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L'Urssaf à bout de souffle veut maintenant essayer de tuer Uber
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Atlantico Business

L'URSSAF poursuit Uber pour faire requalifier ses chauffeurs indépendants en salariés et l'accuse de travail au noir. Autant condamner tous le système et nier toute évolution possible dans l'organisation du travail. Décidément.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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C'est nouveau mais désespérant. On attendrait les responsables politiques sur ce type de débat, mais ils se cachent.

C'est donc sorti à la veille du week-end, sans bruit. L'URSSAF de l'Ile de France a décidé de poursuivre Uber au pénal pour travail dissimulé et au civil pour faire requalifier les chauffeurs Uber qui sont des travailleurs indépendants en salariés et par conséquent de récupérer les charges sociales correspondantes et cela depuis 5 ans puisque juridiquement ils peuvent remonter 5 ans en arrière.

Autant dire que si l'URSSAF gagne ses procès, Uber est condamné à mort, les chauffeurs se retrouveront dans la nature avec leurs traites à payer et surtout, si l'URSSAF gagne, l'ensemble du travail indépendant sera menacé.

Tous ceux qui se battent contre toute évolution des formes du travail, pour protéger un salariat pur et dur, encadré et immobile, tous ceux qui se battent contre la loi El Khomri qui contenait au départ, en germe, une possibilité de souplesse et d'adaptation dans la gestion du travail... Tous ceux qui, Place de la république, veulent en fait que rien ne change seront contents.

Si Uber joue son avenir dans ce type d'affaires, toutes les organisations qui ont développé des réseaux de travail indépendants sont évidemment sur la sellette. Toute les franchises par exemple, les Mac Donald, les opticiens de Chez Afflelou, les coiffeurs de chez Jacques Dessange, mais on pourrait aussi y ajouter la moitié des hôteliers... toutes les franchises sont par définition des travailleurs indépendants, comme les chauffeurs VTC (Uber) et même comme 80% des chauffeurs de taxis traditionnels...

L'ubérisation de la société n'est pas née avec Uber. Elle est née avec la nécessité pour beaucoup d'être libre dans l'organisation de son travail et de sa vie.

Le franchisé, le chauffeur VTC sont comme l'auto-entrepreneur de Hervé Novelli, des travailleurs indépendants qui dépendent de leurs clients. Ils organisent leurs horaires, ils sont libres de négocier ou pas, les modalités de contrats avec leurs donneurs d'ordre, et ils paient comme tous les travailleurs indépendants leurs cotisations sociales, le fameux et sinistre RSI (qui marche d'ailleurs très mal depuis que l'Etat s'est avisé de le réformer). Ils paient aussi, s'ils en ont les moyens et le désir des assurances privées.

Alors la situation n'est pas tous les jours facile, un chauffeur de VTC travaille beaucoup pour s'en sortir, mais ses efforts sont souvent payants.

Son avantage : "Il est libre Max", comme disait la chanson.

L'ACOSS qui est l'agence nationale de recouvrement des cotisations sociales considère que cette situation va devenir catastrophique pour l'équilibre du modèle social français. L'ACOSS a raison. Quand un salarié s'installe comme indépendant, l'URSSAF perd une cotisation, donc une recette.

Qu'il puisse exister, à coté de l'URSSAF des organisations sociales concurrentes qui vont s'occuper d'assurer "les indépendants" ne la concerne pas. Que ce système puisse donner du travail à des milliers de gens qui seraient au chômage, ça ne la concerne pas. Que l'existence des auto-entrepreneurs allège le système d'assurance chômage de l'Unedic, "l'Urssaf s'en fout."

Ce qui urge, c'est de sauver l'URSSAF, sa mécanique, son organisation, ses personnels, ses permanents. Parce que l'URSSAF fait vivre des milliers de salariés, parce que l'URSSAF fait vivre les milliers de permanents syndicaux, des militants de Force ouvrière ou de la CGT. Et s'il faut tuer Uber pour cela, on tuera Uber et les autres.

Parce que si la société française s'ubérise, l'URSSAF va perdre son fond de commerce, et dans ce cas, qui va payer les personnels syndicaux ?

Si les syndicats se préoccupent beaucoup plus de ceux qui ont un emploi de salarié, un CDI si possible, un emploi à vie, c'est encore mieux, si leur champ d'inquiétude premier porte partout sauf sur le chômage et les chômeurs c'est normal au vu du système français...

