L’Ukraine, victime de la faiblesse européenne<!-- --> | Atlantico.fr
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Un montage de deux photographies du président russe Vladimir Poutine et du dirigeant ukrainien Volodymyr Zelensky.
Un montage de deux photographies du président russe Vladimir Poutine et du dirigeant ukrainien Volodymyr Zelensky.
©BERTRAND GUAY, VALERY SHARIFULIN / AFP / SPUTNIK

Opération militaire russe

Le réveil a été rude ce matin du jeudi 24 février. Ma femme d’origine ukrainienne m’a envoyé ce simple texto « War in Ukraine ». Autrement dit la guerre en Europe. L’Europe va payer cher le prix de ses illusions, de sa pusillanimité et de sa faiblesse. Mais ce réveil, après la première alerte lancée par la pandémie du Covid, peut aussi entraîner une dynamique de renouveau. Tout dépendra des choix que nous ferons. Cette guerre donne raison à ceux qui veulent donner à l’élection présidentielle la dimension d’un choix historique.

Arnaud Dassier

Arnaud Dassier

Arnaud Dassier est entrepreneur, actif en Ukraine depuis 2006, ancien élève du DEA d’études russes de Sciences Po, et marié à une femme d’origine ukrainienne.

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La Russie est une civilisation impérialiste, elle l’a toujours été depuis le XVIème siècle, et Poutine n’a jamais caché son désir de renouer avec cette puissance impériale. Kiev est le berceau de la religion, de la culture et de l’Histoire russes, commencées au IXème siècle avec la fondation de la Kievan’ Rus. Lorsque je suis arrivé à Kiev pour la première fois en 2005, le guide touristique n’a pas manqué de me dire « Ici, c’est la Russie ! ». Si les Allemands avaient créé un Etat à l’Est de la France avec Reims comme capitale, comment le verrions nous aujourd’hui, si ce n’est comme une extension de la France qui nous a été injustement arrachée ? Garder l’Ukraine dans le giron russe est donc un sujet sensible pour tout patriote russe, et la majorité des Russes le sont, ardemment. Mépriser cette réalité au nom des droits de l’Homme ou de la souveraineté des Etats nations est se comporter en idiot irresponsable car pour la plupart des Russes, l’Ukraine n’est pas un vrai Etat, et les droits de l’Homme sont une illusion occidentale. 

Le modèle russe, autocratique et corrompu, n’étant guère attractif pour la jeunesse ukrainienne, la Russie a assisté avec dépit à des révolutions contre deux régimes pro-russes en 2004 et en 2014. L’Ukraine s’est alors tournée vers l’Occident, l’UE, l’OTAN et les États-Unis, sans succès significatif. Les Ukrainiens, incapables de réformer leur système post-soviétique, oligarchique et corrompu, n’ont pas montré de capacité particulière à faire progresser leur pays vers les standards occidentaux, rendant leur offre d’alliance peu séduisante pour l’Occident, et leur faiblesse tentante pour les Russes. 

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Face au tiraillement ukrainien, l’Europe s’est montrée faible et pusillanime

Depuis la fin de l’URSS, l’Europe s’est montrée incapable d’élaborer une stratégie orientale ambitieuse. Lorsque, dans les années 90, la Russie d’Eltsine, et même celle des premières années de Poutine, a semblé vouloir se tourner vers l’Occident, la main tendue n’a rencontré aucune réponse digne de la Russie, les Occidentaux négligeant de se préoccuper d’un pays jugé affaibli. Les pays occidentaux ont naïvement pensé que la Russie était sur son propre chemin, certes très chaotique, pour devenir une démocratie libérale, selon la vision de la fin de l’Histoire de Fukuyama, en vogue à l’époque. Mais la vraie erreur, quasiment criminelle, est de l’avoir laissée se débrouiller seule alors qu’il aurait fallu soutenir massivement cette évolution libérale inespérée de la Russie eltsinienne. Aucun soutien significatif n’est venu d’Europe alors que l’on préparait activement l’entrée des pays d’Europe centrale, puis orientale, dans l’OTAN et dans l’UE. L’Europe s’apprête à payer très cher cette coupable négligence géopolitique qui a humilié les Russes et décrédibilisé les forces libérales et pro-occidentales. 

