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La France, élève modèle sur le front du (non) creusement des inégalités économiques
©Reuters

Chiffres

Dans un contexte marqué par la publication de l’ouvrage de Thomas Piketty, "Capital et idéologie", et d’une résurgence de la question des inégalités de patrimoines dans le débat public, la situation française mérite d’être traitée à part, tant elle diffère de celles d’autres pays de plus en plus inégalitaires.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Le thème des 1% (les plus riches) s’est imposé dans le débat politique américain comme un thème fondamental pour les élections de 2020.

Atlantico.fr : En quoi est-ce moins un sujet dans le cas de la France ? Quelle part de richesse possèdent ou gagnent les 1% les plus riches (en termes de patrimoine et de revenus) en France ? Comment leur richesse a-t-elle évolué dans le temps ?

Michel Ruimy : Cette absence de prise en compte résulte, pour partie, des rapports des Français avec l’argent. La différence de comportement avec les pays anglo-saxons, notamment les États-Unis,est, avant tout, culturelle et s’explique par l’histoire.

Aux États-Unis, sont riches ceux qui ont travaillé et réussi. En France, avant la Révolution française, sont riches ceux qui sont nés riches. De plus, la vision protestante et catholique de la richesse sont très différentes. En France, pays de tradition catholique, il fallait payer ses indulgences. Il était bien vu de donner son argent aux pauvres. La richesse s’accompagnait, dans une certaine mesure, d’un sentiment de culpabilité. En revanche, dans les pays protestants, est riche celui que Dieu laisse réussir dans ses affaires. Si un individu est riche, c’est que Dieu le lui permet et qu’il doit donc bien l’aimer un peu.

Aujourd’hui, ces éléments sociologiques sous-jacents jouent encore un rôle non négligeable. Avoir de l’argent en France, c’est mal… surtout lorsque ce sont les autres qui le possède. C’est pourquoi beaucoup de Français considèrent l’argent comme un sujet tabou : il est mal vu d’afficher sa réussite en France et une personne riche n’est pas forcément très honnête. En fait, les Français peinent à se libérer de deux pensées qui diabolisent l’argent : leur éducation judéo-chrétienne et l’empreinte laissée par le marxisme… ce qui ne les empêchent pas parallèlement d’aspirer à devenir riches de plus en plus ouvertement… au point de juger compréhensible de quitter l’Hexagone pour payer moins d’impôts ! 

Ainsi, on peut éventuellement envier les riches, mais on ne les aime pas.Force est de constater que la richesse possède un statut un peu particulier en France.Pour toutes ces raisons, qui ne sont pas exhaustives, les questions de richesse ne sont pas abordées lors des élections, à la différence des États-Unis.

Pour rejoindre le club très fermé des « 1% », ces Français qui gagnent plus que 99% de leurs concitoyens, une personne devait déclarer, en 2015, selon l’INSEE, 30% deses revenus tirés de son patrimoine et percevoir, au moins, 106210 euros par an, soit 8850 euros brut par mois pour une personne seule. Autrement dit, le centième de la population la plus riche gagnait près de 7 fois plus que l’ensemble de la population ! L’analyse de la structure de leur patrimoine sur la période 1970 - 2014 montre que les actifs financiersont pris une part de plus en plus prépondérante dans leur fortune, en lien avec la hausse des cours boursiers.

Sur les questions de patrimoine, lorsqu’on prend une autre échelle, par exemple, les 10% les plus riches, on remarque qu’il n’y a pas eu, au niveau mondial, d’augmentation de la part du patrimoine qu’ils possèdent depuis 2000, selon l’analyse du Crédit suisse. Est-ce aussi le cas en France ? Pourquoi alors se concentrer sur les 1% ?

Si les inégalités de revenus restent modérées en France grâce à l’effet redistributif des transferts fiscaux et sociaux, les écarts de patrimoine sont, par contre, importants entre les 10% les plus démuniset les 10% les plus fortunés.Ce décalage ne fait que se renforcer avec le temps puisque la valeur du patrimoine des plus riches (à partir du 4èmedécile) a doublé en près de 20 ans alors que, sur la même période, le patrimoine des 10% de ménages les plus modestes a baissé, en moyenne, de plus de 30%.

