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La génétique rend-elle toute égalité illusoire ? Partie 5 : la réaction à notre environnement
©Reuters

L'ADN, c'est plus fort que toi

Soumis à des environnements différents, les humains voient leurs gènes s'exprimer de différentes manières. C'est ainsi que chaque individu façonne son propre génome. Suite et fin de notre série sur les liens entre l'égalité et la génétique.

Atlantico : Gene Robinson, de l'université d'Illinois, a voulu observer le comportement de deux espèces d'abeilles, l'une européenne, l'autre africaine. Difficiles à différencier à l’œil nu, la seconde est pourtant plus agressive que la première. Des chercheurs ont effectué un échange de jeunes abeilles entre les deux "communautés", et ont constaté avec surprise (voir ici) que leurs expressions génétique respectives s'était modifiées, les européennes se comportant comme des africaines, et les africaines comme des européennes. Que vous inspire cette trouvaille ? En quoi est-elle révélatrice de l'influence de l'environnement sur le patrimoine génétique ?

Souhila Medjkane : Gene Robinson montre que les abeilles s’adaptent à leur nouvel environnement en modulant l’expression de leurs gènes. Ainsi, les abeilles africaines agressives deviennent plus douces lorsqu'elles sont élevées au sein d’une colonie d’abeilles européennes, et les abeilles européennes deviennent plus agressives lorsqu'elles sont élevées au sein d’une colonie d’abeilles africaines. Les travaux de Gene Robinson mettent en évidence un changement de profil d'expression d’un certain nombre de gènes impliqués dans la réponse à l’agression, en fonction de l’environnement dans lequel les abeilles évoluent. Ainsi, des modifications épigénétiques, insufflées par l’environnement social, permettent une plasticité du génome à l’origine d’un changement d'expression des gènes et donc du comportement. En effet, c’est l’expression des gènes en ARN [molécule transportant l'information génétique, NDLR], puis en protéines, qui conditionne le génotype d’un individu, donc son comportement face à un environnement donné.

L’architecture de l’ADN présente plusieurs niveaux de complexité et de "compaction". Si on compare l’ADN à une pelote de laine, on imagine que si la pelote est débobinée, les gènes pourront s’exprimer tandis que si la pelote d’ADN est compactée, alors les gènes seront inaccessibles et donc ne pourront pas s’exprimer. L’épigénétique correspond à l’ensemble des modifications de la structure de l’ADN (sans altération de la séquence nucléotidique de l’ADN) qui vont conditionner son niveau de compaction et donc l’expression des gènes.

Cette expérience illustre bien l’impact de l'environnement, notamment social, dans le contrôle de l’expression de notre génome.

Pierre Roubertoux : La protéine issue des gènes est au cœur de ce phénomène. Les facteurs environnementaux modifient la quantité de la transcription (c'est-à-dire le mécanisme qui va faire que notre ADN va être lu pour créer une protéine) : le gène sera toujours présent mais créera plus ou moins de protéine en fonction de l'environnement. Si on soumet un individu à un environnement stressant, on va constater une modification de la quantité de la protéine produite. Ce ne sont donc pas les gènes qui vont être modifiés par l'environnement, mais la quantité de protéine des gènes.

En ce qui nous concerne, nous autres humains, l'étude de Gene Robinson avance que le fait de côtoyer telle ou telle personne peut avoir pour effet d'activer ou au contraire réduire au silence certains gènes. Notre entourage influerait donc sur le fonctionnement de nos gènes. Avons-nous vraiment le pouvoir de façonner ainsi notre propre génome ?

Souhila Medjkane : Les interactions humaines peuvent directement affecter notre état de stress ou de bien-être. Ainsi, l'environnement social tout comme notre alimentation, notre activité sportive, métabolique, hormonale, etc. peuvent influencer  notre épigénome et donc  l'expression de nos gènes.  Il est, je pense, illusoire de penser pouvoir façonner notre épigénome au vu de la complexité de ce dernier,mais il est possible de le moduler en partie, en adoptant certains comportements. Les études actuelles qui se penchent sur la mécanistique qui permet à des stimuli extérieurs de contrôler l’expression de nos gènes devraient nous apporter des informations précieuses sur la manière dont nos comportements alimentaires, sociaux, etc. conditionnent l’expression de nos gènes, et donc notre biologie.

Pierre Roubertoux : Nous pouvons façonner notre propre génome. Et on se rend compte que les bébés stimulés sont beaucoup plus intelligents que les autres parce que la mère, en lui parlant, va faire fonctionner un certain nombre de neurones et stimuler un certain nombre de gènes qui vont donner beaucoup de protéines.

