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L'Europe à quitte ou double : confrontée au Brexit, l'Union doit réagir et se montrer capable d’un sursaut pour continuer d'avancer sans le Royaume Uni
©Reuters

Bonnes feuilles

Le référendum britannique agit comme un révélateur des problèmes et des incertitudes de l’Europe. Ce livre fait un retour sur les principes encourageants de la construction européenne mais aussi sur ses défauts de conception. Il rappelle les idéaux, les réalisations (dont l’euro), les blocages, les fragilités, les lignes de fracture qui ont marqué l’aventure de l’Union au fil des décennies. Dans un contexte tourmenté, cet état des lieux nuancé éclaire les principales questions. Extrait de "La fin de l'Europe", d'Olivier Lacoste, aux éditions Eyrolles 2/2

Olivier Lacoste

Olivier Lacoste

Olivier Lacoste est diplômé de HEC, de l’IEP Paris, titulaire d’un DEA d’économie, d’une maîtrise de sociologie et d’un Master de droit des affaires et ancien élève de l’ENA. Économiste (Crédit Lyonnais, institut de conjoncture Rexecode), journaliste (L’Expansion, Usine nouvelle, Investir, Alternatives économiques…), il a traité de questions européennes, notamment comme directeur des études du Think Tank Confrontations Europe. Il a animé des débats économiques à la Maison de l’Europe de Paris. Il a été maître de conférence à Sciences Po et conseiller au cabinet du secrétaire d’Etat en charge de la prospective. Il est déjà l’auteur de Les crises financières, éditions Eyrolles, 2015.

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Confrontée à la décision du Royaume-Uni de sortir, l’Union va devoir réagir sur deux plans. D’un côté, elle va devoir gérer les aspects les plus immédiats de la crise ouverte. D’après l’article 50 TUE, l’Etat qui décide de se retirer doit notifier son «intention» au Conseil européen. Celui-ci fixe des orientations qui guideront les négociations de retrait. Comme pour un divorce, les textes laissent du temps pour organiser la séparation. Les traités cessent d’être applicables à l’Etat concerné à partir de la date d’entrée en vigueur de l’accord de retrait ou, à défaut, deux ans après la notification de l’intention de départ, sauf si le CE, en accord avec le démissionnaire, décide à l’unanimité de prolonger ce délai. Le traité se garde bien d’insulter l’avenir, puisqu’il précise que l’Etat qui s’est retiré pourra demander à adhérer de nouveau, selon la procédure suivie par tous les candidats (dans le cas d’espèce, l’hypothèse semble aujourd’hui peu probable). Des délais aussi longs relèvent du bons sens: malheureusement, ils ne correspondant pas à la temporalité des marchés, qui détestent l’incertitude, et qui préfèreraient sans doute une rupture vite expédiée plutôt que des tractations raisonnables.

Les négociations seront complexes. Elles devront aborder la situation des Européens résidant au Royaume-Uni et des Britanniques résidant en UE, ainsi que celle des fonctionnaires britanniques dans les administrations communautaires. Espérons que la solution la plus élégante et la moins «revancharde» pourra être trouvée. Faire des victimes expiatoires ne servirait à rien. Un autre point délicat concernera la circulation des biens et des services (notamment financiers). Il serait logique que le Royaume-Uni ne bénéficie plus d’un accès au marché intérieur et que, par exemple, il acquitte des droits de douane s’il veut faire passer les frontières à ses marchandises. Dans l’absolu, une option commerciale serait que ce pays rejoigne l’AELE (Association européenne de libre-échange, rassemblant aujourd’hui l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse, et qui avait été créée en 1960 à l’initiative du Royaume-Uni pour faire contrepoids à la CEE) ainsi que l’EEE (Espace économique européen, accord entre l’UE et l’AELE, sauf la Suisse, dans une situation spécifique). L’accord assure la libre-circulation des marchandises, des services, des capitaux et des personnes (les quatre libertés). Il inclut également des dispositions encadrant la politique de concurrence, la protection des consommateurs ou l’éducation. Les pays de l’AELE doivent respecter une partie de la législation européenne (sans pouvoir l’influencer) et contribuent financièrement au marché unique. Ainsi, selon certaines études, la contribution financière par habitant représenterait, pour la Norvège, 83% de celle du Royaume-Uni. Mais les électeurs britanniques, qui viennent de décider de quitter l’UE, seront-ils enthousiasmés par une adhésion à l’AELE et l’EEE? Même question du côté de l’UE. D’autres options sont évoquées, comme un statut comparable à celui de la Suisse. Il faut souhaiter bon courage aux négociateurs dans les deux ans à venir !

D’un autre côté, l’Union va devoir se montrer capable d’un sursaut et accomplir un retour sur elle-même, sur ses idéaux et sa finalité. Dans sa préface au livre de Philippe Herzog Europe, réveille-toi, Michel Rocard estimait, en 2013, que trois circonstances pourraient provoquer des électrochocs en Europe: le départ anglais, la crise de l’euro, la mondialisation. Cette sortie est à présent avérée. « Ce peuple, estimait-il, fut l’efficace destructeur interne de toute pensée et de toute action européenne débordant la sacro-sainte souveraineté nationale. Souhaitons-lui bonne chance sur ce chemin improbable, mais demandons-lui fermement de nous laisser suivre le nôtre.» Dans une vision plus pessimiste, le référendum du 23 juin 2016 pourrait agir comme une boîte de Pandore pour tous ceux qui militent pour le repli national et entraîner un effet de domino. Il serait donc temps de définir des projets mobilisateurs.

A cet égard, les commentateurs vont scruter du côté des capitales. On attendra d’elles des initiatives, comme un « gouvernement économique » de la zone euro, aux contours initialement flous qu’il faudra préciser. On placera les espoirs dans des dispositifs inter-gouvernementaux et dans les initiatives des chefs d’Etat et de gouvernement, qui ont certes montré leur réactivité face à la crise des subprimes et à ses soubresauts. Mais, pour construire le long terme, il serait sans doute temps que les Etats lâchent un peu la main et ne tentent plus de monopoliser la construction européenne. A cet égard, une impulsion considérable serait donnée aux imaginations des Européens si le Parlement européen pouvait avoir l’initiative des textes et si les élections déterminaient les inflexions de l’Europe de façon régulière et non plus par catharsis. Il va falloir se reposer un peu moins sur les règles et davantage sur les citoyens et sur leur vigilance. Dans Le monde d’hier, Zweig rapporte sa première discussion en 1913 avec Romain Rolland (qui sera le courageux auteur de Au-dessus de la mêlée). Celui-ci exprimait alors des doutes sur les capacités de résistance de l’unité européenne et de la raison. «Maintenant, disait-il, nous devions tous agir, chacun à sa place, chacun dans son pays, chacun dans sa langue. Il était temps d’être vigilant, de plus en plus vigilant. Les puissances qui poussaient à la haine étaient, en raison même de la bassesse de leur nature, plus agressives et plus véhémentes que les forces de conciliation […] L’absurdité était visiblement à l’œuvre et la lutte contre elle plus importante même que notre art. Je sentis qu’il s’affligeait de la fragilité de ce que nous construisions en ce monde, ce qui était doublement saisissant chez un homme qui avait célébré dans toute son œuvre l’éternité de l’art.»

Extrait de "La fin de l'Europe", d'Olivier Lacoste, publié aux éditions EyrollesPour acheter ce livre, cliquez ici

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