Forum économique de l'Est à Vladivostok, le 3 septembre 2021
©Alexander Zemlianichenko / POOL / AFP

Atlantico Business

Pour l’instant, l’idée d’une révolte des oligarques est purement théorique. Ils restent très riches et paralysés par Vladimir Poutine. N’empêche que si la situation se prolonge, ils ne tiendront plus.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Selon le magazine Forbes, 116 oligarques russes ont déjà perdu 125 milliards de dollars depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe. Il faut dire que les grandes fortunes russes n’étaient déjà pas sorties de l’année 2021 en très bon état. La pandémie de coronavirus, la guerre du pétrole avec l’Arabie saoudite et la faiblesse du rouble avaient planté l’activité des secteurs locomotives de l’économie russe. Le déclenchement de la guerre provoque un effondrement des valeurs boursières et les mesures de sanction bouchent l’horizon et stoppent net l’économie.

Ces oligarques ont vu leur source de revenus et leur activité hypothéquées par les embargos décrétés sur le commerce international, soit parce que les moyens d’expéditions (cargo et avions) sont paralysés, soit parce que les moyens de financement sont bloqués.

Tous ces oligarques, actionnaires principaux de très grandes entreprises de l’énergie, de l’industrie ou du secteur matières premières, voient la valeur de leurs actions en chute libre. Et encore, la bourse de Moscou, fermée par la banque centrale, ne rouvrira pas ses portes avant mercredi minimum. La chute des cours de bourse pourrait être vertigineuse à l’ouverture et c’est ce que les autorités veulent éviter.

Les 116 milliardaires russes auraient perdu plus de 126 milliards de dollars depuis le 16 février, à la suite de l’effondrement de la bourse et surtout après l‘écroulement du cours du rouble qui a perdu 60%).

Selon Forbes, le grand perdant du classement, la semaine dernière, est Leonid Michelson avec une perte de 16,5 % sur sa fortune personnelle puisqu‘il est l'actionnaire majoritaire et PDG du groupe gazier Novatek. Novatek est le premier fournisseur privé de gaz naturel en Russie, Total énergies en est actionnaire à hauteur de 20 %.

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Autre Oligarque en perte de vitesse, Vagit Alekperov.Le patron du géant pétrolier Lukoil et ancien vice-ministre de l'Industrie pétrolière et gazière russe très proche de Vladimir Poutine, a perdu 4,2 milliards de dollars dans la seule journée de jeudi dernier mais presque autant vendredi. Son groupe a d’ailleurs appelé à un arrêt rapide du conflit et un règlement par la voie diplomatique.

Alexeï Morasha, très gros actionnaire du géant russe de la sidérurgie Reversal, Gençay Timchenko, qui a des participations au sein du pétrochimiste Sibur et Novatek, via sa société Volva Group, ont eux aussi perdu plus de 4,2 milliards de dollars chacun.

Dans le hit-parade de ces grands perdants à cause des sanctions, on trouve des oligarques presque plus connus en Europe qu’en Russie parce qu’ils avaient l’habitude de vivre en Grande Bretagne et en France plus souvent qu’à Moscou.

Roman Abramovitch est presque un people. Très connu parce qu’il vit entre sa résidence à Londres et celle qu’il possède au cap d’Antibes en France, quand il n’est pas sur son yacht qu’on croise le plus souvent en Méditerranée ou dans les Caraïbes. Actuellement, son bateau est mouillé dans la baie de St Martin. Abramovitch a vu son patrimoine amputé de 1,2 milliard de dollars alors que sa fortune est estimée à 13,5 milliards. Lorsque Boris Johnson, le Premier ministre britannique, a annoncé un gel des actifs déposés à Londres par les grandes banques russes, et tous les biens de 100 personnalités russes résidentes mais qui « soutiennent la machine de guerre de Poutine », Roman Abramovitch a tenté de s’acheter un brevet de bonne conduite. C’est ainsi que l’oligarque russe, propriétaire du club de foot de Chelsea, a décidé en catastrophe de céder le contrôle de Chelsea aux administrateurs de la fondation du club.

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Craignant les sanctions du Royaume-Uni, il a aussi décidé selon Bloomberg, de vendre ses biens immobiliers dans la capitale.Le porte-parole d'Abramovich a déclaré qu'il allait consacrer son argent à négocier la fin de la guerre en Ukraine.

Personne ne savait, ce week-end, comment il allait dorénavant gérer sa relation avec Vladimir Poutine dont il était un ami proche. Parce que la plupart des Oligarques sont aux abonnés absents. Beaucoup sont coincés à Moscou ou à St Pétersbourg avec leurs avions collés au sol alors que leur famille réside à Londres en Grande Bretagne, ou à Paris, Monaco ou Genève.

Pour la première fois depuis presque un demi-siècle, la totalité des gouvernements occidentaux ont choisi de faire payer l’entourage de Vladimir Poutine en espérant qu’ils obtiennent un arrêt des hostilités.

Certains gouvernements pensent à une révolution de palais, mais ils se garderont bien de le souhaiter publiquement. La majorité des gouvernements estiment que seul cet entourage, mais aussi la famille ou même ses enfants, pourraient ramener Vladimir Poutine à la raison. Pas évident.

