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La Chine est-elle en train de préparer la prise de contrôle de la planète ?
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Péril jaune ?

Le ton monte dangereusement entre la Chine et l'Inde, trois semaines après l'incursion de soldats chinois dans le Ladakh, zone frontalière entre les deux géants d'Asie, dont Pékin revendique une partie. Une agressivité chinoise qui laisse perplexe, alors que Pékin voit ses élites dirigeantes se renouveler, et ses budgets militaires s'envoler. Un signe de plus des objectifs hégémoniques de la Chine pour le futur ?

 Jean-Vincent Brisset et Pierre Picquart

Jean-Vincent Brisset et Pierre Picquart

Le Général de brigade aérienne Jean-Vincent Brisset est directeur de recherche à l’IRIS. Diplômé de l'Ecole supérieure de Guerre aérienne, il a écrit plusieurs ouvrages sur la Chine, et participe à la rubrique défense dans L’Année stratégique.  Il est l'auteur de Manuel de l'outil militaire, aux éditions Armand Colin (avril 2012).

Pierre Picquart est docteur en Géopolitique de l’Université de Paris-VIII, spécialiste en Géographie humaine, expert international, et spécialiste de la Chine. Il a rédigé notamment La Chine dans vingt ans et le reste du monde. Demain, tous chinois ? en 2011.

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Atlantico : La Chine a annoncé au début du mois de mars l'augmentation de  10,7% son budget militaire actuel, qui s'élèvera à 720,2 milliards de yuans (88,8 milliards d'euros). C'est le montant le plus élevé destiné à la défense dans le monde, derrière celui des États-Unis. Cependant, certains spécialistes estiment que les dépenses militaires réelles de Pékin dépassent largement le chiffre annoncé. Quelle stratégie adopte la Chine en consacrant autant de fonds à la défense ces dernières années ? Comment justifier l'augmentation de ce budget ?  

Jean-Vincent Brisset : Il y a des années que des "spécialistes" élaborent de savants calculs pour expliquer que les dépenses militaires annoncées par Pékin sont à multiplier par deux, voire cinq ou huit. Dans la réalité des faits, la seule chose intéressante est de savoir quel est le format de l'outil militaire dont Pékin veut se doter. Et ce qu'il veut en faire.

Au-delà de toutes les spéculations stériles, il existe une certitude : la Chine veut devenir une puissance militaire majeure, disposant de moyens qui soient à la hauteur de sa puissance économique. Le modèle qu'elle semble avoir établi à l'horizon 2030 est basé sur la préservation de la souveraineté sur le territoire national, mais aussi sur la construction d'une puissance maritime régionale majeure, capable de s'imposer loin de ses côtes. Il est donc  nécessaire d'être capable de dénier l'accès de toute force étrangère à la "mare nostrum" chinoise, dont la notion s'étend vers le centre du Pacifique. L'ennemi de base, qui en devient souvent obsessionnel, demeure le porte-avions américain. A l'appui de ce schéma, il faut une force aérienne capable d'assurer la maîtrise du ciel sur l'ensemble de toute la zone. L'armée de terre reste "confinée" à la défense des frontières, et à la lutte contre l'ennemi intérieur.

Pierre Picquart : En tant que future grande puissance mondiale, et comme nation développée et en développement, la Chine doit se doter d'une armée modernisée pour défendre son territoire, et éviter les coalitions anti-chinoises. Elle veut aussi protéger ses routes aériennes et maritimes relatives au transport de ses matières premières, de ses ressources et de ses énergies. Elle veut aussi tenir un rôle à l'international comme elle le fait avec les casques bleus chinois, de façon à s'affirmer comme une grande puissance internationale. Cette augmentation est significative du budget général de la Chine : celui relatif à la santé, à la structure, à l'éducation, la recherche, celui des ministères en général... La Chine est en croissance, elle a donc des excédents budgétaires.

La Chine fournit le plus gros effort de militarisation de la planète. Son objectif et son projet est de construire une armée très puissante (marine, terre, air) avec des moyens et technologies adéquats (ports, formation des ingénieurs nouvelles technologies, sous marins, bombardiers, missiles balistiques nucléaires, croisière longue portée navire...). Elle veut être capable de répondre et d'affronter en cas de besoin.

