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L'Etat islamique moins affaibli qu'on le croit : quand les Américains affirment avoir tué plus de combattants djihadistes que le nombre qu'ils en avaient estimé
©Reuters

Tenace et vivace

Malgré les attentats horribles et meurtriers essuyés par la France ces derniers mois, le nombre de départs de jeunes français vers la Syrie est en hausse d'environ 15% sur les six derniers mois.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Selon les chiffres du ministère de l'Intérieur, les départs de Français pour la Syrie seraient en constante augmentation (+13% ces six derniers mois). Comment expliquer ce phénomène ? Face à l'horreur des récentes attaques commises en France, n'aurait-on pas pu observer, à l'inverse, une certaine forme de désincitation ? 

Alain Rodier : Effectivement, les chiffres de juillet donnés par le ministère de l’Intérieur concernant les volontaires français ou résidants en France sont les suivants : 680 sur zone, 187 tués, 179 en transit, 898 souhaitant partir et 203 rentrants (returnees). Pour les départs, cela fait une augmentation de 13% ! Pour les retours, il y aurait une certaine diminution qui peut s’expliquer par le fait que Daech tient à garder ses soldats au front.

Les horreurs des derniers attentats commis en France exercent un double phénomène d’attraction/répulsion. Si pour l’immense majorité du public, c’est la répulsion qui l’emporte, il y a certains individus qui "apprécient" et ils sont loins de tous être des adeptes du djihad. C’est un phénomène psychologique bien connu qui amenait les foules à assister aux exécutions capitales lorsqu’elles étaient encore publiques. Enfin, pour la partie des "convaincus la cause", ses actes spectaculaires les poussent, soit à rejoindre leurs "frères" pour mener la guerre contre les mécréants et les apostats, soit à passer à l’action sur place. Je ne crois pas trop à la "désincitation" comme vous le dîtes, ni d’ailleurs à la "déradicalisation". Prenons l’exemple des extrémistes de gauche actifs dans les années 1970, ils ont gardé leurs convictions politiques. S’ils ne passent plus à l’action, c’est tout simplement parce qu’ils sont trop vieux et qu’ils savent qu’il replongeraient cette fois en prison jusqu’à la fin de leurs jours. Cette "déradicalisation" me fait aussi penser aux camps de "rééducation" vietminh. Cela me gêne beaucoup car bien sûr, ils n’ont rééduqué personne (lire le magnifique livre de Jean Pouget, "le manifeste du camp n°1"), mais ils ont aussi massacré nombre de mes anciens. A cette époque, les morts dans le camp français se comptaient par milliers et la société d’aujourd’hui semble l’avoir oublié.

Alors que les départs de Français pour rejoindre les rangs de l'EI seraient en hausse, les effectifs de l'organisation, eux, seraient en baisse selon le général MacFarland, pour s'établir aujourd'hui entre 15 000 et 30 000 hommes. En cause : la mort de 45 000 djihadistes depuis le début des frappes de la coalition internationale. Où en est exactement l'organisation en matière de recrutement ? Qu'est-ce qui explique que l'organisation peinerait à recruter des djihadistes selon le général MacFarland, à l'exception apparemment du cas français ? 

Nos amis américains m’étonneront toujours pour leur optimisme sans faille. Si l’on en croit les chiffres avancés, ils ont tué 45 000 djihadistes alors, qu’au plus fort de la guerre, ils estimaient leurs effectifs au maximum à 31 500 (avec une fourchette basse à 20 000). Une simple soustraction montre qu’ils devraient donc tous être neutralisés. Ils seraient tout de même encore entre 19 000 et 25 000 (et pas les chiffres que vous citez) ! D’ailleurs, des enquêtes ont actuellement lieu aux États-Unis car la rumeur court que des analystes de la défense se seraient plaints de voir leurs rapports trafiqués dans un sens positif pour présenter aux autorités une vision politiquement correcte de la situation en Syrie et en Irak. Cette manière de présenter aux autorités politiques la situation telle qu’elles veulent la voir n’est d’ailleurs pas typiquement américaine. Elle est aussi très française dans le style "touchez ma bosse monseigneur" ("le bossu", de Paul Féval).

Personnellement, je me suis toujours demandé comment des chiffres pouvaient être avancés alors que presque aucun observateur indépendant n’est présent à terre pour les évaluer. Et que l’on ne parle pas de l’Observatoire syrien des Droits de l’homme (OSDH) qui "bénéficierait d’un large réseau d’informateurs sur place". La seule question qui se pose à son sujet est : pour qui travaille cet organisme basé à Londres ?

Les seuls chiffres vraiment connus sont ceux des bombardements qui, au début août, étaient de 14 301 frappes aériennes de la coalition (États-Unis, France, Australie, Bahreïn, Belgique, Royaume-Uni, Canada, Danemark, Jordanie, Pays-Bas, Arabie Saoudite, Turquie et Émirats arabes unis) dont 9 514 ont été effectuées en Irak et 4.787 en Syrie.

Un grand mystère demeure sur les flux entrants et sortants des volontaires étrangers. Il est vrai que la route passant par la Turquie était devenue plus compliquée jusqu’au coup d’Etat raté du 15 juillet. Depuis, Ankara a relégué le contrôle des trafics (dont celui des êtres humains) loin derrière la chasse aux opposants au président Erdogan. De plus, les forces de sécurité turques sont durement affectées par les "réformes" lancées à la fin juillet, de nombreux cadres se trouvant incarcérés, démis ou démoralisés. Et il convient de ne pas parler de la désorganisation que cela provoque en général.

Selon le général MacFarland, les recrues actuelles "opèrent de façon bien moins efficace que par le passé". Quelles raisons expliquent cette qualité moindre des recrues actuelles ? Cela pourrait-il accélérer la défaite de l'EI sur le front syro-irakien ? 

Cela peut s’expliquer de plusieurs manières. Auparavant, les recrues subissaient un entraînement militaire (et religieux, mais c’est une autre affaire) avant d’être dispatchées au sein de différentes unités. Il est possible que, comme les combats se sont intensifiés et surtout se déroulent désormais sur de multiples fronts, la nécessité n’ait poussé le commandement de Daech à engager les "petits nouveaux" très rapidement après leur arrivée en pensant qu’ils se formeraient sur le tas. Or, en matière militaire, l’entraînement est la base de tout : "la sueur épargne le sang" comme le dit un vieux dicton militaire. S’il n’y a pas de formation de base correcte, les nouvelles recrues deviennent de la chair à canon consommable.

Il est aussi vraisemblable que de nombreux chefs de guerre aient été tués au combat. Il est aussi très difficile de les remplacer par des nouveaux ayant les mêmes compétences. Cela doit provoquer des erreurs de commandement qui se payent très cher sur le terrain, surtout pour leurs subalternes.

Cela dit, Daech n’est pas vaincu. A un moment ou à un autre, il va falloir y aller au corps à corps pour obliger les djihadistes à se rendre. Or, pour l’instant, personne n’est vraiment prêt à monter sur le ring pour les affronter. Quant aux attentats terroristes en Europe (et ailleurs), nous n'en n'avons pas fini...

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