La double vie des escorts : quand la discrète étudiante en lettres devient une prédatrice à hommes fortunés<!-- --> | Atlantico.fr
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"Il ne faut pas se mentir. La plupart du temps, il s’agit de coucher" avec les clients, témoigne une escort girl.
"Il ne faut pas se mentir. La plupart du temps, il s’agit de coucher" avec les clients, témoigne une escort girl.
©Reuters

Bonnes feuilles

Sabrina raconte sa vie d'escort girl et le chemin qui l'a menée jusqu'à la prostitution volontaire. Extrait de "Escort" (1/2).

Sabrina Sabrina

Sabrina Sabrina

Sabrina est une escort girl.

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On est au Cab, près du musée du Louvre, un resto luxueux qui fait aussi boîte de nuit. C’est la fête d’anniversaire d’un ami. On s’amuse et on se montre, on danse et on refait le monde. Je m’assieds sur la banquette auprès d’une superbe fille qui ne me ressemble en rien. Elle mesure 1,75 mètre quand j’interdis à quiconque de dire que je tiens plus de Salma Hayek que d’Uma Thurman. Je ne peux pas encore me payer ces paires de Louboutin de 12 centimètres qui, bientôt, me permettront de me hausser au-dessus de ces détestables polémiques.C’est une brune à la peau blanche, au teint laiteux, au regard clair et aux seins menus quand je dois bien avouer que je bronze à la lueur des réverbères, que je suis plus bomba latina que nordique anémique et que l’opulence de mes avantages est très nature. Elle ressemble à Isabelle Adjani dans ses premiers films, Adèle H ou L’Eté meurtrier.

Elle a 19 ans comme moi, et se prénomme Livia. Elle m’intéresse comme peut vous tirer l’oeil et vous fasciner une amie à l’aise dans tous les milieux, une soeur sortie de sa gangue d’enfance, une jumelle perdue de vue qui aurait été placée dans une famille d’accueil et aurait développé d’autres talents. Sa manière d’être et ses façons de faire m’intriguent. Je cesse de papillonner et de disperser mon attention et je me concentre sur elle. Je découvre ses attitudes de prédatrice qui me seront bientôt naturelles. Elle a le regard hautain et impérieux à la fois, l’oeil qui toise et aguiche, méprise et attise d’un seul éclat, la moue dubitative et engageante comme si l’envie suscitée la faisait doucement rigoler, tout en la laissant sûre de son pouvoir d’attraction. Elle est toute de confiance guerrière habitée, elle est dans la conquête glorieuse, agent d’une assurance sans faille. Elle sait établir des rapports de force avec les hommes et gagner le moindre bras de fer.

A la lumière du jour, au quotidien, dans les cafés près de Tolbiac où elle est inscrite en lettres, on croit avoir affaire à une étudiante comme les autres, tout juste un peu plus jolie, un peu mieux dans son corps et exploitant à la marge un potentiel de séduction encore en gestation. Et puis quand on la surprend à traquer ses proies, on n’en revient pas de la métamorphose, de cette capacité à faire exister une deuxième femme en elle, somptueuse, capiteuse, retorse, et sachant exactement comment prendre dans ses filets ces hommes bien cravatés au portefeuille débordant de billets. C’est assez fascinant à voir, surtout pour une fille comme moi, tout juste débarbouillée des bêtises de l’adolescence et des innocences d’une jeune vie sans malice, où le sexe n’a eu qu’une part assez neutre. Chez moi, c’est comme si le rapport à la séduction était resté englué dans le cocon d’une indécision propre à beaucoup de jeunes.