D'après un article du site d'information suisse Le Temps paru le 21 mars, la Chine tisse une véritable "toile maritime" dans le monde, notamment en Afrique, en Europe et en Asie. Ce réseau pourrait faire partie de sa stratégie militaire. Quelles pourraient être les conséquences de cette présence chinoise sur les côtes de trois continents ?

Jean-Vincent Brisset : La Chine a commencé, depuis quelques décennies, à créer une succession d'implantations maritimes, qu'il s'agisse de facilités portuaires ou de stations d'écoute et/ou de surveillance. Le "collier de perles" s'étend aujourd'hui de la mer de Chine du sud au golfe d'Aden, le long de l'itinéraire qui, quelques siècles plus tôt, avait été emprunté par les expéditions de l'amiral Zheng He. Déjà à l'époque, ce dont quelques observateurs veulent aujourd'hui faire une opération de conquête, répondait avant tout à une logique commerciale. Aujourd'hui, à ce collier de perles implanté dans des pays amis, s'ajoutent des implantations variées, le plus souvent des terminaux à conteneurs.

La Chine du XXIe siècle a des ambitions maritimes stratégiques. Elle s'en donne les moyens. Pour le moment, et sans doute pour longtemps, sa volonté de dominance maritime en haute mer est limitée à une partie du Pacifique et à la mer de Chine du sud. Ses capacités militaires en dehors de cette zone demeurent donc limitées, faute de vouloir les développer. Sur le plan militaire, elles se limitent à la protection - comme on l'a vu au large de la Somalie ou de la Libye - des approvisionnements ou de ses ressortissants, et ne sont pas axées sur la projection de puissance et l'importance des stations de surveillance reste limitée. Ses implantations dans divers ports facilitent ces rares opérations lointaines, mais sont surtout cohérentes avec le positionnement du pays comme le plus important constructeur de bâtiments de commerce et l'un des tous premiers opérateurs.

La Chine se préoccupe-t-elle davantage de sa puissance militaire qu'il y a 30 ans

Jean-Vincent Brisset : La vision chinoise de la puissance militaire a beaucoup évolué dans les trente dernières années. Mao était déjà mort - et politiquement enterré - en 1983. A l'époque, Deng Xiaoping faisait officiellement de l'Armée populaire de libération la dernière des "Quatre Priorités". Les choses ont bien changé depuis. Les dirigeants actuels sont tout à fait conscients du fait qu'il n'y a pas de crédibilité diplomatique sans crédibilité militaire. Cette prise de conscience date de la guerre du Golfe au cours de laquelle les matériels chinois dont disposait Saddam Hussein se sont révélé totalement dépassés.

L'Armée populaire de libération de 1990 était une armée de miliciens qui comprenait quelques unités vaguement professionnelles. Vingt ans plus tard, elle a pratiquement divisé par deux ses effectifs et multiplié son budget par quatre. Cependant, elle demeure une armée "pauvre", qui ne consacre (salaire, entrainement et équipement) que 25 000 dollars par militaire et par an. A comparer avec la France (230. 00 $/militaire/an)  et les USA (450 000 $/militaire/an).

Les États-Unis qui sont la première puissance mondiale d’un point de vue économique et militaire doivent-ils voir l'augmentation du budget militaire de la Chine comme une menace ?

Jean-Vincent Brisset : Le problème n'est pas tant de se demander dans quelle mesure la Chine augmente son  budget militaire, mais plutôt de savoir quel est l'usage qu'elle compte faire de cette récente abondance de moyens destinés à l'équipement de ses forces. Dans les vingt dernières années, l'effort paraît considérable mais il ne fait pas oublier qu'il a été, pour sa plus grande part, consacré à l'amélioration des conditions de vie des militaires, au moins et sinon plus qu'à la modernisation des équipements.

