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La France malade de son obsession pour la réduction des coûts : comment la crise est venue à enfermer l’économie française dans une dangereuse mentalité déflationniste
©Reuters

Anti-plan de relance

82% des entreprises française font de la réduction de coûts leur objectif prioritaire pour 2016 selon un sondage publié par AgileBuyer et X-Achats, soit une hausse de 5 points au cours de la dernière année. Une tendance qui ne fait que traduire l'installation d'une mentalité déflationniste au sein du pays, avec ses effets destructeurs à long terme.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Selon un sondage publié le 3 janvier par AgileBuyer-XAchats (voir ici), 82% des "départements achats" considèrent la réduction de coûts comme un objectif prioritaire pour l'année 2016, soit une hausse de 5 points par rapport à 2015. Peut-on en conclure qu'après plusieurs années de crise, une certaine mentalité de contrôle des coûts s'est imposée en France ?

Nicolas Goetzmann : La France, comme l'ensemble de la zone euro, se soumet naturellement à un contexte, qui est celui de la crise. Lorsque chacun tente de réduire ses coûts afin de faire face à ses obligations, l'effet agrégé est une pression sur les ventes de chacun, et logiquement, en bout de course, sur les prix. Et l'émergence de cette mentalité déflationniste a des répercussions sur l'ensemble de l'économie. Car dans un système sain, la compétition entre entreprises se fait sur l'innovation et l'investissement, et non pas sur le serrage de vis budgétaire. Il est donc assez logique de constater, en miroir de cette volonté de réduire les coûts, un effondrement de l'investissement dans le pays. Depuis le 1er trimestre 2008, l'investissement a chuté de 2,8% en France en valeur nominale. Ce qui traduit une croissance négative sur un total de 8 années alors que l'investissement est le réservoir du potentiel de croissance future.

Le plus sidérant ici, c'est de voir que ce type de comportement est en train de s'ancrer durablement dans le pays, alors qu'il s'agit d'un piège anti-croissance à terme. Il ne s'agit pas de prétendre que le contrôle des coûts n'a aucune vertu, mais de mettre en garde une économie qui en fait sa priorité, l'alpha et l'omega de son mode de fonctionnement. A terme, ces entreprises qui se consacrent pleinement à cette belle activité vont se trouver en concurrence avec des entreprises qui misent toute leur production sur l'innovation, et ces dernières vont enterrer définitivement les premières. Il s'agit clairement d'une mentalité de perdants.

L'économie française n'a-t-elle pas intérêt à voir dominer une telle orientation ? En termes globaux, quels sont les effets de ce type de comportements ?

Encore une fois, la maîtrise des coûts au sein des entreprises est une tendance normale et naturelle, mais elle ne peut être l'objectif prioritaire. Il s'agit d'une attitude de sauvegarde alors que l'économie de marché est censée être le lieu de la prise de risque et de l'investissement dans l'avenir. Au cours de ses années de déflation, entre 1997 et 2012, le Japon a vu s'installer ce type de mentalité dans le pays, ce qui a produit des effets plus ou moins inattendus. Les dirigeants qui parvenaient à s'imposer, ceux qui étaient promus, étaient ceux qui avaient cette tendance naturelle à la réduction de voilure, alors que les profils adaptés à une économie en expansion sont des personnes à l'aise avec la prise de risque. Ce qui signifie que ce type de phénomène à tendance à s'auto-alimenter.

L'économie française a peut-être besoin de faire attention aux coûts, mais il est surtout primordial qu'elle s'attaque à la concurrence internationale par la face nord, c’est-à-dire par l'innovation, qui est la composante majeure de la croissance future. Cependant, en termes macroéconomiques, cette réalité actuelle n'est que le symptôme d'une longue crise de la demande. Lorsque les entreprises font une croix sur la croissance de leurs ventes, alors il ne reste plus que la compétition pour un marché dont les ventes stagnent, c'est une compétition sur les prix. La situation actuelle d'une inflation durablement basse est la traduction macroéconomie de ces comportements.

Quelle en serait l'alternative envisageable ? Quels sont les moyens à la disposition des pouvoirs publics permettant de renverser cet état de fait ?

L'alternative repose deux points. Le premier, le plus important, c'est une relance de la demande intérieure de l'économie de la zone euro. Le continent connaissait une croissance totale annuelle des dépenses de 4% entre 1995 et 2007, c’est-à-dire que les entreprises se battaient pour capter une part de cette croissance. Depuis 8 ans, ce chiffre a chuté à un rythme d'environ 1%, il s'agit d'un bouleversement pour les entreprises qui doivent donc se partager un quart de la croissance passée. La Banque centrale européenne a les moyens de rétablir le contexte antérieur, en menant une véritable politique monétaire expansionniste, ce qui obligerait les entreprises à changer d'attitude et à devenir plus offensives : embaucher, investir, innover, et ainsi créer une cercle économique vertueux qui permettrait de réorienter l'économie à la hausse. Le second point concerne le contexte local, c’est-à-dire la législation. Les entreprises françaises doivent pouvoir compter sur une stabilité fiscale et juridique, notamment sur les questions du droit du travail. Là aussi, il s'agit de capacité d'anticipation. Ce climat d'incertitude fiscale et juridique freine les capacités d'investissement des entreprises.

Ainsi, le renversement de tendance passe à court terme par la Banque centrale et la stabilité juridique, et à long terme par l'innovation des entreprises. Puisque tout dépend des anticipations des entreprises. Lorsque celles-ci ne peuvent pas compter sur une croissance suffisante de la croissance nominale, qui doit être assurée par la Banque centrale, alors l'environnement est trop incertain pour qu'elles puissent se lancer dans des stratégies de conquêtes. Une relance des dépenses d'investissement en infrastructure de la part de l'Etat ne serait pas non plus inutile. En plus de profiter d'un contexte à taux zéro pour l'endettement, ce type de dépenses permet à l'Etat de contribuer à l'investissement de l'économie française, et de permettre une amélioration du potentiel de l'économie française. Parce qu'un contexte de déflation, c'est l'assurance à terme d'une économie dominée par cette mentalité de comptable, alors que le pays a plutôt besoin de l'inverse.

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