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Emmanuel Macron et Donald Trump lors d'une conférence de presse à Biarritz, le 26 août 2019, le troisième jour du sommet du G7.
Emmanuel Macron et Donald Trump lors d'une conférence de presse à Biarritz, le 26 août 2019, le troisième jour du sommet du G7.
©BERTRAND GUAY / AFP

Bonnes feuilles

Anne Toulouse publie « L'art de trumper Ou comment la politique de Donald Trump a contaminé le monde » aux éditions du Rocher. La politique est descendue de son piédestal. Trump a imposé Twitter comme un véhicule sans filtre mettant la parole présidentielle au même niveau que la logorrhée qui se déverse sur les réseaux sociaux. Extrait 2/2.

Anne Toulouse

Anne Toulouse

Anne Toulouse est une journaliste franco-américaine. Auteur de deux livres sur Donald Trump, elle « l'étudie » depuis huit ans, et partage actuellement son temps entre Arlington, en Virginie, et Paris. Son dernier livre s'intitule L'art de "trumper" : ou comment la politique de Donald Trump a contaminé le monde (Ed. du Rocher, 2024). Elle a également publié un essai sur le wokisme en 2022 aux éditions du Rocher.

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Quand les linguistes se pencheront sur la France de 2023, ils retiendront sans doute comme mot de l’année celui que le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin a lancé  : « La bordélisation ». Ce à quoi le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, a répliqué  : « Excusez-moi, mais, bordel, on n’est pas responsables. » Ils sont donc d’accord au moins sur une chose: le bordel. C’est un domaine dans lequel les Français ont une sorte de talent atavique, dont Donald Trump pourrait se revendiquer. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, mais il n’a jamais réussi à organiser une telle bordélisation ; en revanche, comme nous le verrons dans un autre chapitre, ses émules ont fait leurs preuves dans ce domaine. Tout en ayant fait campagne sur le thème de « la loi et l’ordre », Trump n’a pas caché sa sympathie pour le désordre, lorsqu’il se passait à l’extérieur. C’est ainsi qu’il a essayé de récupérer le mouvement des Gilets jaunes français en prétendant que ceux-ci avaient scandé « Trump avec nous », ce qui n’a pas été avéré.

Semer le désordre quand l’ordre ne vous convient plus est une méthode trumpienne, comme en témoigne l’attitude de l’ex-Président au moment de sa défaite de 2020, qu’il attribue, au mépris de toute évidence, à de multiples irrégularités du scrutin: « Une fraude aussi massive autorise l’abolition de toutes les règles, règlements et articles, y compris ceux de la Constitution », écrit-il. Cette déclaration est proprement iconoclaste, dans un pays où la Constitution est une référence intangible depuis 1787. Une époque où les deux côtés de l’Atlantique traversaient une révolution fondatrice dont Jean-Luc Mélenchon a gardé la nostalgie. Dans un tweet en 2019, il écrit: « Dans la Constitution de 1793, qui fonde la République, l’insurrection est un droit et un devoir. » Il paraphrase ainsi une citation de Robespierre: « L’insurrection est pour le peuple le plus sacré et le plus indispensable des devoirs. » Si Robespierre a l’honneur d’une station à son nom dans le métro parisien, ce qui en dit long sur la façon dont on a escamoté la Terreur, il est douteux qu’il soit une référence ailleurs. Pourtant, au nom du même principe, Donald Trump va demander dans son tristement fameux discours du 6 janvier: « Battez-vous, battez-vous comme des démons, si vous voulez sauver votre pays. » Après le résultat désastreux de sa diatribe, il mettra en avant un passage contradictoire dans lequel il invite ses partisans à « marcher pacifiquement sur le Capitole ». Le chef de La France Insoumise veut, lui aussi, mettre le peuple en marche, à l’automne 2022, lorsqu’il clame place de la République: « Les 5 et 6 octobre 1789, les femmes marchent sur Versailles contre la vie chère. Elles ramènent le roi, la reine et le dauphin de force à Paris sous contrôle populaire. Faites mieux le 16 octobre. » Que propose-t-il exactement? De s’emparer du couple Macron et d’Élisabeth Borne et de les garder au Temple pour contenir l’inflation?

