"La crise environnementale (n') aura (pas) lieu : comprendre, éduquer, changer l'avenir" de Mathieu Farina<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Culture
"La crise environnementale (n') aura (pas) lieu : comprendre, éduquer, changer l'avenir" de Mathieu Farina est à retrouver aux éditions Belin.
"La crise environnementale (n') aura (pas) lieu : comprendre, éduquer, changer l'avenir" de Mathieu Farina est à retrouver aux éditions Belin.
©

Atlanti-culture

La science contre l'émotion : un levier pour changer l'avenir de la planète ?

Bertrand Devevey pour Culture-Tops

Bertrand Devevey pour Culture-Tops

Bertrand Devevey est chroniqueur pour Culture-Tops. 

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.). 

Voir la bio »

THÈME

Voici une couverture qui a son importance. Soit vous la lisez sans vous poser de question sur la couleur de trois lettres, soit vous en saisissez les nuances. C'est sur cette nuance  - (n') aura (pas) lieu - que l'écologue Mathieu Farina nous invite à réfléchir. Notre relation à la nature est culturelle. Elle nous nourrit, voire nous enchante - hommes et femmes "modernes" - alors que les "anciens" s'en protégeaient et tentaient, au cours des millénaires, de la domestiquer. Pour comprendre les résistances à "l'évidence" de la crise climatique, à ces phénomènes qui alertent les uns et laissent indifférents les autres, l'auteur nous invite à explorer nos comportements, notre psychologie pour décoder les attitudes qui marquent aujourd'hui les débats et opinions sur le réchauffement climatique et ses conséquences, les "atteintes" à la biodiversité.

Idées fausses, idées "ataviques", lectures partielles des interactions entre modernité et cohabitation avec les écosystèmes, pratiques culturelles, médiatisations douteuses, beaucoup de biais intellectuels et psychologiques influent notre perception de la crise environnementale. En se basant sur des exemples concrets - parmi d'autres exemples comme la pêche à la morue, les ours blancs, la chasse aux trophées, le loup et les parcs nationaux, l'auteur nous invite à prendre du recul et à considérer davantage la science que les émotions pour adopter une attitude positive face aux exigences de la lutte contre la perte de la biodiversité et le dérèglement climatique. 

POINTS FORTS

En début d'ouvrage, Mathieu Farina déclare vouloir, dans ce débat aussi urgent que médiatique, "donner à la science toute la place qu'elle mérite", dans les analyses de nos comportements face à la crise environnementale. Il est donc question ici autant de faits scientifiques documentés que de l'analyse de nos psychologies, de nos convictions, des manipulations conscientes ou inconscientes des informations et des signaux subliminaux que nous recevons dès qu'il est question de ce sujet. 

Le constat de départ est celui de la réalité présente du déséquilibre des grands écosystèmes qui ont fait la nature même de l'environnement terrestre, et permis le développement de nos civilisations. 

Un long chapitre explique le concept d'Anthropocène, cette nouvelle ère qui débute - selon les idéologies entre les milieux des 18 ou des 19 èmes siècles, aussi désignée par certains, non sans arrières-pensées, "capitalocène" (Page 164), cette bascule où l'homme, par ses activités, commence non pas à modifier mais à perturber, faune, flore, environnement, cycles atmosphériques.

Les exemples de décisions délétères (concernant la pêche par exemple), les débats ambigus (les populations d'ours blancs d'Amérique du Nord), d'indignations superficielles (le sort de Cecil le Lion, victime d'une chasse au trophée) sont intéressantes, argumentées et débouchent sur de nouvelles propositions d'analyses - pour tenter d'alimenter nos points de vues de données plus rationnelles, moins émotionnelles ou suggérées par des informations partielles. 

Le chapitre sur la théorisation des écosystèmes est aussi riche d'informations sur ce qui fait leur construction, leurs interactions, leur fragilité, dès qu'un élément de l'équilibre vient à manquer ou disparaître. On y trouvera des informations intéressantes sur la réintroduction du loup dans le parc de Yellowstone aux Etats unis, ou de l'ours, également en Europe - espèces "clefs de voûte" des "cascades trophiques" ! Comprenez, des interactions entre des individus (ici des animaux) et leur milieu (faune, flore, préservation des sols, puits de carbone…). La question des parcs nationaux est aussi abordée, sous l'angle déjà dénoncé par Guillaume Blanc dans L'invention du colonialisme vert, celui de l'éviction des "locaux" de leurs terres ancestrales et des problèmes de conservations que cela pose aujourd'hui.