Par ailleurs, le suivi du patrimoine des Français permet de rendre compte de plusieurs réalités. Sa connaissance met en évidence les structures sociales et économiques d’un pays à une époque donnée et les inégalités en découlant. En analysant son évolution, il est également possible de discerner les phénomènes de concentration ou de délitement des patrimoines au fil des âges et l’accroissement de ces inégalités. Enfin, les analyses des structures patrimoniales combinées à des études sociologiques et historiques permettent d’anticiper l’émergence de conflits sociaux au sein d’un pays (révolutions, guerres, conflits sociaux d’envergure…). Dès lors, le suivi temporel de l’enrichissement des 1%, en termes des revenus et de patrimoine, peut être appréhendé comme un indicateur d’inégalités (captation de la richesse au détriment du reste de la population). Mais il n’est pas le seul.

Le débat public tourne beaucoup autour de ces questions d’inégalités. N’est-ce pas extrapoler une réalité étrangère à la réalité française ? 

Oui, dans une certaine mesure, bien qu’il faille rester vigilant. Traiter les inégalités à l’échelle globale est une chose. Traiter du même sujet en France, c’en est une autre, tant les passions qui entourent le sujet peuvent enflammer le débat public.

S’il faut comprendre le contexte global des inégalités et l’environnement dans lequel la France s’inscrit, il convient aussi de prendre en compte les particularités hexagonales. Autrement dit, il est nécessaire de détacher les perceptions des inégalités de la réalité, sans pour autant minimiser les faits.

Ainsi, dans une perspective historique, la situation relative de la France est plutôt favorable. En effet, l’indice de Gini qui mesure les inégalités place, en 2015,notre pays, malgré certaines évolutions au cours du temps, en dessous de la moyenne OCDE, loin derrière les États-Unis, le Royaume-Uni ou encore la Chine ou l’Afrique du Sud, pays le plus inégalitaire au monde. De manière plus précise, les inégalités de niveau de vie n’explosent pas en France et la tendance est, comme pour la pauvreté, à la stabilisation.

Pourtant, ces dernières années, l’accent a été mis sur la récente reprise à la hausse des inégalités de revenus et de la concentration du patrimoine. On touche là, certainement, un élément clé du problème français : la déstabilisation récente des classes moyennes. Cette nouvelle croissance des inégalités de patrimoine, moins accentuée que dans la plupart des autres pays de l’OCDE, traduit, comme partout, les conséquences des transformations du capitalisme et de l’économie numérique, mais également du vieillissement et des évolutions des systèmes socio-fiscaux.

En outre, fait plus marquant et ancré dans l’actualité, les territoires sont inégaux : ils le sont entre eux et en leur sein. Selon le Commissariat général à l’égalité des territoires, les disparités entre zones d’emploi ont eu tendance à se réduire légèrement lors des dernières décennies. Pour ce qui concerne les inégalités au sein des territoires, un indicateur de Gini a été calculé, pour 2015, par l’Observatoire du bien-être (Cepremap), pour différentes zones. Il montre que Paris est l’agglomération la plus inégalitaire, avec un coefficient de Gini comparable à celui du Brésil et que les communes rurales présentent un indice similaire à celui de la Suède. De fait, comme dans de nombreux de pays occidentaux, les inégalités et la pauvreté sont plus élevées dans les zones les plus urbanisées.

Comment expliquer la spécificité française par rapport aux autres pays développés ?

Du côté des inégalités et de la pauvreté, la France se porte plutôt bien comparée au reste du monde mais,plus particulièrement, aux nations qui lui sont « comparables ». Pour autant, le pessimisme des Français est élevé, tant sur les inégalités du passé que sur leurs évolutions futures alors que l’importance des dépenses sociales, qui dépassent les 30% du Produit intérieur brut, en fait la singularité de la France ! Ceci est illustré régulièrement par certains sondages réalisés autour des inégalités. Ceux-ci montrent que les Français répondent, de manière systématique, qu’elles ont augmenté et que cette tendance se confirmera dans un proche avenir.

Ce niveau d’inquiétude s’explique par plusieurs facteurs. D’abord, certaines franges de la population ont de bonnes raisons de s’inquiéter. Il en va ainsi des jeunes et, par construction, de leurs parents lorsqu’ils s’interrogent sur l’avenir de leurs enfants. Ensuite, peut-être existe-t-il une forme particulière de « lamento » à la française : les Français sont inquiets de perdre ou de voir s’éroder des institutions et positions auxquelles ils pouvaient traditionnellement accéder. En un mot, ils considèrent, à tort ou à raison, avoir des « choses à perdre » à la différence de populations d’autres États membres de l’Union européenne, qui peuvent estimer d’abord avoir des « choses à gagner ».

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