Soyons honnêtes : Si les syndicats défendent avec plus de vigueur les avantages acquis au temps de la croissance miracle que les possibilités de fluidifier le marché du travail, c'est sans doute par conviction. Beaucoup de ceux qui se battent contre la loi El Khomri sont sincèrement attachés à notre modèle social. Ils ne croient pas une seconde que la modernité impose une évolution ; qu'ils pensent au contraire que cette loi et ceux qui la portent sont des fieffés réactionnaires. La majorité de ceux qui défilent cette semaine sont sincères dans leurs convictions...

Mais leurs chefs, leurs dirigeants syndicaux sont cyniques. Ils savent bien que le modèle social date d'après la guerre, imposé à la France par l'alliance objective du général de Gaulle et du parti communiste. Ils savent que ce modèle paritaire est fatigué, usé, que la croissance inflationniste qui l'a fait vivre pendant un demi siècle est perdue à jamais. Ils savent qu'il faut inventer autre chose. Ils ne peuvent pas l'accepter parce que ça va tuer leur pouvoir.

Plutôt que de participer à une réforme du système comme le fait la CFDT, tous les autres syndicats préfèrent défendre leur pré carré. Et par conséquent attaquer les formes le plus visibles de la modernité numérique.

Si Uber est la cible de l'Urssaf, c'est parce que le succès d'Uber correspond à une réalité dangereuse pour l'establishment politico-syndical.

Du coup, Uber est accusé d'être une vaste entreprise internationale de travail au noir, comme Airbnb ou Bla-bla car. Le procès intenté par l'Urssaf sera incontournable.

Ce procès va permettre de donner la définition du salariat. Actuellement, le salarié se définit par un lien de subordination avec l'employeur. En bref, il y a d'un côté des abeilles ouvrières et de l'autre des patrons.

Alors le droit a clarifié tout cela. Il faut que l'employeur donne du travail au salarié, qui est obligé d'exécuter la prestation en contrepartie d'une rémunération. Mais il y a, à la base, ce lien de subordination.

On pourrait penser que des syndicats se battent contre ce lien de subordination, (forme moderne de l'esclavage) et bien non, ils le protègent.

Dans le procès que l'URSSAF intente à Uber, l'Urssaf explique que les chauffeurs sont payés par Uber (c'est vrai), que les chauffeurs sont obligés de respecter les règles Uber (c'est vrai comme tout prestataire envers son client), etc. Que dans les faits, il y a un lien de subordination.

Le débat juridique va se polariser sur ce point. On va donc apprendre à cette occasion qu'un chauffeur Uber est dans la plupart des cas responsable et propriétaire de ses actifs de production (la voiture), qu'il définit lui-même ses horaires de travail, qu'il peut travailler pour plusieurs applications VTC, il peut même travailler pour plusieurs plateformes et même pour une entreprise de taxis. Enfin on va apprendre que certains ont réussi à monter de véritables entreprises de transport avec une centaine de chauffeurs salariés, avec une offre de produits très diversifiée, Uber lunch (livraison de repas à domicile en lien avec des restaurants), Uber moto, Uber hélicoptère, Uber navette bateau.

L'Urssaf estime que le statut d'indépendant a été détourné afin d'éviter d'appliquer les règles de la Sécurité Sociale et de payer les cotisations.

Cette affaire, qui va en appeler d'autres du même type, illustre un débat capital sur le modèle français de protection sociale.

Trevor Smith, spécialiste des relations humaines qui a publié un remarquable papier dans la revue Contrepoint souligne à quel point le droit du travail doit être bouleversé pour s'adapter à la modernité.

Il faudra évidemment revenir sur la définition du salarié, de ce lien de subordination.

"Pour la Sécurité Sociale, la question est primordiale car elle pose la question de son financement par les salariés au bénéfice de tous.", explique Trévor Smith, "Que ce modèle soit mis en danger n'est pas un problème en soi, mais il faudra évidemment songer à préparer des systèmes alternatifs et c'est bien ce qui dérange tout le monde".

Les indépendants ne sont pas forcément perdants comme on le prétend. Ils auront le choix des systèmes offerts par le marché. Actuellement le choix n'est pas brillant.

Quand ils abandonnent la sécurité du salariat et le confort un peu mesquin de la sécurité sociale, ils se retrouvent dans une usine à gaz qui ne marche pas, le RSI. Ils ont évité la peste, pour être libres, ils se retrouvent avec le Cholera. Ça craint.

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