Le chapitre sur les perceptions culturelles de la nature et leur influence sur ses modalités de protection est instructif, bien qu'un peu long car moins illustré de cas concrets.

Le dernier chapitre enfin vise à nous convaincre de la communauté de destin entre Nature et humanité. Évidence, direz vous ? Peut être pas si évident quand on raisonne à l'échelle d'une vie et non à celle des cycles biologiques et chimiques.

Important pour aborder un sujet sensible, cet essai est bien écrit et facile à lire. Il est très riche en références, regroupées dans les 45 dernières pages.

QUELQUES RÉSERVES

En cours de lecture, j'ai pu noter beaucoup de partis pris "écologistes", bien que l'auteur se défende de cette étiquette. L'humanisation du vivant  "maltraité, ignoré, persécuté, exploité" et sa nouvelle religion qui consiste à "sauver la Terre" ; le concept de Capitalocène et de colonialisme, qui hystérisent le progrès et les nuisances de l'ère industrielle laissant au stade de murmures les progrès accomplis pour la santé et le mieux être des humains, ou qui interprètent le passé avec les yeux du présent ; des données pas nécessairement incontestables ("un million d'espèces menacées sur les 8 millions que compte la planète"  - ces deux chiffres ne sont pas certains, en particulier le nombre d'espèces vivant sur terre, 2 millions inventoriées sur une estimation plus probable de 20 millions) ; la "souffrance" des victimes du progrès - que je suggère de mettre en balance avec le petit essai de Michel Serres C'était mieux avant… Mais au fond, ces remarques sont des questions de culture et de conviction et ne remettent pas en cause l'intérêt de l'essai qui est par ailleurs bien documenté et pédagogique.

ENCORE UN MOT...

Voici une lecture engagée avec curiosité, perturbée par des sous-entendus idéologiques parfois récurrents, terminée avec intérêt en particulier pour le volet des solutions proposées. Je me suis senti comme les élèves de Robin Williams dans le film Le cercle des poètes disparus, "montez sur la table pour changer de point de vue". A ce titre, cet essai m'a  renforcé dans cette évidence que Terre et humains ont une communauté de destin, et que le développement économique, sous ses formes actuelles, n'est pas durable. Écologie punitive pensez-vous ? Pas du tout, éducation, écoute des sources scientifiques, humilité devant la complexité du sujet, distance avec les discours écologiques et/ou idéologiques. 

Même s'il n'est pas indispensable de souscrire à toutes ses idées, Mathieu Farina, dans les pas de précurseurs comme Yuval Noah Harari (Sapiens, ou de Jared Diamonds (Effondrements), fait œuvre de pédagogie, d'une approche de la question des grands équilibres "naturels" par les sciences (dont les sciences sociales et comportementales), et fondamentalement, milite pour la nécessaire et urgente conciliation /réconciliation - de l'humain, du progrès et de la préservation des écosystèmes terrestres, maritimes et atmosphériques. 

UNE PHRASE

  • « Une étude menée en 2016 montre que durant les cinq derniers siècles, 75 % des espèces éteintes ont été victimes de surexploitation (exploitation forestière, chasse et pêche) et/ ou des activités agricoles (avec souvent l'influence d'espèces exotiques). À l'heure actuelle, ce sont encore ces deux facteurs qui menacent le plus le monde vivant : 72% des espèces menacées sont victimes de leur utilisation à des fins commerciales, de loisir ou de subsistance et 62% sont affectées par l'expansion et l'intensification des activités agricoles. Seuls 19% d'entre elles subissent les effets du changement climatique." P. 131

  • « Les positions morales et les idéologies sont actuellement trop nombreuses pour qu'un consensus large s'installe et nous permette de définir précisément la manière d'organiser cette coexistence. L'avenir sauvage de notre planète est en cours de négociation. Il est absolument nécessaire que chaque acteur soit conscient des enjeux majeurs qui se dressent face à nous, de sa propre manière de penser le monde sauvage et de l'importance d'agir avec les autres pour que la nature puisse prospérer demain, et l'humanité avec elle." P. 263

L'AUTEUR

Mathieu Farina est agrégé de biologie et géologie et spécialisé en écologie et en biologie de l'évolution. Enseignant, membre de la fondation dédiée à promotion des sciences et des technologies à l'école et au collège, La main à la pâte depuis 2015, il s'investit dans les questions d'éducation à la biodiversité et au développement durable, et d'éducation de l'esprit critique. Il est auteur de Esprit scientifique, esprit critique (Le Pommier, 2018) et de L'Art de faire confiance (Odile Jacob, 2021).

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !