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La France a bombardé le fief de l'Etat islamique en réponse aux attentats.
La France a bombardé le fief de l'Etat islamique en réponse aux attentats.
©Reuters

Les temps changent

Après les attentats du vendredi 13 novembre, certains sujets sources de divisions des grandes forces politiques vont permettre de faire naître une forme de consensus. Un accord que l’opinion publique réclame et attend.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : A l'aune des évènements du vendredi 13 novembre, les différences entre les grandes forces politiques vont-elles persister ou certains sujets peuvent-ils faire naitre une forme de consensus ?

Jean Petaux : François Fillon a dit ce soir sur le plateau du journal de 20h de France 2 que la réunion du Congrès à Versailles avait été d’une exceptionnelle dignité et que cela tenait tout à la fois au niveau discours du président de la République et à l’attitude de la représentation parlementaire, plus particulièrement parmi celle-ci, l’opposition. C’est certainement un témoignage fondé. Peut-on pour autant parler de consensus ? Je ne le pense pas. Ce qui est manifeste en revanche c’est que le président de la République, par la teneur de son discours, a "fermé" une bonne partie des espaces normalement et politiquement disponibles pour la droite. Nombre des propositions formulées par Nicolas Sarkozy (qui, de par son absence au Parlement, n’a pas été en mesure de répondre au chef de l’Etat, laissant un Christian Jacob vraiment très médiocre ânonner péniblement un discours de comice agricole) ont été reprises par François Hollande qui a multiplié les annonces. Quant au passage sur les nouvelles créations de postes pour les "ministères de sécurité" elles ne peuvent que faire contraste avec les dispositions adoptées entre 2007 et 2012 quand il s’agissait de ne pas renouveler un départ en retraite sur deux. Globalement la droite ne peut que reconnaitre que François Hollande "a fait le job" au Congrès, quant à la gauche elle est purement et simplement coincée. Même Cécile Duflot pourtant prompte à décocher ses flèches contre l’exécutif a été forcée de confirmer son soutien au président de la République lorsque les circonstances l’exigent et l’exigeront à l’avenir.

Alors ? Peut-être pas consensus, mais certainement consentement. Même si c’est en maugréant. Impossible de faire autrement.

>>> Lire aussi - Une nouvelle ère politique... Combien de temps la prise de conscience durera-t-elle ?

Certains dossiers, qui paraissaient importants hier, peuvent-ils devenir dérisoires aujourd'hui ?

Incontestablement oui dans la séquence actuelle et sans doute jusqu’à la trêve de Noël. Pour autant François Hollande n’a pas abandonné non plus le terrain économique. Le passage de son discours sur le volet européen résumé dans la formule "le pacte de stabilité doit laisser la place au pacte de sécurité" est très habile. Tout comme la demande faite à la Commission européenne de sortir les dépenses liées à la sécurité et à la défense pour les missions que la France assure seule sur des OPEX menées pour le compte de l’UE est une excellente manœuvre. On estime ces dépenses (qui, pour le coup ne sont pas consacrées qu’à la France) à plus d’un milliard d’euros : voilà qui pourrait fajre baisser au moins optiquement et mécaniquement notre déficit budgétaire et contribuer à nous ramener "dans les clous" du "moins de 3%"…

Plus généralement il est parfaitement logique que des dossiers et des thèmes qui pouvaient sembler importants en période de basse intensité terroriste perdent relativement en impact lorsqu’on relève 129 morts dans les rues de Paris. C’est un peu comme quelqu’un qui serait obsédé par une verrue jusqu’à ce qu’il découvre qu’il a un cancer de la peau à un stage avancé. 

Quelle campagne possible pour les primaires des différents partis politiques ?

