La France, nouvelle terre d’émigration ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des étudiants participent à la manifestation contre la réforme des retraites.
Des étudiants participent à la manifestation contre la réforme des retraites.
©Emmanuel DUNAND / AFP

Quitter l'Hexagone

Selon un sondage OpinionWay pour EconomieMatin et Taïga, 54 % des jeunes Français âgés de 18 à 24 ans sont déterminés à quitter la France en raison du climat politique et économique. Le solde migratoire des Français est passé de moins 50.000 en 2006 à moins 150.000 en 2018.

Jean-Paul Gourévitch

Jean-Paul Gourévitch

Jean-Paul Gourévitch est écrivain, essayiste et universitaire français. Il a enseigné l'image politique à l'Université de Paris XII, a contribué à l'élaboration de l'histoire de la littérature de la jeunesse et de ses illustrateurs par ses ouvrages et ses expositions, et a publié plusieurs ouvrages consacrés à l'Afrique et aux aspects sociaux et économiques de l'immigration en France. Il a notamment publié La France en Afrique 1520-2020 (L'Harmattan), La tentation Zemmour et le Grand Remplacement (Ovadia 2021), Le coût annuel de l'immigration (Contribuables Associés 2022).

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Atlantico : Selon les chiffres de l'INSEE, le solde migratoire de la France est passé de -50 000 en 2006 à -150 000 en 2018. Que vous inspire ce constat ?   

Jean-Paul Gourévitch : Nous avons maintes fois démontré, et tout récemment encore dans la monographie de Contribuables Associés sur « le coût de l’immigration en 2023 » en France, que le solde migratoire, tel qu’il est calculé par l’INSEE, est une manipulation.

L’INSEE se contente en effet de retrancher le nombre de ceux qui partent du nombre de ceux qui arrivent comme si ces deux flux étaient qualitativement identiques. Par ailleurs il ne décompte que les entrées de migrants légaux (premier titre de séjour délivré), ignorant les demandeurs d’asile en cours d’examen, les mineurs non accompagnés et les migrants non passés par la case demandeurs d’asile.  Une analyse scientifique sérieuse doit différencier le « solde migratoire de l’immigration » (immigrés qui arrivent moins immigrés qui repartent) du « solde migratoire de l’expatriation » (autochtones qui partent moins autochtones qui reviennent).

Sur une base pluriannuelle moyenne, hors pandémie COVID, les calculs que nous avons fait positionnent le solde migratoire de l’immigration à un étiage annuel minimum de 150 000 personnes. Celui de l’émigration[1] est beaucoup plus difficile à calculer faute d’un outil statistique performant mesurant à la fois les flux de sorties du territoire et de retours, et parce que le Registre mondial des Français établis hors de France (1.614.772 inscrits au 31/12/2021) censé évaluer les stocks, ne décompte que ceux qui ont bien voulu se soumettre à cette procédure recommandée mais non obligatoire. La dernière étude que nous avons conduite (2013) mériterait d’être réactualisée. Elle concluait à un solde de l’expatriation de 80 000 personnes avec une augmentation annuelle d’environ 4,6% par an.

Qui sont ces Français qui émigrent ? Pourquoi sont-ils de plus en plus nombreux ?

Les motivations de ces Français ont été longuement analysées dans les publications de Contribuables Associés  et sont très diverses :  émigration entrepreneuriale et de main d’œuvre, étudiante, immobilière et retraitée, fiscale. Cette dernière est toutefois moins importante qu’on ne le croit, en raison notamment du remplacement de l’ISF par l’IFI, et du renforcement de la traque à l’évasion fiscale. Même si la France est avec le Danemark le pays le plus imposé de l’Union Européenne, comme l’a reconnu le chef de l’Etat en juillet 2022 avec un taux officiel de prélèvements obligatoires de 47,5% du PIB, la motivation économique ne nous semble pas décisive.

On a vu depuis une quinzaine d’années apparaître de nouvelles  formes d’émigration : émigration politico-religieuse qui touche majoritairement une population de confession juive inquiète pour sa sécurité ;  émigration  de militants désireux de s’engager dans les conflits pour la libération de pays en guerre ou le triomphe de  leur idéologie;  émigration humanitaire pour aller secourir des populations en difficulté ;  émigration judiciaire pour trouver refuge dans un pays où on ne risque pas d’être extradé ; émigration de déréliction enfin,  quand on se sent étranger dans un pays qui ne ressemble  plus à celui dans lequel on a vécu, dont on accepte mal  les mutations,  où  on hésite  à s’investir durablement, et où on considère que  sa vie ou l’avenir de ses enfants sont menacés.

Au Royaume-Uni, ce sont les blancs diplômés qui s'en vont car ils ne supportent plus le multiculturalisme des grandes villes britanniques. Assiste-t-on au même phénomène en France ?

Effectivement un article du Nouvel Economiste du 16/12/2022 laissait entendre que ce sont majoritairement les autochtones, les diplômés et les jeunes qui constituent les bataillons principaux des quelques 500 à 600 000 personnes qui quittent le pays chaque année. Mais il faut se garder des généralisations hâtives. Tout d’abord les premiers à partir, et l’article le souligne clairement, sont les citoyens européens qui s’y étaient installés. Conséquence naturelle du Brexit. En second lieu l’effet d’attraction de pays anglophones comme le Canada, les Etats-Unis ou l’Australie où les candidats à l’émigration se sentiraient « un peu chez eux » n'est pas à négliger. Aujourd’hui le Royaume-Uni, historiquement pays d’émigration est devenu un pays d’immigration avec plus d’un million de nouveaux entrants par an ce qui pose des problèmes avec la population de souche qui sont toutefois moins aigus et moins concentrés qu’en France. Dans cette perspective, le rejet du multiculturalisme ne me parait pas être une motivation prioritaire au départ.

Selon un sondage Opinion Way pour EconomieMatin et Taiga, 54% des jeunes Français de 18 à 24 ans sont déterminés à quitter la France en raison du climat politique et économique. Faut-il s'en inquiéter ? 

Le sondage que vous citez, daté du 21 décembre 2023, indiquait qu’à la question posée : « Au regard du climat politique et de la situation économique actuelle du pays, seriez-vous tenté de quitter la France ? ».  69% des Français ont répondu par la négative, mais chez les 18/24 ans, la proportion serait inversée avec 54% de réponses positives. Ce sondage ne porte toutefois que sur 1006 personnes « représentatives », ce qui autorise une large prudence dans l’interprétation des résultats. D’autant plus qu’être « tenté » ne veut pas dire être « déterminé ».

Quelle politique adopter pour que les jeunes Français croient en leur avenir dans leur pays ? 

Selon ce sondage, c’est dans l’électorat de Jean-Luc Mélenchon, de Marine Le Pen, d’Eric Zemmour et chez les abstentionnistes qu’on trouve le plus de candidats potentiels à l’émigration, ce qui n’a rien d’étonnant puisqu’ils proviennent de camps d’opposants. Plus généralement le divorce entre la jeunesse d’un pays et ses gouvernants est une constante de la vie politique française et le fait d’avoir un Président dynamique et dans la force de l’âge n’a visiblement pas suffi à réduire l’écart. Quant à définir les contours et les méthodes d’une politique qui réconcilierait les jeunes Français avec leur pays, c’est un travail de réflexion et de propositions que personne ne doit faire seul et qui ne peut entrer dans le cadre de cet article.


[1] Nous assimilons ici les termes « émigration » et « expatriation » même si le second est plus affectif et moins décisif que le premier

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