Au-delà de cette vacuité stratégique, l’Europe n’a pas les moyens de se faire respecter d’une Russie qui ne comprend que le rapport de forces. L’armée allemande est inexistante comme l’a déploré le chef de son armée de terre. L’armée française est rationnée et déjà au maximum de ses capacités de projection en se battant contre quelques milliers de Touaregs en sandales. L’Allemagne s’est rendue dépendante du gaz russe avec sa folle politique anti-nucléaire, malheureusement suivie par François Hollande et Emmanuel Macron. Poutine peut plonger l’Europe dans l’hiver russe s’il le décide.

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 Quand la Russie a commencé à montrer ses muscles et ses ambitions de restauration impériale, en Moldavie, en Tchétchénie, en Georgie, puis en Ukraine, là encore l’Europe n’a rien fait ou presque. Les sanctions reviennent à se tirer une balle dans le pied. Que les Européens ne veuillent pas mourir pour l’Ukraine, ou pour quoi que ce soit d’autre d’ailleurs, est une évidence qui n’a pas échappé à Poutine. Mais pourquoi ne pas avoir donné aux Ukrainiens les moyens de se défendre ? Pourquoi vendre des armes à tous les régimes autocratiques du monde, mais pas à une démocratie européenne ? Cette coupable pusillanimité permet aujourd’hui à la Russie d’envahir l’Ukraine, risque qu’elle n’aurait peut-être pas couru si elle avait su qu’elle y rencontrerait une forte résistance. La Russie ne comprend que la force et l’Europe ne lui oppose que sa faiblesse. Un véritable encouragement à agir pour Poutine. Qui veut la paix prépare la guerre. Et pour l’avoir oublié, nous avons aujourd’hui la guerre et le déshonneur. 

En finir avec les illusions

Il faut éventer nos illusions pacifistes qui ont conduit la totalité des experts et des responsables politiques à penser que la Russie n’envahirait pas l’Ukraine, comme l’a reconnu humblement le Président Tchèque. Face à cette nouvelle réalité, il faut écouter ceux qui nous avertissent depuis longtemps que l’Histoire est tragique, que c’est Huffington qui a eu raison contre Fukuyama, que nous revenons à des affrontements de civilisation, que le XXIème siècle ressemblera plus au XIXème siècle qu’au XXème siècle. Les postures morales ne servent à rien car l’Occident n’a plus ni la volonté ni les moyens d’imposer son modèle démocratique et libéral, qu’il peine à respecter et à défendre sur son propre sol. Seule la « real politik », lucide, voire cynique, et les rapports de force nous permettront de défendre nos intérêts et la paix dans un monde redevenu dangereux. Il est urgent de s’en donner les moyens militaires, technologiques et industriels (autonomie stratégique, résilience, guerre de l’information, cyber sécurité, etc…), avec l’unité stratégique, l’agilité et l’indépendance qui assurent la vraie puissance. Et cesser de se payer de mots avec la chimère d’une défense européenne qui n’aura jamais aucune capacité de décision et d’action réelles, et donc aucune capacité d’influence et de dissuasion. 

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Pour commencer, puisque nous n’avons pas la volonté de nous opposer à la détermination russe de recréer son espace historique, il nous faudra tôt ou tard renouer le dialogue avec la Russie, quand Poutine ne sera plus là, et trouver un terrain d’entente réaliste, pour éviter le pire. Je pleure pour mes amis ukrainiens, et je me sens coupable, car le drame qu’ils vivent est le prix qu’ils paient pour nos illusions et notre faiblesse. Nous aurions pu les aider, ainsi que les Russes, mais depuis quelques décennies nous avons à peine la force de nous soutenir nous-mêmes. Il est trop tard pour les Ukrainiens, mais espérons que leur sacrifice sera salutaire pour les européens et pour les Français. Une nouvelle ère s’ouvre, il nous appartient de décider si nous voulons la vivre en demeurant forts et libres, ou si nous voulons continuer de nous assoupir encore quelques temps dans nos rêves de confort à crédit. Un réveil rude peut parfois sonner le début d’une aube nouvelle. 

Arnaud Dassier

Arnaud Dassier est entrepreneur, actif en Ukraine depuis 2006

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