S'il y a une menace pour les États-Unis, elle ne vient pas directement de la - très relative - montée en puissance de l'outil militaire chinois vu au travers du prisme de son budget, mais plutôt en raison des nouvelles ambitions clairement affichées par Pékin en direction de l'Océan Pacifique. Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, Washington, allié avec Tokyo et Séoul, jouissait d'une liberté de manœuvre incontestée dans les espaces maritimes situés immédiatement au large de la Chine continentale. Cette liberté et cette supériorité sont désormais contestées. Dans l'immédiat, cette contestation peut être déclarative, ce qui est gérable, mais elle peut aussi se traduire par des actes agressifs de la part de marins ou d'aviateurs n'ayant pas forcément les compétences techniques nécessaires pour en assurer la pleine gestion. De tels faits se sont déjà produits, et les risques de dérapage ne sont surtout pas à négliger.

Quels sont les domaines militaires privilégiés par Pékin ?

Jean-Vincent Brisset : Depuis les débuts de l'ère Mao, et malgré les discours sur les "Tigres de papier", les forces nucléaires et les missiles associés sont prioritaires. Ils ont été les seuls épargnés par les folies suicidaires que furent - principalement - le Grand Bond et la Révolution Culturelle. Pendant des décennies, c'est l'armée de Terre, expression évidente de la dénomination "populaire", qui a été la maîtresse du jeu des forces conventionnelles. De plus, administrativement, elle était en position d'autorité par rapport aux deux autres armées. Les choses ont bien changé depuis.  

La Marine, ou plus spécifiquement la Marine autre que côtière, a commencé à se singulariser à la fin des années 70, sous l'impulsion visionnaire de Liu Huaqing. Elle bénéficie en ce moment d'une priorité importante. Cette priorité se concrétise aussi bien de manière médiatiquement visible avec la mise en service d'un porte-avions qui n'a pas encore de valeur opérationnelle, que de manière beaucoup plus discrète, mais bien plus significative, par la création d'une flotte de sous-marins modernes. L'armée de l'Air est aussi en voie de modernisation, même si ses équipements demeurent largement obsolètes. Les "avions de cinquième génération" qui ont récemment soulevé beaucoup de questions demeurent des démonstrateurs bien plus que des prototypes.

L'Armée populaire de libération met aussi l'accent, aussi bien médiatiquement que sur le fond, sur ses capacités asymétriques, qu'il s'agisse de militarisation de l'espace ou de cyber-attaques. La réalité opérationnelle de ces capacités attend encore une vraie démonstration.

Pierre Picquart : La Chine s'arme avec nouvelles technologies, des avions de chasse comme F14, le premier sous-marin nucléaire (liaoning) qui  vient d'appareiller en début d'année. Elle dispose d'une armée de 1 250 000 hommes, la plus grande armée du monde, et prévoit un budget de 238 milliards de dollars en 2015, soit une croissance de 18.5%, qu'il faut comparer aux autres puissances  comme les États-Unis, à certains pays asiatiques (Japon, Thaïlande, …) des pays qui ont des gros budgets militaires.

Mettre l'accent sur son pouvoir militaireest-il une manière pour la Chine de s'affirmer sur la scène politique internationale ?

Jean-Vincent Brisset : Après quatre décennies de discours purement idéologiques sur le côté "populaire" de l'Armée populaire, les dirigeants chinois ont bien compris qu'il fallait intégrer une autre dimension à l'affirmation d'une certaine puissance militaire. L'effort matériel et financier consenti depuis un peu plus de dix ans est la preuve de cette volonté d'affirmation au travers d'un changement. Toutefois, nombre de manifestations récentes sont beaucoup plus la démonstration d'un manque de maturité dans la gestion de cette montée en puissance que l'affirmation de réelles capacités de niveau international.

Pierre Picquart : La Chine va être avant 2016 la première puissance économique mondiale. Tout pays a deux objectifs lorsqu'elle se développe : il veut éviter d'être agressée de l'extérieur et a besoin pour cela de moyens modernes. La Chine avait une armée qui ne correspondait plus aux progrès actuels. Aujourd'hui, elle se sent pas menacée mais tient à jouer un rôle sur la scène internationale, et veut une armée à la hauteur de sa puissance économique mondiale. Elle  doit se réformer culturellement, politiquement, et avoir une politique nationale de défense adéquate. Les Chinois peuvent additionner plusieurs stratégies de guerre pour vaincre. Mais en général, la Chine préfère absorber, négocier, plutôt que d'affronter.

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