Pour l’instant il n’y a de prévu que les primaires au sein de la droite républicaine. Le PS a déjà un candidat, il l’est de plus en plus, c’est le président en place. Les Ecologistes sont une situation catastrophique que ne devrait pas améliorer leur prestation à venir aux Régionales et la gauche de la gauche est, pour l’heure, en voie de marginalisation accentuée. Reste donc la droite. La séquence actuelle ne change guère les positions acquises par les principaux concurrents de la droite : Sarkozy, Juppé, Le Maire, Fillon et quelques autres. Ils s’expriment, oscillant entre une "unité nationale" acceptée (Juppé, Fillon) et une "solidarité nationale" subie (Sarkozy, Le Maire. Cette dernière notion, plutôt flou et fourre-tout permet de critiquer sur le perron de l’Elysée et de demander à ses lieutenants de soutenir dans les travées du congrès...) Mais comme ni Sarkozy ni Juppé ne sont parlementaires, la tribune du Congrès n’est pas pour eux… Leur absence les prive d’une scène où ils auraient peut-être pu faire entendre leurs analyses différentes à défaut d’être vraiment divergentes. 

A-t-on des exemples similaires dans l'histoire récente, ou plus ancienne, où les partis politiques ont trouvé des "accords" sur certains sujets ?

Cela advient plus souvent qu’on ne le pense. Pour le Traité Constitutionnel Européen, en mai 2005, l’UMP et une partie du PS (la majorité) étaient sur la même ligne… Celle du "Oui" et c’est le "Non" qui l’a emporté. Pour le référendum sur le Traité de Maastricht, en septembre 1992, François Mitterrand d’un côté et Jacques Chirac de l’autre ont défendu le "Oui" quand Philippe Seguin (RPR) était avec Charles Pasqua un des leaders du "Non". Mais plus consensuellement, en dehors du PCF et de Jean-Pierre Chevènement qui devait d’ailleurs démissionner du gouvernement en tant que ministre de la Défense lors de cette séquence, c’est en 1990-1991 pour la première guerre du Golfe et l’opération "Tempête du Désert" (avec son volet français : "Daguet") que toutes les forces politiques ont pratiqué "l’union sacrée" pour la première entrée en guerre, officielle, de la France depuis 1945 (les "événements d’Algérie" de 1954 à 1962 ayant été totalement niés comme "actes de guerre" par la France pendant des décennies…). Au plan politique on peut aussi citer les suites du 21 avril 2002, lorsque Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen se sont retrouvés "finalistes" de la présidentielle. Là, hormis le FN et accessoirement Lutte Ouvrière, toutes les forces politiques françaises ont appelé à voter Chirac qui a dépassé les 82% des suffrages exprimés… Avec une participation dépassant les 79% au second tour de la présidentielle, en progression de 8 points par rapport au premier tour…

Donc, on le voit, lorsque les circonstances semblent l’exiger, lorsque la "pression sociale", amplifiée par la dramatisation médiatique, s’associe à la convergence de certains choix politiques, alors une "amorce d’union sacrée" ou de "simili grande coalition" voit le jour. Mais cela n’a rien à voir avec la culture de la "Gross Koalition" que nos voisins allemands ont érigé au statut d’œuvre d’art…

L'opinion publique est-elle justement en attente de consensus et sur quels dossiers ?

Pour ce qu’en disent les sondages l’opinion publique est assez contradictoire et paradoxale sur la question du consensus sur certains dossiers. En fait tout dépend des enjeux. Il est clair que face à un danger extérieur, face à une menace terroriste, face aux tirs aveugles de tarés profonds, sadiques et pervers, l’opinion publique réclame, à bon droit, que ses représentants politiques soient à la hauteur de cet enjeu. Qu’ils ne se comportent pas comme de simples "commentateurs" fonctionnant au fil de l’eau et à la petite semaine, "emmurés" dans leurs pauvres certitudes idéologiques et dans le seul souci de dire "noir" quand l’autre dit "blanc", histoire d’exister et de se différencier. Mais cette quête de consensus est souvent fugace et éphémère. La passion française du débat politique pour le débat politique, qui remonte aux tribus gauloises parcourues de discussions interminables, reprend très vite le dessus. Et le clivage "droite / gauche", vieille grille de lecture de la vie politique française retrouve tout son lustre. Souvenons-nous du constat du général de Gaulle sur la difficulté de gouverner un pays comme la France avec une telle variété de fromages !

A la suite de l'émission "Des paroles et des actes", quels éléments saillants ressortent du corps politique invité ?

Rien !... Et c’est bien le plus grave. Si on veut le dire autrement : il ressort du corps politique invité la même faiblesse que celle qui était la sienne dans les années 30 ou dans la majeure partie des années 50… Pas de quoi être rassuré finalement.

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