La France, un pays particulièrement égalitaire contrairement aux idées reçues<!-- --> | Atlantico.fr
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Erwan Le Noan publie « L'Obsession égalitaire Comment la lutte contre les inégalités produit l’injustice » aux éditions Presses de la Cité.
Erwan Le Noan publie « L'Obsession égalitaire Comment la lutte contre les inégalités produit l’injustice » aux éditions Presses de la Cité.
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Bonnes feuilles

Erwan Le Noan publie « L'Obsession égalitaire Comment la lutte contre les inégalités produit l’injustice » aux éditions Presses de la Cité. Les statistiques sont formelles : la France est l'un des pays les plus égalitaires du monde. Pourtant, les Français sont inquiets. Ils s'exaspèrent d'un État toujours plus pesant et de politiques toujours moins efficaces. Quelle est la raison profonde de ce mal français ? L'obsession égalitaire, à l'origine de bien des blocages minant la société. Extrait 2/2.

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Si la France exprime une passion folle pour l’égalité, elle est aussi paradoxalement, parmi les pays développés, l’un des plus égalitaires.

Le niveau d’inégalité peut se mesurer à travers un indice qu’on appelle le « coefficient de Gini », qui évolue entre 0 et 1. Plus il est faible, plus la répartition considérée est égalitaire. En 2019, l’OCDE mesure que celui de la France était de 0,29. À titre de comparaison, celui de l’Allemagne était très légèrement inférieur, alors que ceux de l’Italie, à 0,33, du Royaume-Uni, à 0,37, ou des États-Unis, à 0,40, étaient bien supérieurs. En clair, la France est un pays particulièrement égalitaire. Les seuls pays qui fassent sensiblement « mieux » en la matière sont les pays du nord (Islande, Norvège, Danemark, Finlande) et du centre (Slovaquie, République tchèque, Autriche) de l’Europe. Au demeurant, le continent est lui-même globalement égalitaire. Thomas Piketty et ses coauteurs le disent clairement : « L’Europe fait figure d’exception et se présente comme une région relativement égalitaire : c’est la seule où les 40 % du milieu (la “classe moyenne” pour faire simple) gagnent collectivement une part de revenu sensiblement plus importante que celle des 10 % du haut. »

Les Français se sont, en moyenne, considérablement enrichis depuis le début du XXe siècle et particulièrement depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, le revenu annuel national par adulte est passé (en euros constants de 2014) de 5 000 euros en 1900 à 35 000 euros en 2014. De 1900 à 1945, l’effondrement des inégalités de revenus a été massif : la part revenant aux 10 % des ménages les plus fortunés a décru, passant de 50 % en 1914 à 30 % en 1945, avant de croître un peu et décroître encore très sensiblement à partir des années 1970, puis enfin de repartir si légèrement à la hausse à partir des années  1980 qu’on pourrait presque considérer que les inégalités sont restées stables. La dynamique s’est poursuivie  : ainsi, selon l’INSEE, « depuis 1996, le niveau de vie évolue de façon relativement proche du PIB » (autrement dit, les ralentissements ressentis par les Français sont en parfait accord avec le manque de dynamisme de la croissance !).

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Cela ne signifie pas que tout soit idéal. À ce titre, un vrai sujet, insuffisamment abordé dans le débat public, est la pauvreté des jeunes : selon l’Observatoire des inégalités, association militante du sujet, « entre 2002 et 2018, le taux de pauvreté des jeunes de 18 à 29 ans a déjà progressé de plus de 50 %, de 8 % à près de 13 % ». La DREES, organe statistique des ministères sociaux en France, note qu’en 2020, à l’issue du confinement, 26 % se considéraient comme pauvres – c’était la catégorie d’âge de la population qui l’exprimait le plus.

L’histoire du XXe siècle français est ainsi celui d’une longue et massive réduction des inégalités. Il est important de bien avoir à l’esprit ce qui s’est passé : au XVIIIe siècle, les inégalités étaient stables mais très fortes, et elles le sont restées au XIXe siècle. Ce constat s’explique pour partie par la répartition des terres, détenues de façon disproportionnée par les nobles. Le XXe siècle à l’inverse a été celui d’un basculement, sous l’effet de plusieurs facteurs dont l’industrialisation qui, après une tendance à la concentration des revenus, a induit un enrichissement des masses (notamment par une généralisation progressive de l’accès à l’épargne et de décisions politiques de répartition intervenues après les guerres). On ne cesse de vanter les Trente Glorieuses mais, comme le rappelle très justement l’économiste Guillaume Bazot en 2022, dans L’Épouvantail néolibéral, « les inégalités dans les années 1960 atteignent leur niveau maximum » en France.

Le site « World Inequality Database », mis en place par Thomas Piketty et ses équipes, l’illustre très clairement par ses données : alors que les 10 % les plus fortunés recevaient 50 % des revenus en 1900, un siècle plus tard cette part est de 33,75 % –  et de 32 % en 2020. La part des 1 % est passée de 22 % en 1900 à approximativement de 10 % en 2020.

Ce n’est pas la seule évolution positive qui puisse être relevée : en France, l’écart entre les revenus du travail des hommes et des femmes a décru très fortement depuis les années 1970, même s’il demeure à un niveau qui n’est pas anodin.

De façon intéressante, les statistiques indiquent que les inégalités de patrimoine ont aussi considérablement décru en France depuis le début du XXe siècle. La part du patrimoine détenue par les 10 % les plus riches, qui avoisinait 85 % en 1910, a chuté pour atteindre 50 % au milieu des années 1980, puis s’est remise à augmenter légèrement.

L’effet d’érosion du XXe siècle est ainsi très marqué en termes de possession du capital. Les statistiques du « WID » sont d’autant plus frappantes qu’elles remontent jusqu’au début du XIXe siècle, offrant une perspective historique particulièrement longue et significative. Tout au long du XIXe, la minorité la plus fortunée a détenu l’écrasante majorité du patrimoine français : sous Napoléon Ier, les 10 % les plus riches en possédaient plus de 80 % ; lorsque son neveu est défait à Sedan en 1870, cette proportion est sensiblement identique. À l’inverse, elle n’est plus « que » d’un peu plus de 50 % en 1990. En réalité, c’est la part de patrimoine détenue par la classe moyenne qui a explosé, passant de 14 % en 1910 à un peu plus de 40 % à la fin du XXe siècle !

Extrait du livre d’Erwan Le Noan, « L'Obsession égalitaire Comment la lutte contre les inégalités produit l’injustice », publié aux éditions Presses de la Cité

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