La crise des Gilets jaunes est-elle annonciatrice d’une révolte mondiale ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Des manifestants lors d'un rassemblement des Gilets jaunes. Cette mobilisation inédite a eu un impact sur différents mouvements sociaux à travers le monde.
Des manifestants lors d'un rassemblement des Gilets jaunes. Cette mobilisation inédite a eu un impact sur différents mouvements sociaux à travers le monde.
©NICOLAS TUCAT / AFP

Bonnes feuilles

Michel Fize publie « Qu’elle était belle ma révolution ! ». Le 17 novembre 2018, les Gilets jaunes lançaient une grande insurrection populaire. Un an plus tard, les cheminots protestaient contre une réforme des retraites pénalisante. Aujourd'hui, dans un contexte de crise sanitaire, les anti-pass maintiennent la pression populaire sur fond de crise profonde du pouvoir d'achat et de défiance envers la classe politique et ses dirigeants. Extrait 2/2.

Michel Fize

Michel Fize

Michel Fize est un sociologue, ancien chercheur au CNRS, écrivain, ancien conseiller régional d'Ile de France, ardent défenseur de la cause animale.

Il est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages dont La Démocratie familiale (Presses de la Renaissance, 1990), Le Livre noir de la jeunesse (Presses de la Renaissance, 2007), L'Individualisme démocratique (L'Oeuvre, 2010), Jeunesses à l'abandon (Mimésis, 2016), La Crise morale de la France et des Français (Mimésis, 2017). Son dernier livre : De l'abîme à l'espoir (Mimésis, 2021)

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La protestation populaire française dépasse aujourd’hui largement le cadre des Gilets jaunes et des Gilets rouges ; c’est, dans ce pays, une protestation globale, silencieuse ici, invisible là, qui aspire les divers pans de notre société laquelle, soit dit en passant, est moins une société « archipel » qu’une société fragmentée, éclatée, une société où certains segments n’ont plus aucun lien entre eux. Entre la « France périphérique » des cités et la « France périphérique » rurale, le divorce est total. Aucun rapprochement n’est possible a priori. « La France explose et implose » en même temps. Implosions familiale et scolaire. Explosions sociale et professionnelle, explosion politique. Tout part en débandade.                                                                

En fait, c’est aujourd’hui le monde tout entier qui crie sa révolte : à Hong-Kong, au Liban, en Algérie, au Chili, etc. Il y a les revendications de libertés ou de changements politiques des uns, les demandes de mieux-vivre des autres (qui sont parfois les mêmes).

Parce que nous sommes en état de mondialisation et de visibilité permanente grâce à l’Internet et aux réseaux sociaux, aucun pays ne peut manquer de subir le contre-coup des événements qui se déroulent dans d’autres pays. C’est l’interdépendance générale.

C’est ici l’occasion de parler brièvement des « révolutions numériques ». Nombre de révoltes : printemps arabes, révolte des Indignados en Espagne, et Gilets jaunes bien sûr, ont pour commun dénominateur d’avoir été déclenchées par les réseaux sociaux pour être relayées ensuite sur le terrain car, soyons clairs, rien ne remplace la manifestation de rue, la présence physique massive. Trois millions de personnes dans les rues valent toujours mieux que des millions de pétitionnaires sur le net. Comme le dit justement Jacky Isabello, expert en communication, « à leur manière les réseaux sociaux explosent en vol chaque jour ».

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Mais commençons notre tour d’horizon par Hong-Kong. Le petit territoire semi-autonome chinois vit une crise d'une ampleur inédite depuis de nombreux mois. Parti d'une opposition au projet de loi du 6 juin 2019 permettant l'extradition de résidents de Hong Kong vers la Chine continentale pour y être jugés, le mouvement s'est étendu pour réclamer le maintien de la démocratie.

Tout avait commencé en réalité fin avril 2019 lorsque le gouvernement pro-Pékin de Hong Kong révélait son projet d’autoriser les extraditions de la région administrative spéciale (RAS) vers la Chine. Les manifestants de Hong-Kong (ex-colonie britannique rétrocédée à Pékin en 1997 et bénéficiant d’un régime spécifique) craignaient une utilisation politique de la justice. Et pour cause : cette loi permettrait à la Chine de transférer sur son territoire n’importe quelle personne considérée par Pékin comme « fugitive ».

Au Liban, deuxième exemple, des milliers de personnes protestent contre l'incapacité de la classe politique à juguler la crise économique, l'une des pires de ces trente dernières années. C’est un soulèvement sans précédent depuis près de dix ans auquel l’on assiste. Des dizaines de milliers de manifestent demandent la démission du gouvernement [qu’ils obtiendront finalement]. À travers tout le pays, la tension, en fait, montait depuis plusieurs mois. Le vote d’un budget d'austérité, accompagné de réformes visant à éponger la dette abyssale de l’Etat, n’arrangea rien. Aujourd'hui troisième dette mondiale derrière celle du Japon et de la Grèce, la dette publique libanaise culmine à plus de 86 milliards d'euros, soit 151 % du PIB selon le FMI. À titre de comparaison, c'est plus encore que la situation dans laquelle se trouvait l'économie grecque en 2010 (146,2 %, selon Eurostat).

