La frontière entre les dettes risquées et les autres devient de plus en plus floue en Europe (et voilà les conséquences pour la France)<!-- --> | Atlantico.fr
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La dette publique ne cesse de grandir en France.
La dette publique ne cesse de grandir en France.
©Photo by JOEL SAGET / AFP

Endettement

Comment appréhender le problème de la dette alors que celle-ci est de plus en plus importante ?

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : La dette publique ne cesse de grandir en France. Le déficit public apparaît d’ailleurs plus important que prévu. Comment expliquer une telle situation ? Quelles sont les conséquences concrètes pour l’économie du pays ?

Don Diego de la Vega : La cause de ce problème est bien connue. C’est un problème référencé et documenté depuis bientôt 50 ans maintenant… d’autant que c’est une erreur que nous répétons tous les ans. Chaque année, nous réalisons des prévisions de croissance exagérées et c’est sur la base de celle-ci que tout est réalisé ensuite. Les experts de Bercy, dont on sait qu’ils sont tous très diplômés, appellent cela un chiffre volontariste. Il s’agit surtout d’un fantasme et c’est sur celui-ci que s’appuient nos dirigeants pour construire le budget. Seulement voilà : la réalité ne se plie pas à leur souhait. Il y a moins de croissance et donc moins de croissance des recettes fiscales, qui sont très indexées sur l’activité. Puisque les dépenses demeurent très rigides – on parle de la rémunération des fonctionnaires, du paiement des retraites, des frais de fonctionnement de l’Etat ou de nos institutions entre autres – il n’y a pas de marge. Pire encore ! Ce sont des dépenses reconduites d’une année sur l’autre. Dès lors, le déficit progresse tous les ans depuis le milieu des années 70, sans exception ou presque. N’oublions quand, en 2017, Emmanuel Macron s’engageait à 2,5 points de croissance par an ! C’était son programme. Pourtant, la vraie question était de savoir si l’on aurait 0 ou 1 point de croissance. Il a complètement radicalisé cette approche guignolesque des finances publiques.

Il serait faux de dire qu’il n’y a pas d'autres problèmes plus structurels en France. Cependant, force est de constater que la cause technique du déficit est là. Pour ce qui est de la conséquence, elle est elle aussi bien connue : produire des déficits, c’est émettre des titres de dette sur les marchés financiers (c’est d’autant plus ironique que ce sont les mêmes, ensuite, qui viennent plaider pour un renforcement de la souveraineté du pays). Concrètement, on parle donc d’une dépendance accrue aux marchés financiers, aux banquiers centraux dont on rappelle évidemment qu’ils ne sont pas élus et qu’ils sont tout à fait en mesure de nous faire du chantage en décidant, ou non, d'acheter lesdits titres. Il y a aussi un enjeu de sérieux du pays, de crédibilité inter-temporelle, plus que réellement financier. Toutefois, il faut bien comprendre que cela limite nos marges de manœuvre : à force d’élargir sans discontinuer le pipeline des déficits, on élargit aussi les engagements de limitations de ces mêmes déficits auprès de nos partenaires… lesquels sont ensuite suivis de mécanismes visant à cadenasser nos dépenses. L’Etat peut, in fine, se retrouver à choisir lesquelles de ses missions il exerce et lesquelles il délègue ; dans quels budgets il procède à des coupes forfaitaires ou des annulations de crédits, etc. Ce n’est pas pour rien que nous avons raboté le budget de la défense, que l’hôpital s’est transformé en variable d’ajustement…

En parallèle, le financement de la dette semble croître pour sa part. Comment expliquer que le rachat de titres de la dette française apparaisse si attractif ?

Les titres de dettes sont émis en grand nombre puis achetés en grand nombre par le marché, lequel se montre assez bonne pâte avec la dette française (et d’une façon plus générale avec l’ensemble des dettes françaises). Pour appréhender correctement cette situation, il faut d’abord comprendre ce qui a changé sur les marchés financiers ces 40 dernières années. Il ne s’agit plus vraiment d’un endroit où l’on peut bénéficier d’effets de leviers monstrueux, qui viendraient récompenser des stratégies très risquées. Au contraire, le danger est limité et le matelas de sécurité est énorme. C’est cette sécurité qui attire les investisseurs vers les titres de dettes : on parle de produits jusqu’à quatre fois moins volatiles que les actions.  