La marge de manœuvre des gouvernements est étroite pour des raisons juridiques. Dans un Etat de droit, le droit de propriété est sacré. On ne peut donc pas geler ou saisir un bien sans une raison reconnue par la justice, sinon ça pourrait être considéré comme un acte de guerre et expose les gouvernements à une cascade de recours en justice. Le plus compliqué, c’est que les véritables propriétaires sont dissimulés vers des cascades de sociétés dont beaucoup sont off-shore, logés dans des paradis fiscaux.

C’est d’ailleurs le cas de la fortune personnelle de Vladimir Poutine. Les grandes banques américaines ont essayé d’y voir clair dans l’argent accumulé par le président russe, mais aucune n’a de certitudes. Le magazine Forbes a mené une enquête depuis plus de 20 ans sur l’origine et le montant de cette fortune. Sur le montant, Vladimir Poutine serait l’homme le plus riche de la planète avec quelques 250 milliards de dollars dissimulés un peu partout dans le monde. Mais sur l’origine de cette fortune, les experts se perdent en conjectures. Forbes en est arrivé à affirmer qu’il existait trois scénarios qui s’appuient sur 3 théories :

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Théorie 1 : Le modèle Khodorkovsky. Dans un article publié en 2002, Paul Khlebnikov a dressé le portrait d’un oligarque russe alors en pleine ascension, Mikhaïl Khodorkovski. À l’époque, sa société, Yukos, représentait 17 % de la production pétrolière russe. En outre, de nombreux observateurs considéraient que la société Yukos et son fondateur avaient une influence significative sur le Kremlin. La fortune personnelle de l’oligarque russe s’élevait à 3,7 milliards de dollars, faisant de lui l’homme le plus riche de Russie.La fortune de Mikhaïl Khodorkovski a doublé au cours de l’année suivante. En octobre 2003, il est condamné pour fraude et évasion fiscale (accusations qu’il a toujours contestées) et est envoyé en prison. Vladimir Poutine était sans doute, pour beaucoup d’observateurs, à l’origine de son arrestation, du gel de sa fortune et de la dissolution de son entreprise. Le sort réservé à Mikhaïl Khodorkovski a servi de leçon puissante pour les autres oligarques russes qui sont condamnés au silence.

Pour le financier américain Bill Browder*, Vladimir Poutine aurait, après avoir arrêté Mikhaïl Khodorkovski, passé un accord avec les principaux oligarques de Russie. Le marché était le suivant raconte Browder : “Tu me donnes 50 % de ta richesse et je te laisse garder les autres 50 % et si vous refusez, [Vladimir Poutine] prendra 100 % de votre richesse et vous jettera en prison. »

Sur la base de ce « pacte », Bill Browder a estimé en 2017 que la fortune de Vladimir Poutine s’élevait à 200 milliards de dollars, ce qui aurait fait de lui la personne la plus riche au monde à l’époque. Le calcul du financier américain était simple : il a additionné les fortunes nettes de tous les oligarques russes et les a divisées par deux.

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Cette théorie a été validée par plusieurs oligarques lors d’enquêtes faites par la justice américaine, et notamment Robert Mueller, le procureur spécial américain chargé del’enquête sur l’ingérence électorale de 2016.

Théorie 2 : Le modèle mafieux

Selon une autre théorie, la fortune de Vladimir Poutine proviendrait de l’aide qu’il a fournie à son entourage proche pour s’enrichir en leur attribuant des marchés publics ou des participations dans des entreprises. En retour, le président russe reçoit des pots-de-vin en espèces ou des participations dans les entreprises. Dans son ouvrage sur le capitalisme de copinage russe (Russia’s Crony Capitalism, Yale University Press, 2019), l’économiste suédois Anders Aslund explique que Vladimir Poutine a recruté dans sa famille, et ses amis d’enfance, ses gardes du corps et d’autres personnes en les chargeant de détenirsa fortune. Cette théorie a été plus ou moins corroborée par ce qu’on a découvert dans les Panama papers. Ceux qui détiennent une partie de cette fortune sont coincés. S’ils parlent, ils sont condamnés soit par la justice occidentale qui enquête soit par Vladimir Poutine. C’est le modèle Mafieux.

Théorie 3 : Le modèle de l’esbroufe.

Forbes n‘écarte pas la théorie de l’esbroufe. « Pour faire simple, en l’absence de preuves contraires, il est possible que la fortune personnelle de Vladimir Poutine soit faible et que ce dernier souhaite simplement faire croire qu’il possède une immense fortune, car qui dit argent dit pouvoir »

C’est très possible. Officiellement, le Kremlin fait état d’un revenu d’environ 140 000 dollars pour l’année 2020. Les seuls biens que Vladimir Poutine déclare posséder sont trois voitures, une remorque, un appartement de 74 m2 et un garage de 18,5 m2. Il a également déclaré utiliser un appartement de 149 m2 et deux places de parking. Officiellement, jamais le Kremlin n’a fait allusion aux montres de grand prix, ni aux palais, ni aux yachts ou avions qu’il utilise. Certains analystes ou même selon certains de ses anciens amis expliquent que ces nombreux avantages étatiques font que Vladimir Poutine n’a pas besoin de richesses personnelles, puisqu’il peut utiliser ce qu’il veut. Il y aurait une confusion permanente entre le trésor public et sa cagnotte perso. Donc cette idée de fortune colossale cachée à l’étranger serait une invention.

*Bill Browder qui a beaucoup étudié les origines de la fortune de Poutine est à l’origine des lois Magnitka pour les droits humains et la redevabilité. Ce cadre législatif autorise le président américain à imposer des interdictions de visas et à geler les avoirs des personnes étrangères responsables de violations flagrantes

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