Inflation, corruption, pénurie de dollars dans une économie reposant principalement sur le billet vert… le Liban, qui souffre également des répercussions économiques de la guerre en Syrie voisine, est entré dans une phase de récession parmi les pires depuis trente ans. Le « toujours plus de taxes » est vivement dénoncé. Il aura donc suffi d'une annonce pour mettre embraser le pays. La mise en place d’une nouvelle taxe sur les appels passés via les applications WhatsApp et Viber, hausse devant rapporter 200 millions de dollars par an à l'État, provoqua aussitôt la colère des habitants, déjà confrontés à l'inflation et à la cherté de la vie. Censée entrer en vigueur le 1er janvier 2020, la « taxe WhatsApp » fut donc retirée.

Par ailleurs, près de 30 ans après la fin de la guerre civile (1975-1990), le Liban, miné par les crises politiques à répétition, est toujours en proie à une pénurie chronique d'électricité et d'eau potable, au problème aussi de traitement des déchets.

Crise au Chili aussi, troisième exemple. Des violences s’y produisent. La cause première est une augmentation de 3 % du prix du ticket de métro aux heures de pointe. Ce sera la mesure de trop pour de nombreux Santiaguinos pour qui chaque peso compte. Malgré la suspension de cette hausse, les manifestations se poursuivront dans la capitale, victime de pillages. D’autres villes seront ensuite touchées. Bilan officiel provisoire : 21 morts et 1 300 blessés. Ensuite, tandis que le pays est paralysé par une grève générale, 1,2 million de Chiliens défilent contre les inégalités. 

L'image d'un Chili stable et prospère était donc trompeuse. Certes, le pays connaît une croissance ininterrompue depuis 30 ans, qui a permis notamment d'y réduire la pauvreté (8 % de la population) mais les inégalités persistent, confortées par des transferts sociaux très faibles et une libéralisation à outrance de l'économie et des secteurs publics (santé, retraite, éducation, eau). Le tiers des revenus du pays est détenu aujourd’hui par 1 % des Chiliens, dont le président Sebastian Piñera, dont la fortune est évaluée à 2,5 milliards d'euros. 

Pinera a promis une hausse du minimum retraite, le gel des tarifs d'électricité, et vient de remplacer un tiers de ses ministres, dont les plus impopulaires : ceux de l'Economie et de l'Intérieur. « Insuffisant », ont répondu les manifestants et l'opposition. Ceux-ci réclament des réformes structurelles. Mais l'armée n’est plus dans les rues, elle a été renvoyée dans ses casernes. Après une première intervention martiale, Sebastian Piñera a adopté un ton plus conciliant pour faire face à cette révolte sociale inédite dans ce pays de 18 millions d'habitants depuis le retour à la démocratie en 1990. 

C’est toute l'Amérique du Sud, en réalité, qui connaît actuellement une vague de contestations. Les révoltes ont toutes pour point commun les difficultés économiques. L'Argentine par exemple connaît sa pire crise économique depuis dix-sept ans. En Equateur, c'est la hausse du prix des carburants qui a déclenché des émeutes. En Bolivie, le président Evo Morales sera accusé de fraude électorale. 

En Algérie, la situation économique ne cesse elle-aussi de se détériorer tandis que le mouvement populaire poursuit sa contestation. La Banque mondiale met en garde contre l'impact de « l'incertitude politique » sur l'économie, pouvant entraîner une augmentation des importations et un amenuisement accru des réserves de change. Quant aux entreprises, elles sont en grandes difficultés. Certaines se retrouvent dans l'incapacité de payer leurs salariés. Aujourd'hui, plusieurs experts prévoient une hausse significative du taux de chômage dans le pays à la suite de la baisse prévue des investissements publics. Dans de telles circonstances, l'incarcération de plusieurs hommes d'affaires et autres responsables dans le cadre d'une nouvelle « opération mains propres » assombrit davantage le climat des affaires dans le pays. Les investisseurs locaux sont notamment confrontés à la lenteur de l'octroi des crédits.

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Points communs de toutes ces révoltes : la jeunesse des manifestants, la spontanéité des actions et l'absence, pour l'essentiel, de leaders politiquement identifiables. Ce qui nous ramène à 1968, en France. Dans une société du plein-emploi, c’est un mélange d'ennui et d'utopie révolutionnaire qui pousse les jeunes à s’affronter au pouvoir en place. En 1989, c'est à l'inverse l'espoir de trouver la liberté et la prospérité qui conduit les peuples à abattre les murs de l'oppression. Partout dans le monde le déclencheur de la révolte apparaît des plus minimes ; une taxe sur l'usage de WhatsApp au Liban, une augmentation du prix des tickets de métro au Chili… Partout l'objet de la contestation (révolution ?) est soit de nature économique et sociale, comme au Liban ou au Chili, soit de nature politique, comme à Hong Kong.

La volonté de créer un ordre nouveau, plus juste et par là même plus stable, est au cœur de toutes ces contestations. Qu’en adviendra-t-il ? 

A lire aussi : Emmanuel Macron, un président toujours "droit dans ses bottes" après la colère des Gilets jaunes

Extrait du livre de Michel Fize, « Qu’elle était belle ma révolution ! Des Gilets jaunes aux anti-pass sanitaire en passant par les Gilets rouges ».

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