Il est douteux que L’Art du deal soit le livre de chevet de Jean-Luc Mélenchon; pourtant, dans son opposition à Emmanuel Macron, il en a appliqué les principaux principes, dont celui que l’on considère comme fondateur : Rules are made to be broken (« les règles sont faites pour être transgressées »). Après la double élection présidentielle et parlementaire de 2022, le chef de LFI va décréter qu’« Emmanuel Macron est trop mal élu pour gouverner » et va s’efforcer de lui en administrer la démonstration pendant le débat sur la réforme des retraites à l’Assemblée nationale. Les 19000 amendements déposés par son parti sont ainsi justifiés par l’un de ses députés: « L’obstruction, c’est le gouvernement. » Lorsque ses alliés communistes retirent une partie de leurs amendements pour faire avancer la discussion, il leur envoie ce tweet vengeur: « Êtes-vous pressés de perdre? » Donald Trump a toujours milité contre le fait d’être un bon perdant: « Celui qui accepte de perdre devient un loser », explique-t-il, mais, ajoute-t-il: « en perdant une bataille, vous pouvez gagner la guerre ». C’est exactement la stratégie que le chef de LFI expose dans un restaurant parisien à quelques journalistes, le 4 novembre 2022: « Nous allons les épuiser, les démoraliser, les faire craquer, ils vont craquer », dit-il du gouvernement. C’est ce que Trump pourrait appeler un morceau de bravado.

Mais où serait le fun si on s’attaquait seulement à ses adversaires? Tout comme Donald Trump, Jean-Luc Mélenchon semble trouver un surcroît de plaisir à mettre en lambeaux son propre camp. La Nupes n’a pas été une vénérable institution, comme le Parti républicain, et il n’a guère fallu plus d’un an pour la descendre en flamme. Dans une tribune du magazine Le Point en octobre 2023, le sénateur écologiste Yannick Jadot dénonce les dérapages du chef de LFI qu’il qualifie de « stalinien ». Dans le même temps, il déclare candidement : « Cette alliance nous a permis d’avoir beaucoup plus de députés. » Il s’est trouvé que j’ai lu cet épisode tout en surveillant d’un œil les votes pour élire un nouveau chef de la majorité républicaine à la Chambre des représentants. Là aussi, j’ai entendu, sur le triste état d’un parti pris en otage par Trump, les jérémiades de ceux qui n’avaient pas regardé de trop près la manière dont ils avaient sacrifié à l’arithmétique électorale.

Quand Mélenchon accueille par « La République, c’est moi » des policiers venus perquisitionner au siège de son parti, il est dans la même veine que Donald Trump justifiant, lors d’une perquisition du FBI, la présence dans son garage de documents classifiés: « Je suis Président, donc si je décide de déclassifier ces documents, ils sont déclassifiés. » En fait, il n’était plus Président, sauf dans sa tête.

Il y a quelque chose de paradoxal à constater tant de comportements trumpo-mélenchonistes, alors qu’il n’y a aucun courant direct entre les deux personnages. Quoiqu’en 2017, le candidat Jean-Luc Mélenchon avait déclaré, à propos des différends commerciaux avec les États-Unis: « [si j’étais élu] je me réjouirais de traiter avec Donald Trump, il se place du côté des Américains, moi je me place du côté des Français, en quelques jours nous réglerions les questions du Tafta et Ceta. » Comme l’a expliqué (sans grande originalité) Donald Trump, « le meilleur accord est celui dans lequel chacun trouve ce qu’il veut ».

Finalement, Mélenchon a peut-être lu L’Art du deal, mais, par la suite, ce que leader de LFI a dit de plus aimable sur le Président américain a été de le traiter de « dingo fascisant ». Il n’y a pas eu de réciproque, Donald Trump n’a certainement jamais entendu le nom de Mélenchon. Il sait en revanche qui est Marine Le Pen, mais seulement parce que ce nom lui a souvent été cité dans des questions sur ses rapports avec la droite nationaliste européenne. Pourtant, elle a été la première en France à le féliciter après sa victoire en 2016 et la dernière à reconnaître sa défaite en 2020  – il a fallu les événements du 6 janvier de l’année suivante pour qu’elle s’y résolve. Marine Le Pen avait essayé de le rencontrer, en 2016, en s’installant dans la cafétéria de la tour Trump, mais le maître des lieux n’avait pas été intéressé. D’une manière générale, les candidats américains en campagne ont peu d’intérêt pour ce qui se passe hors des frontières. Il n’en est apparemment plus de même dans l’après-présidence, puisque, au début de l’année 2022, Donald Trump a manifesté un intérêt soudain pour la campagne présidentielle française et a choisi son candidat: Éric Zemmour. Il lui prodiguera directement ses encouragements et ses conseils, au cours d’un entretien téléphonique de quarante minutes, qui a été une sorte d’adoubement. C’est un renvoi d’ascenseur, puisque Zemmour le cite abondamment dans son livre programme, dont la couverture est inspirée d’une affiche de la campagne Trump. Il lui a emprunté l’idée de construire un mur aux frontières de l’Union européenne, comme le Président américain avait commencé à le faire à la frontière mexicaine. Il reprend mot pour mot certaines de ses sorties les plus controversées: Trump accuse l’immigration mexicaine d’envoyer aux États-Unis « des violeurs et des criminels », Zemmour qualifie les mineurs sans papiers de « violeurs, criminels et assassins ». Tout cela relève d’un autre principe énoncé par Donald Trump : « En un mot, la controverse paie. » En fait, elle ne paie pas toujours, Éric Zemmour a sans doute été flatté d’être surnommé le « Trump français » dans la presse, mais pour que la comparaison fût pertinente, il eût fallu une victoire électorale, au moins une!