Changez de lunettes, chers messieurs dames qui croyez avoir enfanté des monstres lubriques ! Beaucoup d’entre nous ne sont pas forcément à fond dans le libidineux dès les premiers instants de la puberté. On est nombreux à ne pas se monter les plans les plus hot et à ne pas rêver des nuits les plus tordues, des baises les plus vicieuses. Parfois, on attend des années pour s’intéresser à la sexualité, si jamais on s’y intéresse un jour. J’imagine que ça a toujours été ainsi, que toutes les générations ont eu leur lot de gens totalement accros au sexe et de gens qui s’en fichaient comme de leur première petite culotte. Et ce n’est pas parce que aujourd’hui, on sait tout sur tout, qu’on a des cours d’éducation sexuelle à l’école, qu’on connaît l’utilité de la pilule et du préservatif, qu’on peut en parler avec les parents assez facilement, qu’on joue les vamps sur Facebook ou qu’on a vu des pornos avant d’être majeure et vaccinée, que les proportions entre les addicts et les rien à foutre ont vraiment changé.

Je ne crois pas qu’il y ait plus d’obsédés ou de nymphos qu’avant. Il y a sans doute que ceux qui en croquent le racontent plus facilement et le revendiquent plus, c’est tout… Avec Livia, on parle un peu de tout. Sa beauté et ses facilités me plaisent, mais le doute ne tarde pas à me ronger le cerveau. Comment se fait-il qu’une étudiante en deuxième année de lettres puisse balancer un sac Chanel à son bras et marteler les dancefloors des talons rouges de ses Louboutin ? D’où vient l’argent ? Où est le loup ? D’autant qu’elle ne me dore pas la pilule et ne se la raconte pas héritière d’une famille de la haute, dont les rentes pourraient lui permettre de piller les boutiques de luxe. Je commence à voir la trouée de vérité s’élargir quand je lui parle de mes recherches de petits boulots et de mon hésitation à accepter un job de masseuse, sans contact sexuel est-il spécifié, pour 50 euros la prestation.

— 50 euros ? Mais c’est rien ! C’est de l’arnaque. Et, t’inquiète pas qu’il y aura sûrement du sexe à fournir…

— Ah, bon, tu crois ? De fil en aiguille, alors que la nuit gagne et que les confidences attendrissent les méfiances, elle finit par me dire qu’il lui arrive de faire un boulot d’escort et de gagner au minimum 300 euros de l’heure. Peu au fait de l’hypocrisie des intitulés ou de la réalité de l’escorting, je la fais parler, continuant à me blottir maladroitement sous envoyer bouler au pied du lit.

— Mais, ça consiste en quoi une escort ? Tu te contentes d’accompagner des hommes d’affaires, de sortir au restaurant avec eux, de leur tenir compagnie pendant leurs voyages, leurs soirées ? Elle ne tarde pas à m’affranchir, levant le voile sur ce que je pressens sans accepter de le formuler de vive voix.

— Même s’il arrive que certains clients n’aient besoin de toi que comme faire-valoir pour une soirée ou comme alibi dans un dîner, il ne faut pas se mentir. La plupart du temps, il s’agit de coucher avec eux. Cela ne me choque en rien. Je prends cette révélation en bonne part, curieuse et excitée. Je ne sais pas si c’est le mot « escort » qui dédramatise la chose, en masquant la réalité de l’activité. Il est tout simplement possible que je sois tout à fait consciente qu’il s’agit de prostitution et que cela ne m’angoisse pas plus que ça. Je ne porte aucun jugement moral négatif sur cette activité, je ne répercute pas l’opprobre généralisé qui perdure et qu’il me faudra affronter dans quelques mois. Tout cela ne me semble pas bien important. Je dirais même que le récit de Livia me la rend encore plus fascinante. Je dois bien reconnaître que cela m’ouvre des perspectives inconnues. J’aime l’aventure et l’extrême, je suis toujours partante pour passer de l’autre côté du miroir. J’ai mordu à l’hameçon en truite de rivière. Je suis ferrée et je brûle d’aller voir comment ça se passe dans ces contrées où l’ombre est pailletée, où le secret est d’argent. Je lui dis :

— J’ai envie d’essayer.

Extrait de "Escort", Sabrina, (Editions Grasset), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.




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