Le généticien Steve Cole a pour sa part travaillé sur la corrélation entre environnement, gènes et maladies. Il s'est rendu compte que l'isolement social, le stress ou encore la pauvreté pourraient être des facteurs affectant l'immunité de certains d'entre nous en touchant en premier lieu nos gènes. Comment expliquer ce phénomène ?

Souhila Medjkane : Ces gènes régissant notre réponse immunitaire en fonction de notre état psychique ont été appelés par Steve Cole lui-même "gènes de réponse à l’adversité". Ils sont impliqués, notamment, dans la réponse inflammatoire et anti-virale.Il semblerait que notre système nerveux central soit capable de transformer les signaux de notre condition sociale en signaux hormonaux et en changements des neurotransmetteurs (qui sont les molécules de signal produites par les neurones), qui à leur tour vont pouvoir moduler l’expression de certains gènes de l’immunité.

Pierre Roubertoux : Lorsque l'on isole de leur mère une heure de temps en temps des souriceaux venant de naître, on observe qu'ils sont stressés et que leurs défenses immunitaires sont moins grandes que ceux qui avaient vécu constamment aux côtés de leur mère. Donc oui, le stress affecte nos défenses immunitaires. Il semble bien que l'émotion modifie la protéine émise par le gène.

Steve Cole tient à ne pas associer ses observations à une quelconque forme de déterminisme : même si la vie peut ne pas être clémente envers certains (seuls, stressés, pauvres...), nous pouvons toujours "maîtriser" nos gènes grâce à des des pensées positives. Doit-on déduire que tous les hommes sont égaux d'un point de vue génétique mais que ce sont eux-mêmes qui créent des inégalités génétiques ?

Souhila Medjkane : Notre condition sociale et humaine est en grande partie liée à la question de la perception intime que l’on en a, donc subjective ; c'est un thème récurrent de l’histoire de l’humanité. De nombreux ouvrages de développement personnel suggèrent que malgré des conditions sociales difficiles, la perception positive de nous-mêmes est fondamentale pour notre équilibre mental, psychique et  physique. Et donc, en ce sens il n’y a pas de déterminisme. Ce qui est nouveau et passionnant, réside dans la tentative de mettre en œuvre des études scientifiques pour comprendre comment l’état d’esprit peut influer sur l’état de santé.

Il est – me semble-t-il – illusoire de vouloir contrôler notre épigénome par des approches uniquement biochimiques, mais il demeure clair qu’une meilleure compréhension du lien qui existe entre la perception de notre état social et les régulations de l’expression de nos gènes contribuera à une meilleure gestion des inégalités devant l’adversité.

Les hommes ne sont pas égaux d’un point de vue génétique, puisqu’ils héritent d’un génome très différent même au sein d’une fratrie – seuls les vrais jumeaux sont génétiquement égaux. De plus, les hommes ne sont pas nécessairement égaux d’un point de vue épigénétique car les gènes responsables des régulations de l’épigénome peuvent présenter des polymorphismes (changements de la séquence d’ADN) ou des mutations qui différent d’un individu à un autre. Cependant, l’épigénétique permet une plasticité dans l’expression des gènes qui peut contribuer à moduler certaines réponses aux facteurs environnementaux et aboutir ainsi à une meilleure adaptabilité.

Pierre Roubertoux : Nous ne sommes pas génétiquement égaux. Les personnes qui ont des prédispositions aux cancers sont bien différentes de celles qui n'ont pas connu de cancer depuis plusieurs générations ou encore de celles qui ont des maladies génétiques.

Avons-nous investi la génétique de beaucoup plus de pouvoir qu'elle n'en a ?

Souhila Medjkane :Non, je ne crois pas. La génétique reste le support de l’information génétique et occupe ainsi un rôle fondamental et central dans la transmission de l’information génétique. Avec les outils dont les chercheurs disposaient à l’époque, la génétique était plus simple à découvrir que ne l’a été l’épigénétique. En effet, il aura fallu plus d’un siècle entre les travaux de Mendel, qui ont défini les lois de la génétique, et la mise en évidence des régulations épigénétiques. Ainsi, je dirais que c’est l’épigénétique qui a été sous-exploitée. Cependant, l’effort constant investi ces deux dernières décennies pour appréhender le monde de l’épigénétique continue à ouvrir de nouvelles voies de réflexion et de compréhension des mécanismes de fonctionnement et d’adaptation des organismes vivants, dans un contexte physiologique et physiopathologique.

Pierre Roubertoux :Nous avons effectivement investi la génétique de beaucoup de pouvoirs, mais c'est un moyen de libération, quand on voit les ravages de la psychanalyse ou de l'environnementalisme. On est loin d'être arrivé au bout de nos découvertes en matières de génétique.

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