Au-delà du cas Zemmour, tout comme Trump, l’extrême droite française a réussi à mettre les partis de la droite traditionnelle au pied du mur, si l’on peut dire, sur le thème de l’immigration. Donald Trump a bien saisi le côté passionnel de ce dossier et son retentissement dans l’opinion. Aussi bien aux États-Unis qu’en France, environ les deux tiers de la population ne sont pas satisfaits par la politique d’immigration. Or, comme le dit Donald Trump, « quand vous avez de bons sondages, vous pouvez dire n’importe quoi ».

Donald Trump est un champion d’une forme de manipulation émotionnelle qu’il a définie ainsi: « Mon influence vient de ce que je confirme l’expression de ce qu’ils [les électeurs] sont prédisposés à croire. » En 2016, l’année de sa victoire, le dictionnaire d’Oxford a couronné comme mot de l’année post-truth, la « postvérité ». C’est un phénomène selon lequel une fausse nouvelle aurait plus d’impact que les faits réels quand elle a un écho émotionnel sur ceux qui la reçoivent. En France, à l’occasion de la réforme des retraites, on a vu comment le concept de justice, émotionnel, l’a emporté sur la réalité des chiffres. Le sentiment que cette réforme met littéralement les Français en péril est illustré par le vocabulaire d’un député de LFI qui traite le ministre du Travail « d’assassin »; il se rétractera, mais ce qui est dit est dit. Au lendemain de la promulgation de la loi sur les retraites, Jean-Luc Mélenchon traite Emmanuel Macron de « voleur de vie ». Plusieurs députés LFI affirment que 25% des travailleurs les plus pauvres meurent avant l’âge de la retraite, soit 62 ans. Il s’agit d’une interprétation erronée d’une étude de l’Insee qui compare la mortalité par tranches sociales. Les 25% d’hommes qui meurent avant 62 ans appartiennent à une catégorie marginale dont le revenu mensuel est de 460 euros, qui ne sont pas concernés, hélas! par le problème des retraites. Mais l’analyse de ces chiffres n’a pas le même impact que l’affirmation de départ: le travail tue. Encore une truthful hyperbole.

Il ne faut pas oublier que la campagne présidentielle américaine de 2016 se déroule juste quelques mois avant celle de la France. La victoire de Trump aux États-Unis en novembre ne démontre-t-elle pas que, grâce à la vox populi, tout est possible en France au mois de mai de l’année suivante? Marine Le Pen exulte: « Le peuple américain en colère a donné une leçon aux élites », dit-elle dans le Journal de 20 h de France 2. Elle a d’ailleurs des raisons de se réjouir, puisque dix jours plus tard, la célèbre chroniqueuse internationale de CNN Christiane Amanpour se demande: « Marine Le Pen sera-t-elle la prochaine Présidente française? » On voit apparaître dans la presse française des titres affolés sur la possibilité d’un duel Le Pen-Mélenchon.

Les états-majors politiques se penchent sur la méthode Trump, ce qui est facile puisque lui-même l’explique par son aptitude à communiquer directement avec les électeurs. « Sans Twitter, je ne serais pas là », dit-il en avril 2017 dans une interview au Financial Times. Quelques semaines plus tard, la France élit Emmanuel Macron, un candidat qui, tout en étant politiquement aux antipodes de Donald Trump, est celui qui a maîtrisé le mieux les nouveaux moyens de communication.

Extrait du livre de Anne Toulouse, « L'art de trumper Ou comment la politique de Donald Trump a contaminé le monde », publié aux éditions du Rocher

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