La BCE ne comprend rien à la nouvelle donne géopolitique de l'Europe et nous met tous en danger <!-- --> | Atlantico.fr
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Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne.
Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne.
©Kirill KUDRYAVTSEV / AFP

Sadomonétarisme

La BCE veut tellement montrer qu'elle est indépendante qu’elle est dans une logique de « sadomonétarisme » qui est une perversion du monétarisme d'origine.

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : Est-ce que le fait que la BCE retarde les baisses de taux alors que l'inflation baisse ne risque-t-il pas de nuire à la capacité de l'Europe à investir dans sa survie géopolitique ?

Don Diego De La Vega : La crise du crédit, la crise immobilière et la crise industrielle ont duré plus longtemps que prévu donc cela a limité la croissance en Europe. Nous sommes maintenant au 23e mois de la récession industrielle en Europe. C’est très lié à cette politique de hausse des taux, qui est un facteur important car ça limite déjà la croissance et les perspectives d'exister dans les 10 prochains mois. Chaque mois passé avec des taux directeur à 4%, ça engendre des problèmes, ça engendre des distorsions financières, ce qui fait courir des risques à tout le système. Nous n’avons pas besoin d'en rajouter dans l'idée que cela va contraindre nos investissements verts ou nos investissements géopolitiques pour l'Ukraine. Sur le plan macroéconomique, la hausse des taux fait déjà des ravages, et pas seulement en Allemagne, il n’y  a pratiquement pas de croissance en zone euro depuis bientôt 2 ans. Je ne pense pas que le maintien de taux de directeur très élevé, soit là contrainte numéro un qui nous empêche de déployer de l'argent dans le domaine de la défense. Au contraire c'est parce que nous ne sommes pas sûr de pouvoir gagner militairement sur le front ukrainien et nous n’avons pas envie de nettoyer les finances publiques, ce qui permettrait de trouver 20, 30 ou 40 milliards supplémentaires pour l'Ukraine. En France il y a 1 100 milliards d'euros chaque année, pour les dépenses publiques, ce qui nous permet de pouvoir trouver une démarche de manœuvre de 20 ou 30 milliards si on fait des petits efforts de productivité. Le problème étant que nous ne souhaitons pas réellement développer le budget de la défense et donc nous prenons en prétexte le fait que les taux soient très élevés.

Est-ce qu'un état d'esprit pandémique unissant les politiques budgétaires et monétaires n'est pas contraire au mandat de la BCE ?

Le traité est assez flexible en réalité. Il n'a pas empêché les taux négatifs et n'empêchera pas une très forte baisse de l'euro. L'esprit du traité est essentiellement défendu par le plan germanique que l’on peut pousser à un certain nombre de compromis, comme ces dernières décennies. Le vrai problème n’est donc pas totalement juridique. Ce qui fixe véritablement les contours du mandat de la BCE, c'est la BCE elle-même. Le mandat de la BCE permet de s'occuper de la croissance. Malheureusement, c'est à Francfort que tout cela se décide, car ce ne sont plus les politiques qui s'occupent de ces choses-là mais la BCE qui interprète et fixe la façon dont elle va atteindre les 2% d'inflation. Ensuite elle détermine la façon d'atteindre ses objectifs, elle se fixe un budget de « non atteinte des objectifs » avec une zone de tolérance ou d'intolérance à l'échec. La BCE est une organisation très secrète, très consanguine, qui fait ses propres prévisions Adhoc et parfois contre ses économistes. Le véritable problème est qu’il n’y a donc jamais de contre-pouvoir ou de contre-expertise.

La BCE doit-elle agir avant un éventuel retour de Donald Trump ? Les ambitions de l'Europe en matière d'énergie et de sécurité ne seront pas soutenues par un rapport de réduction des taux ?

Si l’Europe veut vraiment se défendre elle peut le faire, il suffit de s’engager à faire des efforts significatifs de la part de l’Etat. La vision de Donald Trump est qu’il sera protégé par le mobilier américain et par l'effort de défense des Américains. Si véritablement on voulait développer les forces de défense au niveau des États, ou au niveau d'un groupe d'États volontaires en Europe, on pourrait le faire à 1% ou à 3% ou à 5% de taux d'intérêt. La BCE aiderait à rendre l'équation budgétaire un peu plus soutenable, un peu plus crédible. Fondamentalement ce qui va nous libérer de l'espace pour la défense. Aujourd’hui on a beaucoup plus besoin de développer des munitions que de développer des nouveaux systèmes d'armes. Actuellement sur le terrain en Ukraine, on a pas besoin de F35 ou de rafales qui coûtent à l'unité 200 millions, mais en réalité il faut des drones à 500 000 dollars. Le gros problème du front aujourd’hui est le manque de chair à canon. Les Ukrainiens sont 4 fois moins nombreux que les Russes. La meilleure façon aujourd'hui de renforcer notre budget de défense, c'est surtout pour dissuader, pour avoir des stocks et être moins dépendant des Américains. Nous avons besoin d'une armée française capable d'avoir des mois de munitions pour une guerre conventionnelle, ce qui n’est pas le cas aujourd'hui. L'armée française n'a que quelques jours de de réserve.

Paradoxalement, il faut presque faire autant attention à l'allié américain, qu’à l'ennemi russe. Aujourd'hui il va falloir se réarmer pas tellement contre Poutine qui est encore un peu loin de nos frontières, mais surtout parce que la réassurance américaine n’est plus aussi automatique. Il va falloir qu'on ait une sorte d'autonomie, même d'indépendance militaire sur les munitions, par exemple, sur la façon d'avoir des réserves pour tenir un engagement conventionnel non plus dans les colonies d'Afrique, mais peut-être sur le continent, même si Trump ne l'emporte pas.

En quoi la politique de la BCE peut tout de même mettre en danger l'Europe ? Est-ce sur la crise énergétique ou des défauts d'anticipation pour les productions, notamment par rapport à nos concurrents ?

A partir du moment où vous mettez les taux d'intérêt trop hauts trop longtemps, celui-ci est dopé, c'est-à-dire que l'euro est trop cher. On favorise le rentier au détriment de celui qui veut investir, de celui qui veut entreprendre, et on se retrouve avec un taux un peu de chance trop élevé. Cela engendre des problèmes dans les secteurs liés à la compétitivité prix (des secteurs de moyenne gamme, l'industrie de moyenne gamme). Le fait générateur, c'est une politique monétaire trop restrictive, ce que l’on remarque à travers la pente de la courbe des taux, ce qui va ensuite générer des conséquences négatives qui vont se retranscrire en des déceptions sur la croissance sur les ressources fiscales. On a l'impression que la BCE veut tellement être indépendante qu’elle est dans une logique de « sadomonétarisme » qui est une perversion du monétarisme d'origine. La BCE est tellement attachée à son capital indépendantiste qu'elle est prête à renforcer le l'auto-cannibalisation de l'économie européenne pour ne pas être accusée de collusion avec le budgétaire ou de complaisance vis-à-vis de l'inflation... Elle tient si fort à sa réputation, à sa crédibilité, qu'elle est prête au pire des exactions.

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