L’économie mondiale s’est japonisée : la finance est beaucoup plus bureaucratique et doit répondre aux exigences de retraités sans cesse plus nombreux, qui attendent des revenus fixes. Sans oublier, bien sûr, les actionnaires qui se comportent en rentiers. La finance a perdu de son peps, elle a peur du risque. C’est de là qu’émane le goût pour le couple obligataire. Celui-ci est d’autant plus fort que, en dehors des années 2021-2022, l’inflation n’a eu de cesse que de décroître. Sans risque d’inflation, sans crainte de révolution, tout ce qui a pu effrayer le porteur obligataire a peu ou prou disparu. Détenir une dette libellée à 4%, cela veut dire qu’elle ne sera attaquée que par deux points d’inflation et par quelques frais ou impôts… Ce qui ne permet pas de gagner beaucoup à la fin. Et pourtant, ce presque rien peut aisément constituer la majorité des avoirs d’un investisseur qui ne choisira de prendre des risques que sur 20 ou 30% de son panier. C’est donc un coussin de sécurité.

Le rachat de paquet de dette, qu’elle soit allemande ou française, peut paraître complaisant. En vérité, il s’agit simplement de s’accorder une marge de manœuvre pour pouvoir prendre des risques sur un autre portefeuille, plus petit. Ne nous leurrons pas : la dette française n’est pas achetée par passion pour le pays. Elle est achetée de façon mécanique, quelque soit le taux d’intérêt auquel elle est proposée. L’obligataire sert aujourd’hui de produit d’assurance implicite. 

Faut-il penser que ces évolutions et cette tendance à financer la dette plutôt que l’économie réelle nuit à nos entreprises ? Quelle est l’ampleur exacte du problème ?

Je ne dirais pas que cette situation nuit nécessairement au financement de notre économie réelle. Celle-ci, il faut bien le comprendre, est globalement plutôt bien financée… et ce même si de très nombreuses personnes disent l’inverse. Rappelons-nous ce que disait Warren Buffet : je ne connais pas un projet qui ai été arrêté par manque de financement alors qu’il était performant et prometteur. Le problème, à bien des égards, vient davantage du manque de projets intéressants, quand il n’éname pas tout simplement de l’idée que la demande ne sera pas au rendez-vous. L’argent abonde dans les crédits, dans le capital investissement.

Naturellement, certains ont l’impression de ne pas pouvoir être financés. C’est souvent le cas dans les PME, ou il faut se battre pour obtenir un crédit ou pour gagner la confiance des marchés. Pourtant, force est de remarquer que le financement des start-ups est généralement garanti et que, des années durant, des entreprises qui ne sont pas rentables continuent à être alimentées. Cela a été le cas pour Amazon, mais aussi pour Musk, qui n’a pas hésité à dire à ses actionnaires qu’ils ne seraient pas rémunérés tant que l’entreprise ne serait pas rentable.

Ce qui handicap le chef de PME, c’est l’absence de la demande et de demandes globales. Il arrive parfois, aussi, que l’on ai du mal à anticiper des problèmes d’offres productives comme cela a pu être le cas entre 2021 et 2022. Sans oublier, bien sûr, le manque d’une main d'œuvre qualifiée et disponible dans le pays. Il faut également évoquer certains des problèmes de réglementation qui empêchent nos PME de se développer et de devenir de plus grosses entreprises jusqu’à, parfois, devenir des sociétés mondiales. 

Ceci étant dit, il est vrai qu’il y a des secteurs où il y a plus d’argent que d’autres… et parfois même plus d’argent qu’il n’y a d’idées. C’est le cas dans le domaine de la transition énergétique où les banquiers et les assureurs sont fortement incités à lâcher du lest. Seulement, voilà ! Il n’y a pas de bons projets verts, ou si peu.

Le besoin de financement de l’Etat peut-il évincer le besoin de financement de nos entreprises ?

C’est arrivé, oui. On parle alors d’effet de running out. Le besoin de financement de l’Etat est tel qu’il en évince les financements privés. C’est un sujet bien connu et discuté : cela fait trente ans, au moins, que l’on en parle. Mais force est de constater qu’il est assez mal documenté. Nous avons peu d’études sur la question et rien ne permet de penser que c’est actuellement le cas.

S’il n’y a pas nécessairement de gros problèmes de financement de notre économie à l’heure actuelle, force est de constater, cependant, que la BCE intervient dans le processus. Quand elle met son taux directeur à 4%, le marché n’est plus nécessairement en mesure de prêter autant qu’il l’aurait souhaité. Un taux directeur trop élevé, particulièrement dans un pays qui souffre d’une faible croissance depuis des années, peut engendrer des difficultés à financer un projet. Ce n’est pas la faute des financiers à proprement parler : c’est celle de la banque centrale européenne.

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